Depuis le rachat de X (anciennement Twitter), les choix réactionnaires s’enchaînent. Au nom d’une libéralisation de la plateforme, les pastilles bleues autrefois gage de comptes vérifiés sont devenues accessibles à tout utilisateur qui serait prêt à les payer, la régulation des propos haineux ainsi que des fake news n’est plus vraiment d’actualité, et l’algorithme peut délibérément freiner la portée des médias aux idées modérées et progressistes. Des comptes qui avaient été bannis de la plateforme pour “incitation à la haine” ont aussi été réintégrés. Les politiques portées par le nouveau propriétaire de X sont loin de faire l’unanimité auprès des médias européens. En résulte une vague de départs de la plateforme.
“ Comment avons-nous pu transformer des outils de débats et qui pourraient être tellement utiles à la démocratie, en des machines infernales ignorant les règles de droit et de l’éthique ? “, déplore ainsi François-Xavier Lefranc, président du directoire et directeur de publication Ouest-France, dans un éditorial datant du 21 octobre 2023.
Une intervention dans la vie politique américaine
Les tensions sont encore montées d’un cran au cours de la campagne présidentielle américaine de 2024 avant d’atteindre leur paroxysme avec la réélection de Donald Trump.
Elon Musk ne limite pas la gestion de X à la mise en avant d’opinions haineuses et conservatrices. Le milliardaire prend aussi ouvertement parti dans la vie politique des Etats-Unis. Au cours de la campagne présidentielle, il a fait de X un véritable support de soutien à Donald Trump et ses idées. Les posts de ce dernier sont boostés auprès des utilisateurs. Elon Musk affiche également son soutien à Donald Trump publiquement et a financé la campagne du candidat à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars.
Un positionnement marqué et une promesse de nomination à la tête d’un ministère. Peu de temps après l’annonce de sa victoire, Donald Trump lui prévoit la direction d’un nouveau ministère de “l’efficacité gouvernementale”. La création de ce ministère a pour but de mener des coupes budgétaires auprès des gouvernements fédéraux. Le choix d’Elon Musk pour occuper ce poste risque de conduire à des conflits d’intérêts car les sociétés du milliardaire ont déjà bénéficié de plusieurs milliards de dollars grâce à des contrats fédéraux.
Ces prises de position risquent d’accentuer ce qui s’observe déjà sur X. Tous les médias ne comptent pas franchir le cap, mais ce constat amer est à l’origine de la vague de départs que connaît la plateforme.
“Nous tenons à informer nos lecteurs que nous ne publierons plus de message sur les comptes officiels de la rédaction”, annonçait en ce sens le journal britannique “The Guardian” sur son compte X, le 13 novembre dernier. Le titre espagnol “La Vanguardia” a rapidement fait de même. Quelques jours plus tard, Ouest France est le premier quotidien français à suivre le mouvement. “L’ensemble des comptes X Ouest France ne seront désormais plus alimentés, ni par des productions natives, ni par des republications“, indiquait le quotidien tricolore dans un article paru le 19 novembre 2024. “Les médias refusant de se soumettre aux offres payantes voient leur visibilité réduite comme peau de chagrin, tandis que les auteurs de publications douteuses n’ont qu’à payer pour trouver une audience plus large”, dénonce également le groupe. Depuis, les annonces de départ se suivent et se ressemblent.
Un boycott de X de la part des médias, mais pas que …
Ces mouvements vers la sortie sont loin de se cantonner au monde des médias. Entreprises, institutions, et même personnalités politiques sont concernées. Dans l’Hexagone, les écologistes Marine Tondelier et Sandrine Rousseau appellent les membres du NFP à quitter ce réseau social. “Aujourd’hui, la direction d’Elon Musk représente un danger réel pour nos démocraties”, avance cette dernière.
En parallèle, des institutions prennent aussi la décision de plier bagages. “Nous quittons le réseau social X pour ne plus cautionner les dérives de la plateforme et la diffusion de contenus dangereux et haineux”, indique le Département de la Loire-Atlantique dans un post X qui accompagne son communiqué de presse.
Cette désertion s’étend également aux publicitaires. Les revenus de X ont chuté car des entreprises américaines telles que Disney, Apple, ou encore Paramount, ont stoppé la diffusion de publicité sur leur page.
Le cas du groupe Meta
Mark Zuckerberg, patron du groupe Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger), a récemment annoncé mettre fin à son programme de diversité du personnel qu’il juge “polarisant”. Le créateur de Facebook souhaite remplacer les vérificateurs de faits par des notes communautaires afin de s’aligner sur la politique de X en ce qui concerne la régulation des contenus. Mark Zuckerberg indique notamment arrêter le programme de fact-checking (vérification des faits) sur les plateformes Meta aux Etats-Unis.
Sur Facebook et Instagram, il est désormais possible de comparer les personnes LGBTQ+ à des “malades mentaux” ou des “anomalies” sans craindre ni censure, ni sanction. Ces déclarations ont eu l’effet d’une bombe et ont retenti jusque dans les locaux de l’entreprise où des employés réfléchissent même à démissionner.
Un virage à droite et un nouveau tapis rouge pour les propos haineux et conservateurs. Avec l’influence qu’elles opèrent sur l’opinion publique, ces plateformes se révèlent être de véritables armes de guerre. De quoi inquiéter les utilisateurs, en particulier concernant le maintien de l’équilibre des démocraties. En ce qui concerne les réseaux Meta, ces annonces récentes pourraient avoir le même effet que sur X. De nombreux professionnels réfléchissent déjà à les quitter, un premier symbole de protestation.
Plus largement, c’est le signe d’une réflexion qui s’amorce sur la manière dont il est possible d’endiguer la désinformation quand les plateformes ne se prêtent plus au jeu de la régulation.