Cette 36ème édition du fameux Festival International qui célèbre et rend hommage au monde du photojournalisme, Visa pour l’Image, se trouve d’ores et déjà au cœur d’un tourbillon de distinctions, mais aussi de controverses. Créé en 1989, il se déroule chaque année à Perpignan, et est aujourd’hui dirigé par Jean-François Leroy, lui-même journaliste et photographe français, cofondateur avec Roger Thérond, ancien directeur de la rédaction de Paris Match. Le Festival s’étend sur une quinzaine de jours, de la fin août au 15 septembre, et propose plus d’une vingtaine d’expositions, rendant compte des sujets qui façonnent l’actualité internationale.
Inauguration sous tension : Le scandale autour du prix décerné à Loay Ayyoub
Inaugurée par l’exposition intitulée « La Tragédie de Gaza », du jeune photographe palestinien Loay Ayyoub, Louis Aliot, maire RN de la ville depuis 2020, a créé un tollé en annonçant, lors de son discours d’ouverture le 31 août 2024, qu’il ne monterait pas sur scène pour remettre le prix du Visa d’Or Rémi Ochlik au jeune photographe : « Je ne remettrai pas le prix cette année, ni moi ni personne de la ville », a-t-il déclaré. Le jury, constitué d’une quinzaine de directeurs de photographie, a toutefois maintenu la récompense.
Loay Ayyoub, mandaté par le célèbre quotidien américain The Washington Post, a réalisé un travail photographique de près de cinq mois (d’octobre 2023 à février 2024) sur la crise humanitaire que subit actuellement la population gazaouie, exposée aux frappes de l’armée israélienne depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, en mettant en lumière notamment les difficultés d’accès aux soins.
La raison de son refus ? Le sujet même, car même après plusieurs mois de conflit, il reste ultra-sensible et générateur de tensions. Le maire a expliqué qu’il aurait préféré récompenser un journaliste « totalement indépendant du Hamas, même si les photos étaient les mêmes ». Il a ajouté : « Ce photographe soutient le Hamas parce que, quand le Hamas envoie des roquettes sur les populations civiles d’Israël, lui parle de résistance palestinienne. Non, c’est du terrorisme, tout simplement ». De plus, il jugeait que le photographe manquait d’« équilibre » dans ses propos lorsqu’il s’est exprimé sur le conflit via les réseaux sociaux. Il a néanmoins concédé : « Il retranscrit l’horreur de la guerre et des bombardements à Gaza, ce que je comprends », tout en affirmant se sentir « mal à l’aise face à ce traitement de la guerre ».
Un prix controversé remis malgré tout
En fin de compte, c’est Jean-François Leroy en personne qui a symboliquement remis le prix au jeune Ayyoub, avec une prime de 8.000 euros, à Olivier Laurent, le « photo editor » international du Washington Post, le samedi 7 septembre. En effet, le lauréat ne pouvait être présent pour recevoir son prix, étant aujourd’hui réfugié en Égypte. N’ayant pas encore obtenu ses papiers officiels de résident permanent de la part de l’administration égyptienne, il craignait de ne pas pouvoir retourner en Égypte s’il venait en France.
En réponse aux propos du maire, Jean-François Leroy a rappelé : « J’ai une liberté totale sur la ligne éditoriale de ce Festival, et je rappelle que le prix de la Ville est décerné par un jury de directeurs de photos internationaux. Ils ont voté pour Loay Ayyoub, voilà. Moi, je n’ai pas à interpréter les décisions de Monsieur Aliot ». Il a également souligné la difficulté pour les journalistes de travailler en toute indépendance, notamment parce que l’accès à la bande de Gaza demeure, aujourd’hui encore, interdit aux journalistes internationaux.
Il a ajouté : « On parle ici du conflit armé le plus verrouillé qui ait jamais existé, dans lequel il est naturellement impensable que Loay Ayyoub ait pu travailler à l’insu du Hamas, de même qu’un photographe ne pourrait évoluer en Israël sans que Tsahal le sache ». Il a précisé que le sujet du reportage n’était « pas le Hamas », mais « les effets de cette guerre sur les populations civiles », comme il l’a expliqué aux journaux Libération et La Croix.
Enfin, des questionnements et des inquiétudes quant à la liberté éditoriale de Visa pour l’image ont naturellement émergé, surtout depuis la cohabitation du festival avec un maire du Rassemblement National. Qu’en est-il de l’avenir du Festival sur le long terme ? M. Leroy a refusé de s’exprimer sur le sujet avant la fin de cette édition.
Mahmud Hams : Un autre photographe palestinien à l’honneur
Cette 36ème édition de Visa pour l’Image n’a pas seulement mis à l’honneur Loay Ayyoub. Un autre photographe palestinien, Mahmud Hams, s’est vu décerner le prix du Visa d’Or News, la récompense la plus prestigieuse du Festival. Âgé de 44 ans et ayant fui Rafah avec sa famille en février dernier, il travaille pour l’Agence France-Presse (AFP) dans les territoires palestiniens depuis 2003 et réside aujourd’hui au Qatar.
Il a remercié le jury pour ce prix lors d’un échange vidéo avec M. Leroy diffusé également le samedi 7, lors de la présentation du palmarès. Il a déclaré : « J’espère que les photos que nous prenons disent au monde que cette guerre et les souffrances doivent prendre fin ». « Mahmud et ses collègues, photographes et journalistes de l’AFP dans la bande de Gaza, ont réalisé un travail extraordinaire à tous points de vue », a souligné Éric Baradat, directeur adjoint de l’Information de l’AFP chargé de la photo. « Leur témoignage fera date et restera dans l’histoire », a-t-il conclu. Mahmud Hams a également exprimé son souhait de retourner à Gaza dans sa vidéo : « J’espère pouvoir y retourner un jour […] Mon corps n’y est plus, mais mon cœur y est toujours ». Compte tenu des délais d’obtention de visa, Mahmud Hams n’a pas pu rejoindre la France à temps pour recevoir son prix en mains propres. Stéphane Arnaud, adjoint à la rédaction en chef centrale de l’AFP pour la photo, l’a donc reçu en son nom.
Visa pour l’Image 2024 : Le reflet des conflits mondiaux en 26 expositions
Au total, le Festival Visa pour l’Image édition 2024 aura accueilli 26 expositions cette année, présentant de nombreux conflits et histoires à travers le monde. Vous pourrez y découvrir le travail du photographe Pierre Faure sur la France périphérique, récompensé par le Visa d’Or des solidarités, ou encore « À 5 km du front », de la reporter Anastasia Taylor-Line, sur le conflit en Ukraine. Une exposition de Ziv Koren, sur l’attaque du Hamas du 7 octobre, a également reçu le Visa d’Or News. Corentin Fohlen a, lui, documenté la situation en Haïti, au cœur du « pouvoir des gangs », tandis que John Moore a proposé deux expositions : l’une consacrée au Soudan et l’autre à l’Équateur, où sévit une guerre sans merci contre le narcotrafic.