Transition politique et nouvelle constitution
À la suite de la chute du régime, Ahmed al-Sharaa, ancien leader du groupe islamiste Hay’at Tahrir al-Sham, a été désigné président intérimaire lors de la Conférence de la Victoire de la Révolution Syrienne le 29 janvier 2025. Son premier discours, prononcé le 31 janvier, a souligné la nécessité d’une “déclaration constitutionnelle” pour servir de cadre juridique en attendant l’élaboration d’une nouvelle constitution.
Le 13 mars 2025, cette constitution intérimaire a été ratifiée, instaurant un système présidentiel où le pouvoir exécutif est concentré entre les mains du président, sans la fonction de Premier ministre. Cette constitution consacre la charia comme principale source de jurisprudence tout en garantissant les libertés d’opinion et d’expression. L’Assemblée du Peuple a été établie pour servir de parlement provisoire pendant la période de transition de cinq ans, avec un tiers de ses membres nommés par le président et les autres élus par des commissions supervisées par un comité désigné par le président.
Réformes économiques et défis
L’économie syrienne, exsangue après des années de guerre et de mauvaise gestion, est au centre des préoccupations du nouveau gouvernement. Le PIB, qui s’élevait à 60 milliards de dollars en 2010, a chuté à environ 29,3 milliards de dollars en 2024, reflétant une contraction économique de plus de 50 %. Les exportations ont également connu une baisse drastique, passant de 8,8 milliards de dollars en 2010 à seulement 700 millions de dollars en 2022.
Pour redresser l’économie, le président al-Sharaa a nommé, le 7 avril 2025, Abdelkader Husrieh, ancien associé du cabinet international d’audit EY, au poste de gouverneur de la Banque centrale de Syrie. Cette nomination vise à restaurer la confiance dans le système financier et à promouvoir des politiques monétaires transparentes et efficaces.
Relations internationales et enjeux régionaux
Sur le plan diplomatique, le président al-Sharaa s’efforce de renforcer les liens avec les pays voisins et de lever les sanctions internationales qui pèsent sur la Syrie. Il prévoit de visiter les Émirats arabes unis et la Turquie pour solliciter un soutien à son administration et discuter de la levée des sanctions imposées par les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Cependant, les tensions régionales persistent. Israël a récemment mené des frappes aériennes sur des bases militaires syriennes, exprimant ses inquiétudes quant à l’influence croissante de la Turquie en Syrie et à la montée au pouvoir d’un gouvernement islamiste. Ces actions soulignent la complexité de la situation géopolitique et les défis auxquels le nouveau gouvernement syrien doit faire face pour assurer la stabilité du pays.
Intégration des forces kurdes et réconciliation nationale
Un développement significatif dans le processus de réconciliation nationale est l’accord conclu entre le gouvernement intérimaire syrien et les Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes. Cet accord prévoit le retrait des combattants kurdes de certains quartiers urbains, notamment Sheikh Maksoud et Achrafieh à Alep, et leur intégration progressive dans l’armée syrienne.
En échange, le gouvernement s’engage à accorder des droits constitutionnels aux Kurdes, y compris l’éducation dans leur langue maternelle et la citoyenneté pour les apatrides. Cette reconnaissance institutionnelle marque une rupture majeure avec les décennies d’assimilation forcée imposées par les régimes précédents.
Justice transitionnelle et mémoire nationale
Au-delà des réformes institutionnelles, un vaste chantier s’est ouvert : celui de la justice. Pendant plus d’une décennie, les Syriens ont été confrontés à une guerre civile d’une brutalité inouïe, où disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires et tortures ont laissé des plaies béantes dans la société. Le nouveau gouvernement a annoncé en mars 2025 la création d’une « Commission nationale pour la vérité et la réconciliation », chargée d’enquêter sur les crimes commis tant par le régime d’Assad que par les groupes armés de l’opposition.
Composée de magistrats syriens, de juristes internationaux et de représentants de la société civile, cette commission s’inspire à la fois du modèle sud-africain et du processus colombien. Son objectif est clair : restaurer la mémoire, établir les responsabilités, offrir réparation morale et matérielle aux victimes, et favoriser une réconciliation durable. Déjà, à Douma, Homs, et Deraa, des forums de parole ont été organisés dans des mosquées et des centres culturels, où familles de disparus, anciens détenus et anciens miliciens viennent confronter leurs récits. C’est un lent et douloureux apprentissage du vivre-ensemble, mais aussi un prélude indispensable à la reconstruction du tissu national.
Une refonte de l’éducation et un retour timide de la culture
Dans le tumulte de la guerre, l’école syrienne s’était effondrée. Des générations entières d’enfants ont grandi sans accès à une éducation stable, parfois embrigadées, parfois réfugiées, souvent traumatisées. Depuis janvier 2025, le ministère de l’Éducation a lancé une refonte ambitieuse des programmes scolaires. L’enseignement de l’histoire, notamment, a été revisité en profondeur pour inclure la pluralité des récits nationaux, y compris ceux des Kurdes, des Alaouites, des Druzes et des chrétiens d’Orient. Le récit national n’est plus univoque : il devient mosaïque.
L’arabe reste la langue principale, mais des manuels en kurde et en assyrien sont désormais distribués dans les provinces du nord et de l’est. À Alep et à Damas, les écoles rouvrent progressivement, souvent dans des bâtiments criblés d’éclats d’obus. Parallèlement, le monde culturel syrien renaît. Le théâtre national de Damas a rouvert ses portes avec une pièce adaptée de La Conférence des oiseaux de Farid al-Din Attar, tandis que des maisons d’édition reprennent timidement leur activité, réimprimant les œuvres de poètes exilés comme Adonis ou Nizar Qabbani. La culture devient un fil de soie jeté entre les ruines : fragile mais tenace, elle relie les mémoires blessées aux promesses du renouveau.
Perspectives d’avenir
La Syrie se trouve à un carrefour décisif de son histoire. Les réformes en cours offrent une lueur d’espoir pour un avenir plus stable et prospère. Néanmoins, les défis restent immenses, notamment la reconstruction des infrastructures, la réintégration des réfugiés et des déplacés internes, et la consolidation d’une gouvernance inclusive qui respecte la diversité ethnique et religieuse du pays.
La communauté internationale observe attentivement ces évolutions, consciente que la stabilité de la Syrie a des implications majeures pour l’ensemble de la région du Moyen-Orient. La réussite de cette transition dépendra de la capacité des dirigeants syriens à surmonter les divisions internes, à engager des réformes significatives et à établir des relations constructives avec les acteurs régionaux et internationaux.
En définitive, la chute de Bachar al-Assad a ouvert un nouveau chapitre pour la Syrie, un chapitre qui, bien que semé d’embûches, porte en lui l’espoir d’une nation réconciliée, démocratique et prospère.