Des attaques qui s’intensifient
Le Carrefour de Zobe, lieu de l’attaque, avait déjà été ciblé en 2017 avec l’explosion d’un camion piégé, faisant près de 600 victimes. L’attentat de la semaine dernière est le plus meurtrier depuis ces cinq dernières années. Pour le moment, le bilan est de plus d’une centaine de morts et quelques 300 blessés. L’attentat n’a pas encore été revendiqué mais est attribué d’office au groupe terroriste Al-Shebaab.
Cette attaque est malheureusement loin d’être la première cette année. La semaine dernière, un port a été attaqué. Cet été encore, un assaut d’une trentaine d’heures dans un hôtel a fait 21 morts. La peur règne dans les rues de Mogadiscio, et ce depuis des années. En effet, les terroristes et le gouvernement somalien s’affrontent depuis 2007.
Quelles sont les origines de ce conflit interne ?
Une histoire sujette aux tensions
L’histoire de la Somalie est jonchée de troubles, de conflits et d’une instabilité politique patente. Le pays déclare son indépendance en 1960 après des siècles de domination étrangère. Au moment de l’indépendance, le pays est divisé en deux : une partie sous domination italienne, l’autre dirigée par les Britanniques. De 1960 à 1969, différentes factions armées s’affrontent pour le contrôle des territoires.
En 1969, après l’assassinat du président de l’époque, Saïd Barre prend le pouvoir avec l’aide de l’armée. Celui-ci instaure rapidement un état militaire et autoritaire ainsi qu’un culte de la personnalité. La Constitution est suspendue et un Conseil Suprême Révolutionnaire est mis en place. Dès 1978, des affrontements entre différentes factions armées et le gouvernement éclatent. Saïd Barre instaure alors un climat de terreur dans le pays pour conserver son pouvoir. Ces affrontements débouchent sur la chute de Saïd Barre, après la prise du palais royal par les « rebelles » le 27 janvier 1991.
Si cet évènement marque la fin d’affrontements terribles, la stabilité n’est pas pour autant de retour. En effet, les factions victorieuses se disputent des territoires désormais sans contrôle.
Une première mission de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU est lancée en 1992. L’ONUSOM de son nom n’obtient pas de résultat probant. C’est dans ce contexte qu’est préparée l’opération « Restore Hope ». Les États-Unis sont autorisés à entrer militairement sur le territoire afin de faire cesser la guerre civile. Une armée de près de 40 000 soldats, dont 30 000 américains débarquent sous les caméras du monde entier pour remettre de l’ordre à Mogadiscio. Les « gendarmes du monde » subissent leur première défaite, contre des rebelles sans formation militaire. Les combats sont violents et les États-Unis se retirent directement après.
Un second cycle de tensions
La guerre civile décline vers 1995, mais les tensions ne cessent pas pour autant. Une phase de transition s’opère alors, entre tensions récurrentes et tentative d’unification.
En 2003 se met en place une Conférence de réconciliation avec un projet de Charte Nationale et un plan de fédéralisme. L’année suivante, le Parlement Fédéral de Transition de la République de Somalie est formé – mais est exilé au Kenya car des forces rebelles ont le contrôle de la capitale. Les années suivantes ne sont pas plus stables. De plus, les tensions avec le voisin Éthiopien s’accentuent. En effet, des affrontements éclatent en 2006 entre une alliance pour la restauration de la paix et l’organisation terroriste Al-Shabaab. L’instabilité règne et l’Éthiopie intervient pour chasser les terroristes. Seulement, les Éthiopiens ne quittent pas le territoire de suite. Elle prend le pouvoir de la majeure partie de la Somalie, et déclare son gouvernement de transition au pouvoir de facto.
Un pays morcelé, sans pouvoir centralisé
Les difficultés politique du pays peuvent s’expliquer par le morcellement du territoire, entre plusieurs régions à tendance indépendantiste. En effet, 5 parties du territoires ont d’ores et déjà exprimé leur volonté de se séparer du gouvernement central. La première sécession s’effectue dans le contexte de guerre civile de 1991. L’un des mouvements de guérilla, le SNM (Somalian National Mouvment) décide de créer son propre État dans le Nord-Ouest du pays, le Somaliland. Jamais reconnu par les instances internationales, le Somaliland reste officiellement une région somalienne.
En 1998, c’est au tour du Nord-Est de se désolidariser de la Somalie. Ainsi, le Puntiland proclame son autonomie. Cependant, contrairement au Somaliland, le Puntiland ne souhaite pas être complètement indépendant, mais prône plutôt une confédération des clans.
L’année suivante, en 1999, le Jubaland voit le jour. Viennent ensuite les régions de Galmudug en 2006 et la Somalie du Sud Ouest, aussi appelée Koofur Galbeed. Toutes ces proclamations d’indépendance, plus ou moins radicales, fragilisent le gouvernement central.
Cette forte division laisse une place pour les influences extérieures. Dans laquelle s’engouffre les groupes terroristes, dont le principal en Somalie, Al-Shabaab.
Al-Shabaab, des terroristes omniprésents
Al-Shabaab, « la jeunesse » en Arabe est un groupe terroriste somalien, salafiste, djihadiste, et allié d’Al-Qaïda. Crée en 2006 lors de l’invasion de la Somalie par l’Éthiopie, le groupe prend de l’ampleur ces dernières années. Bien qu’il n’ait plus le contrôle de la capitale depuis 2011 après une intervention militaire, le groupe contrôle toujours des régions du Sud du pays.
L’organisation fait partie de l’Union des Tribunaux Islamiques, une organisation visant à reprendre le pouvoir et à instaurer la Charia en Somalie. Al-Shabaab est la branche radicale de cette union, celle qui suit à la lettre la Charia. Les pays occidentaux considèrent l’organisation comme un groupe terroriste dangereux, qu’il faut combattre.
En plus des attentats, les somaliens doivent faire face à une crise humanitaire sans précédent.
La crise humanitaire qui enfonce le pays
Si les villes sont surtout la cible des attaques, la famine touche tout le monde. Cette dernière est due à la montée des températures, la sécheresse faisant rage dans l’Est de l’Afrique, et notamment en Somalie. Selon les Nations Unies, 7 millions de personnes seraient en insécurité alimentaire. De son côté, le Bureau de coordination des Nations Unies estime que la famine actuelle est encore pire que celle de 2011, qui avait fait 260 000 victimes dont plus de la moitié étaient des enfants. La sécheresse est due à 4 saisons de pluies défaillantes, une cinquième étant annoncée. De plus, les affrontements entre Al-Shabaab et le gouvernement empêchent une aide humanitaire conséquente.
Le cœur du problème semble donc être la présence des forces djihadistes sur le territoire. Quelles sont alors les stratégies mises en place par le gouvernement ?
Nouveau président, nouvelle stratégie ?
Initialement prévues pour 2020, les élections présidentielles sont reportées à de nombreuses reprises à cause d’une crise politique paralysant le pays. En effet, la légitimité du gouvernement est affaiblie car celui-ci ne dirige qu’une faible partie du territoire. Après des pourparlers de près d’un an, les élections ont finalement eu lieu en mai 2022.
Ainsi, Hassan Cheikh Mohamoud, ancien président de 2012 à 2017, est élu au troisième tour.
Lui qui ne gérait que 2% du territoire lors de son premier mandat fait de la lutte contre le groupe Al-Shabaab une priorité. Plus que la lutte militaire, le nouveau président met l’accent sur le côté économique. En effet, l’organisation terroriste obtient des financements hallucinants. Hiraal (Institut de recherche Somalien) estime à plus de 100 millions de dollars par an le budget du groupe terroriste. De plus, 25% de ce financement viendrait des impôts forcés, arrachés de forces aux somaliens.
De nouveaux appuis militaires
Du côté militaire, Mohamoud à opérer quelques changements significatifs. En effet, le président s’est appuyé sur les « Ma’awisley ». Ces paysans qui ont pris les armes pour protéger leurs terres des djihadistes se sont alliés avec le gouvernement. Grâce à leur aide précieuse, le gouvernement a récupéré une cinquantaine de villages.
Une aide supplémentaire s’est ajoutée aux forces du gouvernement central, celle des États-Unis. Retirés du pays sous le mandat de Donald Trump, les américains sont de retour sur le territoire. Quelques « 500 soldats » seront envoyés prochainement selon Joe Biden. D’après le porte-parole du Pentagone, « le but ici est de faire en sorte que les forces locales soient plus efficaces dans la lutte contre Al-Shabaab ».
La nouvelle stratégie du gouvernement est une avancée dans la lutte face au terrorisme. Permettra-t-elle de remettre dans le droit chemin un pays à la dérive ? Rien n’est moins sûr…