Des artistes capables d’écrire de nombreux succès pour les autres, il y en a une pléiade. De Michel Berger à Pascal Obispo, en passant par l’incontournable Jean-Jacques Goldman, la chanson française possède un impressionnant vivier d’écrivains de l’ombre. Mais parmi toutes ces grandes figures, s’il y en a dont le talent de création surpasse les autres, c’est bien Serge Gainsbourg. Souvent critiqué pour ses interventions limites à la télévision, le chanteur de « la Javanaise » n’en reste pas moins un artiste incontournable, par son personnage, mais surtout par ses chansons. À chaque fois que sa plume effleure le papier, la voix de celui ou celle qui l’interprète se transforme en or.
Écrire pour des artistes confirmés, c’est quitte ou double
Donner des textes à des interprètes qui connaissent déjà le succès, cela peut paraître comme une recette qui marche à tous les coups. Et pourtant, la réussite peut repartir aussi vite qu’elle est arrivée, car même dans le répertoire des tauliers, il y a des sons qui ne plaisent pas au public. Pour Serge Gainsbourg, c’est un exercice auquel il s’est livré de nombreuses fois, avec plusieurs grandes réussites.
En 1979, Alain Chamfort est un artiste qui a déjà plusieurs grands succès, à l’image de « Le temps qui court », mais dont la carrière stagne un peu. Le chanteur, qui a déjà collaboré avec Gainsbourg sur le mitigé Rock’n Rose, album sorti en 1977, fait de nouveau appel à lui pour lui écrire quelques textes de son prochain projet, « poses ». Et cette fois, le résultat sera au rendez-vous. La chanson Manureva, inspirée du naufrage du navigateur Alain Colas, et de son bateau, éponyme au titre de la chanson, restera le plus grand succès d’Alain Chamfort. Sa composition dynamique place et son refrain entêtant placent « Manureva » deuxième du Hit-parade français durant tout le mois de janvier 1980.
Françoise Hardy, icône du mouvement Yéyé, elle a aussi eu droit à son tube made in Serge Gainsbourg. Déjà auréolée d’un certain succès au début des années 60, avec Tous les garçons et les filles, elle est en 1968 une star qui dépasse les frontières de l’hexagone. En février, elle se produit dans les universités britanniques, puis en Afrique du Sud en mars. Là encore, le coup de patte de Gainsbourg va faire souffler un vent nouveau sur la carrière de Françoise Hardy. Le tube « Comment te dire adieu » sorti sur l’album du même nom en décembre 1968 est un immense triomphe. Adaptée de la chanson américaine It Hurts to say goodbye de Margaret Whiting, le rythme de la chanson, saupoudrée des rimes en « ex » de Gainsbourg, va placer Françoise Hardy en tête des ventes au début de l’année 1969.
Son écriture si particulière permet aux interprètes, aussi confirmés soient-ils, de donner un nouvel élan à leur carrière.
Lancer la carrière d’artistes : une habitude pour Gainsbourg
Les textes de « Gainsbarre » collent tellement à la peau de celles et ceux qui la chantent, qu’il est capable d’écrire pour n’importe qui. Ses mots vont révéler une artiste qui n’est alors même pas majeure.
Et la première qui voit sa carrière décoller, c’est France Gall. Le titre « laisse tomber les filles », en 1964, est l’un des tout premiers succès de la chanteuse. Bien qu’il ait été, à de nombreuses reprises, interpellées pour misogynie, Gainsbourg, parvient à se projeter dans la personnalité de France Gall, et à faire de ce texte une critique de la vision de l’amour adolescente. Un texte est en plus chanté par une jeune fille de 17 ans, comme pour donner une leçon de morale. Leur collaboration ne s’arrêtera pas là, puisqu’une année plus tard, la renommée de France Gall dépasse les frontières de l’Hexagone en remportant l’Eurovision pour le Luxembourg. Le titre interprété, écrit et composé par Serge Gainsbourg, n’est autre que l’un de ses plus grands succès, « Poupée de Cire, Poupée de Son ». La machine est lancée, et ne s’arrêtera plus.
Les paroles de Gainsbourg visent dans le mille à chaque fois et collent parfaitement à la peau de leurs interprètes, même si ceux-ci ne sont pas professionnels. Pour lui, qui considère la musique comme un art mineur, du fait qu’il n’y a pas besoin d’une grande initiation, aucun problème, il peut écrire pour n’importe qui, et il va le prouver.
En 1968, Serge Gainsbourg se rend chez l’actrice Brigitte Bardot, pour lui faire écouter certaines de ses compositions. Il fredonne alors les premières paroles du futur plus grand tube de « BB », « Harley Davidson ». Elle s’essaie donc à la reprendre, mais prise par le trac, elle n’y arrive pas. Il faudra quelques coupes de champagne, pour que la chanson lui colle à la peau, mais encore une fois Gainsbourg a vu juste. Leur collaboration continuera sur le plan personnel pendant trois mois, mais aussi côté musique puisqu’ils vont sortir une sorte d’album en commun, « Bonnie & Clyde » composé de duos entre les deux artistes, mais aussi de solos la même année. Bardot interprètera également plusieurs autres chansons signées Gainsbourg sur ses prochains projets, à l’image de « La Madrague » ou « je me donne à qui me plaît ».
Pour finir, comment évoquer les textes de Serge Gainsbourg sans parler de sa muse, de celle qui l’a inspiré pendant de nombreuses années, l’actrice Jane Birkin. Ils se rencontrent sur le tournage du film « Slogan » en 1968, alors que le chanteur vient de sortir d’une relation avec une certaine Brigitte Bardot. L’anglaise préférée des Français tombe peu à peu sous son charme, et de leur relation naîtra Charlotte en 1971, mais aussi tout un panel de chansons, à commencer par « Je t’aime moi non plus », écris une année plus tôt pour… Brigitte Bardot. Le titre est censuré dans de nombreux pays en raison de ses paroles dont le caractère sensuel et très explicite choque une partie du public. Il en suivra plusieurs albums composés par Gainsbourg qui deviendront des succès, tels que « Baby alone in Babylone », en 1983 ou « Arabesque » en 2002. Leur relation s’arrêtera en 1980, Serge Gainsbourg ne devenant plus que l’ombre de lui-même, rongé par l’alcool.
Avec Brigitte Bardot et Jane Birkin, le chanteur a prouvé sa capacité à modeler ses textes pour qu’ils conviennent à leurs interprètes, même si ceux-ci ne sont pas des chanteurs professionnels. Sa plume subtile, presque poétique a marqué une époque, et fait de Gainsbourg l’un des auteurs-compositeurs interprètes français les plus reconnus.