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Samarcande : un sommet d’émergents au cœur de l’Asie

« Pays émergents » tels sont communément appelés les pays en quête de reconnaissance sur la scène politique internationale. La plupart d’entre-eux se sont donnés rendez-vous ces 15 et 16 septembre à Samarcande, sous le regard protecteur de la Chine et dans le cadre d’une réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai. Un sommet aux lourds enjeux géopolitiques dans un contexte de grandes tensions internationales. Les Occidentaux sont mis en doute, leurs opposants en discutent.

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A Samarcande, le 13 Septembre, avant l'ouverture de la 22e réunion de l'Organisation de Coopération de Shanghai (AFP)
Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai

Samarcande, Ouzbékistan. Cette ville à l’histoire plus de deux fois millénaire, réputée pour être la plus anciennement habitée d’Asie, a accueilli ces 15 et 16 septembre un sommet international réunissant les pays liés à l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Cette structure diplomatique née en 2001, sous l’égide de la Chine et de la Russie, a été créée pour répondre aux profonds changements amenés par la chute de l’URSS dans la région de l’Asie centrale. Au regard de la 22e réunion des chefs d’États de l’OCS, et de la liste des participants, 15 au total, ce sommet prend une tournure géopolitique. En effet, l’Iran, la Turquie, l’Inde, ou encore le Pakistan, sont présents, et ce, dans un climat de défiance généralisée vis-à-vis des pays occidentaux. Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du Kremlin, a expliqué dans cette logique que l’ « Organisation de coopération de Shanghai offre une alternative réelle aux structures orientées vers l’Occident ».

Dans un contexte de revirement de la diplomatie et de la géopolitique mondiale

Ce sommet intervient dans le contexte que nous connaissons tous de la guerre en Ukraine. Essayons de nous attacher à ce que révèle ce conflit sur le plan géopolitique ?

La réponse paraît pour certains assez simple. La Russie s’est sentie capable d’assumer un bras-de-fer avec les pays occidentaux, à travers notamment l’OTAN, garants de l’ordre mondial depuis 1945. Et il semblerait bien qu’elle puisse soutenir l’effort plus longtemps que ne l’auraient cru ses opposants. Les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne n’ont fait que donner l’opportunité à la Russie de se trouver de nouveaux partenaires commerciaux.

Par ailleurs, un rapport récent provenant de l’organisation indépendante Center for Research on Energy and Clean Air (CREA) montre qu’avec la flambée du prix des énergies fossiles, la Russie a vendu du gaz entre février et août 2022, pour 158 milliards d’euros. Ce qui représente 40 % de plus que l’année précédente. De plus, si le rouble russe s’est effondré dans les premiers mois de la guerre en Ukraine, son cours semble dorénavant impressionnant. Le 16 septembre, le rouble coûtait moins cher que durant les jours précédents le conflit (60 roubles pour un euro, contre 85, le 16 février). Sur le plan économique, la Russie semble alors tenir bon.

Qu’en est-il sur le plan militaire ? Cette dernière fait face, avec difficulté, aux efforts cumulés des Ukrainiens et de l’assistance des États-Unis de Biden ainsi que de leurs alliés, en armes, munitions, ressources financières et renseignements tactiques. Sans être une victoire pour eux, nous pouvons nuancer que les Russes ne sont pas sur le point de perdre la guerre. Ce constat est d’autant plus visible lorsque l’on met en perspective la tournure du conflit avec l’ampleur et la persistance du soutien international (84 milliards de dollars selon les chiffres datés du 3 août par l’Institut Kiel pour l’économie mondiale). Les offensives survenues début septembre ne peuvent constituer encore une preuve, à l’heure actuelle, que les forces ukrainiennes sont en passe de récupérer les territoires perdus.

Ces affrontements en Ukraine ont pour conséquence géopolitique de faire se dresser à nouveau l’un contre l’autre l’Occident et la Russie. Cette intense polarisation de la politique internationale, fait de ce constat accablant un message envoyé par Poutine aux pays du monde : un nouvel ordre international est envisageable.

Au sujet de la rebattue des cartes géopolitiques, la presse internationale a eu le loisir de décrire, ces dernières semaines, les ballets diplomatiques qui ont fait virevolter dans leurs avions les chefs d’États de ce monde, dans le but de convaincre et d’asseoir les zones d’influences de chacun. Le plus marquant étant les deux dernières semaines de Juillet, où simultanément Emmanuel Macron, Joe Biden et Sergueï Lavrov (ministre russe des Affaires étrangères) étaient en voyage en Afrique et au Moyen-Orient. Cela révèle bien que la situation apparaît comme des plus préoccupantes, et pour autant, très périlleuse pour l’influence des pays occidentaux dans ces régions. De fait, il est question de perdre des soutiens et alliés, parfois au profit directe de la Russie.

Après s’être fait exclure des négociations et des opérations militaires en Syrie et en Irak, c’est en Afrique que la voix des occidentaux perd dorénavant de son poids. Au Mali, les forces françaises n’ont ni plus ni moins été remplacées par des troupes de l’organisation privée Wagner, à la solde du gouvernement russe. Les jeux d’influences gagnent ce que la paix et la stabilité perdent bien souvent.

La rebattue des cartes géopolitiques par le croupier chinois

Le sommet de Samarcande intervient donc dans le contexte d’une accélération de la remise en cause de la suprématie de l’Occident, de l’OTAN, des États-Unis et de l’ordre mondial établi depuis 1945, par des pays jusque-là considérés comme « émergents ». Cette organisation a la particularité de réunir nombreux de ces acteurs secondaires de la scène internationale. Les différents chefs de ces États au sentiment de laissés-pour-compte, se sont rencontrés successivement en assemblée plénière et lors d’échanges bilatéraux.

Durant ces deux jours se sont donc retrouvés Xi Jinping (sorti de Chine pour la première fois depuis la pandémie), Vladimir Poutine, le président turc Erdogan, le Premier Ministre indien Narendra Modi, ou encore le président iranien Ebrahim Raïssi. Si les différents ordres du jour de ces entretiens sont bien entendu restés secrets, nous ne pouvons douter de la pluralité des sujets abordés mais tendant tous vers la recherche de la nouvelle place qu’ils veulent occuper dans le monde.

L’OCS peut s’être fixée plusieurs objectifs. La première chose que l’on peut tirer des allocutions et mots confiés à la presse par les acteurs de ce sommet, est l’indépendance revendiquée qu’ils affichent vis-à-vis de l’Occident et de ses institutions internationales. Les Chinois, absolument prépondérants durant ce sommet, insistent particulièrement sur l’idée que sont représentés plus de 40 % de la population mondiale et 24 % de sa richesse durant ces deux jours. La deuxième chose que l’on peut penser des comportements observés durant cette réunion de l’OCS, est une volonté d’harmoniser les discours et les actes face aux mois de crises que traverse le monde, ce que rappelle Xi Jinping dans son allocution à la grande table des pays réunis le premier jour : « L’épidémie inédite depuis un siècle n’a pas encore été éradiquée. Les conflits régionaux regagnent du terrain. La mentalité de la guerre froide et la politique des blocs ressurgissent. […] Les déficits de paix, de développement, de confiance et de gouvernance continuent de se creuser. L’humanité se trouve à la croisée des chemins face à des défis sans précédent ».

Que conclure ?

Il y a péril pour la diplomatie occidentale. À deux mois du G20, les soutiens s’amenuisent, les alliés ne sont plus fiables, la grogne s’exprime chez les pays en développement qui se réunissent, et la crédibilité s’effrite du siège des Nations Unies. Au milieu d’un bras-de-fer engagé en Europe, le sommet de Samarcande en Ouzbékistan rend compte du jeu diplomatique qui se prépare assurément contre les pays occidentaux, jusque-là seuls détenteurs légitimes – et auto-proclamés – de la paix et de la guerre dans le monde. Après ce sommet, de nombreux sujets restent en suspens et à venir : Taïwan, l’Ukraine, l’Afrique, le terrorisme mondial, l’Afghanistan ainsi que la paix. Il semblerait que les discussions autour de ces sujets ne vont cesser de se durcir entre les pays occidentaux et ceux jusqu’à présent considérés comme émergents.

Tout ceci pose question sur l’approche exprimée par les pays occidentaux depuis plusieurs décennies, et des rapports de forces géostratégiques qu’ils ont mis en place. Ils perdent petit à petit le contrôle de la scène internationale, et leurs choix récents, notamment concernant l’offensive économique aveugle des Européens contre les Russes, ou le soutien très médiatisé à Taïwan par les États-Unis, en sont autant de preuves. L’escalade est un chemin que l’on sait maintenant périlleux, puisque malgré un monde où la dissuasion nucléaire est omniprésente dans les esprits, la guerre est de nouveau possible.

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