Cette fin d’année 2023 marque une tendance jusque-là assez discrète dans le rap français : celle des albums communs. Gazo et Tiakola, Isha et Limsa mais aussi prochainement Zola et Koba la D, les connexions dans le rap n’ont jamais semblé aussi fluides…
L’alchimie est gangx
Sorti le 1er décembre, l’album La mélo est gangx vient consacrer une entente musicale datant de nombreuses années. Les deux rappeurs se côtoyaient déjà lorsque Tiakola était un membre du groupe 4Keus et que Gazo rappait sans grand succès sous le nom de « Bramsou ». Leur première collaboration remonte à cette époque. Mais leur alchimie s’est montrée au grand public en 2021 avec la sortie du morceau Kassav, désormais certifié single de diamant. Depuis, d’autres featurings ont reçu des certifications, l’efficacité de leurs collaborations n’étant désormais plus à prouver.
Aujourd’hui, Tiakola et Gazo sont des têtes d’affiche du rap francophone, enchaînant les succès avec leurs différents albums. Dans ce contexte plein de réussites, les deux compères ont annoncé le 27 novembre dernier la sortie d’un album commun. Le public n’eut pas besoin d’attendre longtemps, le projet étant sorti seulement quelques jours plus tard.
Dans cet album ne figurent pas de gros hits, hormis peut-être « 100k », morceau drill dont Gazo est probablement la vitrine du genre en France. Pourtant cette absence de morceau sortant du lot (que certains fans attendaient sûrement) permet finalement d’avoir un projet équilibré. La connexion entre Tiakola et Gazo semble logique et même naturel tout au long de l’album. Malgré un accueil relativement mitigé à sa sortie, force est de constater que La mélo est gangx est un projet commun cohérent qui fonctionne, à l’image du travail de ses deux créateurs depuis plusieurs années.
Isha + Limsa = Rap caviar
Dans un autre genre, Isha et Limsa d’Aulnay ont eux aussi sorti un projet commun après plusieurs années de collaboration. En écoutant des morceaux comme Starting Block et Modou, on en apprend beaucoup sur les deux rappeurs. Déjà les deux artistes rappent extrêmement bien, avec une plume et des références particulières. Ensuite, leurs univers à chacun se marient à la perfection. Enfin, la dernière leçon à tirer est que les deux se comprennent et se mélangent aisément sur une même production.
Dès lors, l’idée d’un projet commun n’a ni mis du temps à venir ni surpris leurs auditeurs. Le 13 octobre est sorti le clip d’Inna di club, premier single de l’EP Bitume Caviar vol.1. En plus d’un visuel réussi, le morceau annonce la couleur : le projet sera parmi ce qui se fait de mieux en rap. Le 1er décembre, le même jour que La mélo est gangx sort donc Bitume Caviar vol.1. Grâce à leurs plumes affinées, Isha et Limsa écrivent des textes techniques et imagées. Plongeant l’auditeur dans leurs récits, ils racontent leurs expériences et leurs réflexions. Comme l’indique son titre, le projet parle de la rue mais d’une manière recherchée et dans une écriture au goût particulier, que peu de rappeurs sauraient égaler aujourd’hui.
Zoba la D : album en vue
Autre connexion, cette fois-ci moins prévisible et dont l’annonce a fait l’effet d’une bombe : celle de Zola et Koba la D. Le 18 novembre lors de son Zénith, Zola dévoile un teaser surprise. Une vidéo annonçant l’arrivée prochaine d’un album en commun avec Koba la D. Pourtant, les deux artistes du 91 semblaient s’empêtrer dans une guerre froide, à coups de clashs interposés. Le grand public n’a cependant jamais eu d’explication sur leur embrouille et aucun dérapage n’était à noter.
Suite à la diffusion du teaser, Zola a déclaré « C’est aussi ça le rap français. Il y a des guerres, mais aujourd’hui c’est l’union. Préparez-vous parce que ça va être chaud ».
Le timing et la communication sont maitrisés. Depuis des années que les fans réclamaient un simple featuring, ils apprennent par surprise qu’ils auront le droit à un album en commun. De quoi créer de l’attente pour deux artistes aux chemins parallèles mais si semblables…
Un phénomène assez rare dans le rap français
En France, la sortie d’albums communs se fait extrêmement rare depuis toujours. A quelques exceptions près dans les années 2000 et 2010, l’idée de l’album commun est revenue dans le rap game avec Horizon Vertical de Vald et Heuss l’Enfoiré, dont l’annonce avait créé la surprise fin 2020. Bien que qualitatif et prouvant que les deux artistes ont su mélanger leurs univers musicaux, l’album n’a pas su conquérir le public. En effet, le public français semble assez réticent à ces albums communs entre deux artistes. Pour Horizon Vertical, la distance entre la communauté de fans de Vald et celle d’Heuss l’Enfoiré peut être une explication de ce relatif échec commercial.
Pourtant, des artistes très proches ont aussi sorti des albums communs ces deux dernières années. Ayant déjà rencontré le succès avec leurs featurings, des duos comme Kaaris et Kalash Criminel ainsi que Freeze Corleone et Ashe 22 ont eux aussi déçu leur public. Pour les explications, ils seraient ici plus simples de miser sur une trop grande attente du public et des projets sans grandes innovations et prises de risques.
L’exemple des Etats-Unis
De l’autre côté de l’Atlantique, les albums communs font bien plus consensus. Des sorties bien plus régulières avec la présence de grands noms ont familiarisé le public avec cette idée de projet commun. Pour les artistes, ça n’est plus une exception mais pratiquement un passage obligatoire dans une carrière. L’album commun fait pleinement partie de la culture rap américaine depuis plusieurs décennies. La preuve en est qu’on pourrait en citer quantité d’exemples. La collaboration la plus marquante est peut-être celle entre Kanye West et Jay-Z en 2011 sur Watch the Trone. Au sommet du rap, les deux amis de l’époque s’étaient réunis pour sortir un des meilleurs exemples du genre.
Certaines têtes d’affiche du rap apparaissent même sur plusieurs de ces projets. Drake est par exemple coutumier du fait, avec What a Time to Be Alive avec Future ou encore plus récemment Her loss avec 21 Savage. Future a de son côté déjà réalisé plusieurs albums communs et en préparerait un avec le producteur Metro Boomin. 21 Savage avait lui déjà réalisé le très bon Without Warning avec Offset et encore une fois Metro Boomin. Un dernier exemple pourrait être l’album sorti par Travis Scott et Quavo, prenant le nom de groupe « Huncho Jack » le temps d’un projet. Tous ces albums ont rencontré un certain succès tant critique qu’en termes de ventes. Le débat de l’importance et de la réussite de ces projets en commun apparaît comme dépassé depuis longtemps outre-Atlantique.
Pour ce qui est du rap français, la sortie d’albums communs semble prendre une place grandissante dans l’esprit des artistes. Il reste désormais à voir si ce phénomène saura conquérir un public français jusque-là frileux à propos de ces connexions.
1 comment
Très bonne article sur la tendance du projet en commun. Une alchimie entre deux artistes souvent naturel et donc logique pou réaliser un tel projet. Le futur du rap français ne pourra que mieux se porter après ce renouveau.
Merci Quentin !!