Une envie de dictature pressante, vous pouvez appeler Yoon Suk-yeol ! Début décembre a eu lieu un événement politique inattendu en Corée du Sud. Le président au pouvoir, Yoon Suk-yeol, a annoncé, mardi 3 décembre, dans une allocution, qu’il mettait en place la loi martiale. Celles-ci signifient l’instauration dans un pays d’un état juridique d’exception, au sein duquel l’armée assure le maintien de l’ordre à la place de la police ou en collaboration avec celle-ci.
La justification est la suivante : « pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’État ». Les éléments qu’ils jugent hostiles à l’État sont ni plus ni moins que les membres du parti démocrate (ses opposants politiques) qui ne sont pas en accord avec son projet de budget en 2025.
En réalité, cela s’apparente grandement à une tentative de coup d’Etat légal. Les militaires en poste ont d’ailleurs confirmé que ce dernier avait pour but de prendre le Parlement.
Concrètement, cette loi interdit toute activité politique, la « fausse propagande », les grèves ainsi que les « rassemblements qui incitent à l’agitation sociale ». Conséquence, le personnel médical, dont certains étaient grévistes, risquaient des sanctions graves s’ils ne reprenaient pas le travail dans les deux jours . Les médias eux aussi ont été placés sous l’autorité de la loi martiale. Heureusement, très vite ses ambitions ont été réduites à néant.
Une folie vite freinée
La déclaration du président Yoon a provoqué une onde de choc dans tout le pays, qui n’a pas connu de loi martiale depuis 1980. La Corée du Sud se veut démocratique même si cela n’est pas si simple que cela.
« Le bon fonctionnement de la démocratie est relativement nouveau par rapport à ce qui se passait. C’est un pays qui a connu pas mal d’épisodes plus ou moins démocratiques. Les Jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang en 2018 ont aidé à une certaine stabilisation. La Corée du Sud est devenue un pays plus ouvert, plus démocratique. Et cela continuait, enfin semblait continuer à l’être récemment », explique Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
Malgré cette démocratie fragile, une telle décision a immédiatement fait réagir. Dès son instauration, le chef de file de l’opposition Lee Jae-myung s’est offusqué d’une telle décision jugée illégale. 190 députés se sont rendus dans la foulée à l’Assemblée votant à l’unanimité l’abrogation de la loi martiale. Le cauchemar a duré un peu plus de deux heures.
Une contestation populaire
Suite à ce séisme politique, le peuple coréen n’a pas tardé à sortir dans la rue. Dès le mardi soir en plein nuit des manifestants se sont rassemblés devant l’Assemblée en scandant « Arrêtez Yoon Suk-yeol ». Depuis ce jour, des milliers de manifestants se rassemblent tous les jours pour défendre la démocratie sud-coréenne.
Malgré ce taulé retentissant, Yoon Suk-yeol ne compte pas rendre les armes pour autant. Le jeudi 12 décembre, il a déclaré, lors d’une nouvelle allocution surprise, « Je me battrai jusqu’au bout. ». Ce dernier nie avoir voulu faire un coup d’Etat et a fustigé la réaction de l’Assemblée nationale. Il les a accusés d’affaiblir le pays face aux trafiquants de drogue, aux espions étrangers, de briser sa renaissance nucléaire…
Un président déchu
Malgré sa résistance, le président sud-coréen semble mort politiquement. Le premier vote pour sa destitution a échoué néanmoins le deuxième cette fois-ci lui a été fatal. Le samedi 14 décembre, un total de 204 députés ont voté pour la motion et 85 contre, 3 députés se sont abstenus et 8 bulletins ont été déclarés nuls, d’après le résultat annoncé par le Président de la Chambre. Cela suffit, il fallait qu’au moins 200 des 300 députés votent en faveur de la motion. L’opposition se réjouit de sa destitution qu’elle juge comme la victoire de la démocratie. Des milliers de partisans s’étaient d’ailleurs rassemblés devant l’Assemblée nationale et ont laissé exploser leur joie au moment du résultat.
Attention tout de même, il faut encore que celle-ci soit confirmée par la Cour constitutionnelle. Cette dernière à 180 jours pour se prononcer, durant ce laps de temps, l’intérim sera assuré par le Premier ministre Han Duck-soo. Pour Yoon Suk-yeol, la fête est finie et son avenir politique s’assombrit. Il lui reste tout de même une dernière lueur d’espoir. En 2004, la destitution de Roh Moo-hyun est invalidée par la Cour constitutionnelle. Néanmoins, cela est peu probable.
Au revoir ou adieu ?
« Il va peut-être y avoir une chasse aux sorcières. Le ministre de la Défense a déjà été arrêté. Et je pense qu’il y a eu pas mal d’autres mises à l’écart de personnages proches du gouvernement. Il y a donc peu de chances qu’on le revoie après, en cas de prochaine élection. Il ne sera plus sur le devant de la scène », met en exergue Jean-Vincent Brisset.
La démocratie sud-coréenne ne sortira pas indemne de cet épisode. Même s’il faudra encore un peu de patience pour que Yoon Suk-yeol soit totalement écarté de la vie politique, la démocratie semble avoir gagné. Dans un pays où celle-ci reste encore fragile, il va falloir surveiller les prochains mois avec attention. La Corée du Sud n’était pas loin de prendre l’accent du Nord, on a échappé belle !