À en croire Gérard Collomb, l’accueil du navire Ocean Viking crée “un précédent” dans la gestion de la crise migratoire. Autre récupération politique de la part de l’ancien ministre de l’Intérieur ou conviction profonde ? L’interview accordée au Point dimanche dernier prouve que la décision divise, au moment de voter le futur projet de loi immigration.
Accueil des réfugiés : assigner un port “sûr”
Tout commence fin octobre, quand six opérations de secours sont effectuées par SOS Méditerranée, au large de la Libye. L’Ocean Viking ère ensuite pendant dix jours dans les eaux territoriales italiennes sans que celle-ci lui donne l’autorisation d’accoster.
Le refus italien d’accueillir l’Ocean Viking est alors jugé contraire au droit international. L’Organisation maritime internationale (OMI) stipule ainsi l’obligation de débarquer “en lieu sûr” toute personne en danger, soit dans un emplacement “[…] où la vie des survivants n’est plus menacée et où on peut subvenir à leurs besoins fondamentaux”. L’obligation mène l’Italie, comme la France, à se tenir responsables de la mise en danger des 234 réfugiés.
La présidente italienne Giorgia Meloni veut alors légitimer son appel à une plus grande solidarité européenne dans la gestion de la crise migratoire. Le lendemain, ces propos sont avalisés par la Commission européenne, invitant “à travailler ensemble pour fournir une réponse commune”.
Un “accueil” français en demi-teinte
Devant le refus catégorique de l’Italie d’ouvrir ses ports de Sicile, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin annonce, jeudi 10 novembre, l’ouverture du port de Toulon. Une décision prise “à titre exceptionnel” en vertu d’un “devoir d’humanité”, assure le gouvernement. En effet, contraindre l’Ocean Viking à faire demi-tour aurait condamné les 234 réfugiés à une mort certaine, d’après leurs défenseurs.
Sur le territoire national, ces derniers voient leur éligibilité à l’asile étudiée par l’Office française de protection des réfugiés (Ofpra). Une question qui se pose particulièrement pour les ressortissants bangladais, érythréens et syriens. Déjà 44 d’entre eux doivent être reconduits, selon une annonce du ministre mardi dernier.
La problématique des expulsions fait surtout écho au projet de loi immigration, présenté de concert fin octobre par le ministre du Travail Olivier Dussopt et le ministre de l’Intérieur. Le projet doit être examiné en janvier 2023. Il veut notamment faciliter la mise en œuvre des Obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il prévoit aussi la création d’un titre de séjour “métiers sous-tension” pour les travailleurs immigrés.
Déjà hostiles au ralliement du projet, les oppositions de droite et d’extrême droite expriment leurs craintes. Elles évoquent le revers d’Emmanuel Macron qui, lorsqu’une situation similaire s’était présentée en 2018, avait refusé d’accueillir le navire Aquarius. Les 630 réfugiés avaient finalement été dirigés vers Valence, en Espagne.
Mobilisations à droite
En 2018, le président avait justifié son refus par le climat de tensions qui secouait le spectre politique. “Si je suivais cette voie, elle ferait basculer le pays vers les extrêmes”, avait-il dit. Mais force est de constater que la situation n’est pas plus stable aujourd’hui.
Pour preuve, les nombreuses dissensions qui accompagnent, depuis plusieurs semaines, la question de la politique migratoire française. D’abord, les manifestations de militants d’extrême droite après le meurtre de Lola, relancent mi-octobre le débat sur les OQTF. Le sort de l’Ocean Viking provoque aussi les propos, jugés racistes par LFI, du Grégoire de Fournas. Le député du Rassemblement national avait ainsi crié “qu’il(s) retourne(nt) en Afrique” au cours de l’intervention du député insoumis Carlos Martens Bilongo.
Comme le souligne le journal Le Monde, même les députés Les Républicains les plus modérés critiquent le discours nouvellement “humaniste” du gouvernement.
La vérité, c’est que nous avons fait preuve d’humanisme, quand vous faites de la politique politicienne
Gérald Darmanin, à l’Assemblée Nationale mardi, en réponse à la députée RN du Var Laure Lavalette
Au sujet du navire, le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin consacre une dizaine de tweets à “l’erreur” commise selon-lui par le gouvernement. Il affirme que ce dernier “cède” à “ceux qui se réjouissent en silence de voir arriver une main-d’œuvre bon marché”. Une critique indirecte au projet d’un titre de séjour “métiers en tension”, objet du projet de loi immigration.
En Europe : “échec total” dans la gestion de la crise migratoire
Aborder le problème européen pourrait-il aider à préciser la politique migratoire française ? La directrice de SOS Méditerranée, Sophie Beau, y voit plutôt “l’échec total des États européens à mettre en place un mécanisme de sauvetage et de débarquement pérennes”.
Ce qui pose question, c’est donc bien la capacité à mettre en place une solidarité supranationale. Certes, deux tiers des 234 réfugiés de l’Ocean Viking seront répartis dans 10 autres pays européens. Mais sous prétexte de sanctions contre l’Italie, la France suspend sa participation au mécanisme global de relocalisation. Engagé en juin dernier, celui-ci prévoit de répartir 8000 réfugiés entre douze États membres de l’Union européenne.
La France devait, entre l’été 2022 et l’été 2023, accueillir 3500 migrants parmi ceux arrivant aux portes de l’Europe. De quoi décharger légèrement sa voisine, qui annonce avoir accueilli 90 000 migrants cette année, selon le ministre de l’Intérieur italien.