Le suspens n’aura finalement pas duré deux semaines comme prévu. La loi Immigration et ses 2 600 amendements ne seront pas étudiés. La menace qui planait au-dessus de la loi Immigration a fait ses effets. C’est au terme d’une journée pleine de rebondissements que la motion de rejet a été adoptée.
Un texte trop faible pour la droite
Le texte est d’abord passé entre les mains du Sénat et en est ressorti profondément plus à droite qu’il ne l’était. Sous la présidence de Gérard Larcher, le Sénat a une majorité d’élus Républicains. La loi a donc été durci pour le renforcement des mesures de contrôle et la suppression de toutes les avancées en termes d’intégration. Le texte se voulait comme un compromis qui aurait pu plaire des deux côtés de l’hémicycle. Après le Sénat, c’est la Commission des lois de l’Assemblée nationale qui a pu ajouter ou supprimer certaines parties du texte.
Parmi les mesures supprimées, on a notamment parlé de la suppression de l’aide médicale d’État par le Sénat. Selon les services publics, l’aide médicale d’État est “un dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Elle est attribuée sous conditions de résidence et de ressources”. Cette aide devait être remplacée par une aide médicale d’urgence. Avec celle-ci, une liste réduite de soins pour les personnes en situation irrégulière aurait été établie. 3 500 médecins avaient par ailleurs protesté contre cette mesure dans une tribune.
Tous avaient affirmé qu’ils continueraient de soigner :
“Moi, médecin, déclare que je continuerai à soigner gratuitement les patients sans-papiers selon leurs besoins, conformément au Serment d’Hippocrate que j’ai prononcé.”, pouvait-on lire dans leur “Déclaration de Désobéissance”
Néanmoins, lors du passage de l’amendement en Commission des lois, cet ajout, qui n’était pas proposé par le gouvernement, a été supprimé.
Le moment où Darmanin vacille
On se souviendra longtemps de ce 11 décembre 2023 pour ses scènes de liesse au Palais Bourbon. Toute la journée, des tractations et chuchotements ont animé l’Assemblée nationale. Avant de commencer les deux semaines de négociation, l’institution devait d’abord voter la motion de rejet proposée par les écologistes. D’après l’article 91 du règlement de l’Assemblée nationale, la motion de rejet a pour objet de “faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer”. Cette motion a surtout pour effet de ne pas examiner le texte en question. Quelques jours plus tôt, lors d’une interview au média Brut, Gérald Darmanin avait soutenu qu’il serait “étonnant que les députés qui représentent les Français ne voudraient pas discuter du sujet”.
Toute la journée, les groupes ont joué “au poker menteur” comme l’expliquait une députée Horizons. La veille, le Rassemblement national avait tenté de brouiller les pistes sur le vote de ses députés. Puis, en fin d’après-midi, la rumeur de leur vote pour la motion a commencé à se dessiner. C’est à ce moment que les députés Républicains ont quitté leurs bancs pour réfléchir à une position commune. Une députée socialiste raconte au journal Le Point: “On a fait chauffer la calculette. Les résultats de nos calculs changeaient toutes les cinq minutes”. Tous les élus de la NUPES étaient présents pour l’occasion, pour eux chaque voix compte.
Pourtant, à 17h43, l’Assemblée nationale a adopté la motion de rejet sous les cris de joie des oppositions. 5 voix auront manqué à la majorité présidentielle pour éviter cette nouvelle crise. 5 députés du groupe Renaissance étaient absents lors du vote. Éric Ciotti, président du parti Les Républicains, s’est ensuite exprimé sur les raisons du vote de la motion par son groupe. Il expliquait en sortant de l’hémicycle :
“Nous voulons un texte qui réponde aux vrais défis, nous voulons débattre et adopter dans son intégralité, sans ajout, sans modification le texte du Sénat et nous voulons une réforme très claire de la Constitution, telle qu’elle a été brutalement rejetée sans ménagement par la majorité. Le défi migratoire ne peut supporter des demi-mesures”.
Eric Ciotti, député Les Républicains.
Une démission rejetée et un Conseil des ministres avancé
À 20 heures, Gérald Darmanin apparaît au journal de TF1. Questionné sur son avenir au sein du gouvernement, il répond :
“Je suis un homme d’honneur et le Parlement compte. Il fallait que le président tranche. Il a tranché.“.
Il continue ensuite sur l’avenir de son projet de loi qu’il ne compte donc pas abandonner. À ce moment, deux possibilités étaient sur la table : le renvoi du texte au Sénat ou la convocation d’une commission mixte paritaire. Dans les deux cas, la balle reviendrait dans le camp de la droite républicaine et le texte serait de nouveau durci.
Face à cette union des oppositions, d’autres scénarios pourraient se dérouler comme une dissolution de l’Assemblée ou un remaniement gouvernemental. Jordan Bardella, Président du Rassemblement national, rappelait d’ailleurs sur BFM TV, qu’il accepterait d’être “un Premier ministre de cohabitation“.
À la sortie du Conseil des ministres, mardi 12 décembre, le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a annoncé que le texte serait finalement renvoyé en commission mixte paritaire (CMP). 7 députés et 7 sénateurs se réuniront pour tenter de trouver une vision commune sur ce projet de loi. Le gouvernement devra maintenant s’atteler à conquérir les dernières voix des Républicains pour espérer faire passer la loi sans 49.3 et sortir de la crise.