Mercredi 7 septembre les 5 prévenus, Bernard Laporte (président de la FFR), Mohed Altrad (président du MHR et du groupe Altrad AIA), Serge Simon (vice-président de la FFR), Claude Atcher (ancien dirigeant de Score XV) et Benoît Rover (dirigeant de Score XV) se sont pour la première fois présentés devant les procureurs Me Vey et Me Collin. L’occasion pour Rose-Marie Hunault, présidente de la 32e Chambre du tribunal correctionnel de Paris de revenir sur les faits qui sont reprochés à chacun des prévenus.
Le contrat d’image
Seulement deux mois après avoir été élu président de la Fédération Française de Rugby, Bernard Laporte, a signé un contrat d’image avec le groupe de Mohed Altrad AIA pour un montant de 180 000 € le 19 février 2017. Cela ne poserait aucun problème si Mohed Altrad n’était pas également le président d’un club de Top 14 : Montpellier Hérault Rugby (MHR), d’autant que comme le dévoile la présidente Rose-Marie Hunault « Vous (B. Laporte) y êtes présenté (dans le contrat) aussi comme président de la FFR. C’est l’exploitation de cette image-là, monsieur. » L’ancien sélectionneur du XV de France lui maintien « Il n’y a pas de conflit d’intérêts. (…) Quand je donne mon image, les choses sont bien distinctes. Je suis président de la FFR, mais cela n’a rien à voir. »
Pourtant, le conflit d’intérêt relève du bon sens. Un président d’une fédération ne peut pas être rémunéré par un président de club. Le mal ne s’arrête cependant pas là, car si à peine trois semaines de la signature du contrat, les 180 000 € ont étaient viré des comptes du groupe Altrad vers ceux de B. Laporte, les prestations elles n’ont jamais été réalisées.
Le contrat d’image fut le premier caillou dans la chaussure de deux protagonistes de l’affaire Laporte-Altrad, son existence a été dévoilé par le JDD le 13 août 2017. Il n’était, selon B. Laporte, en aucun cas dissimulé : « M. Laporte n’avait pas à faire état de ce contrat privé auprès des services ou de membres de la FFR dès lors qu’il n’a pas été conclu en sa qualité de président de la FFR et que la FFR n’y était pas partie ». Pas si privé que ça, le contrat tant dans les termes (voir en amont) que dans sa résiliation qui s’est faite via un communiqué officiel non pas de Bernard Laporte en tant qu’individu, mais bien au travers un communiqué officiel de la FFR le 28 août 2017. Soit à peine quelques semaines après que l’existence de ce contrat soit connu de tous…
Cette résiliation, est-elle preuve d’une prise de conscience de la part de l’ancien secrétaire d’État de François Fillon ? Non pas si l’on en croit les termes des déclaration qui laisse apparaître une stratégie de communication pour préserver l’image de l’homme. « Ce renoncement doit faire cesser toute forme de suspicion à l’encontre de M. Laporte. »
Le contrat étant résilié, Bernard Laporte devrait donc logiquement rendre les 180 000 € au groupe Altrad, mais non. Il faudra attendre l’arrivée du procès pour que la somme soit intégralement remboursée 3 semaines avant le début des audiences. Mais alors, pourquoi Mohed Altrad n’a-t-il pas réclamé son argent avant ? Cette somme d’argent, avait-elle comme seul et unique but le rachat de l’image du président de la FFR ou bien un accord caché relié les deux hommes ?
Le sponsor maillot
Les contrats des principaux partenaires du XV de France (BMW, Orange, Société Générale, GMF) s’élèvent à 9,9 M € par saison. En mars 2017, la France est candidate à l’organisation de la Coupe du Monde. Elle décide même d’inscrire la mention « #France2023 » sur l’avant du maillot bleu, accompagné d’un sponsor qui soutient la candidature. La décision concernant le choix du pays organisateur a lieu 8 mois plus tard. Le sponsor sera donc sur le maillot pour 5 à 7 matchs. Mais alors comment expliquer la somme dérisoire de 1,5 M € déboursé par le groupe Altrad pour obtenir ce contrat ?
Selon B. Laporte, les autres sponsors précédemment cités, ont été consultés lors d’une réunion à Londres le 3 février 2017. Mais aucun n’aurait souhaité prendre part au contrat : « J’y étais. Ils ont été consultés. À partir du moment où nos partenaires ne veulent pas nous donner de l’argent, on va en chercher. C’est du commerce. Je suis désolé ». Une version contredite par Serge Simon, vice-président de la FFR, chargé du marketing, qui, en garde à vue, avait confié qu’il n’y avait pas eu de discussion autour d’un sponsor lors de cette même réunion.
De plus, les enquêteurs ont retrouvé dans les mails de ce dernier, des plaintes de la part des principaux partenaires de la FFR s’offusquant d’apprendre par la presse que Altrad devenait le nouveau sponsor maillot. Face à ces contradictions, le président de la FFR bote en touche : « C’est Claude (qui a proposé la somme). Moi, je ne suis pas capable de vous dire que cela vaut 1,5 M €. Je sais que M. Altrad vous a dit que c’était moi, mais il s’est trompé. »
Même réponse, lorsque que la présidente demande des précisions sur l’analyse marketing, que la fédération dit avoir réalisé, « C’est Claude ». Lorsque Bernard Laporte tente d’argumenter, il s’enlise à nouveau. Alors que, aucun appel d’offres ne fut réalisé, il déclare « S’il y avait eu un partenaire à 2,5 M €, on serait allé vers lui. » Ce à quoi le président rétorqua qu’il aurait déjà fallu faire un appel d’offres pour connaître les sommes qui étaient prêts à engager les partenaires.
Une fois la candidature de la France validée, un nouveau contrat de sponsor maillot est passé entre la FFR et le groupe Altrad sur la période 2018-2023 pour un montant de 5,4 M € par saison, ainsi que des primes. Une nouvelle fois bien loin des 9,9 M € par saison déboursés par les autres partenaires.
Cette fois, un appel d’offres a bien été mis en place (de seulement deux semaines), mais ce dernier n’était présent que pour la forme. Ce sont d’ailleurs les avocats de Mohed Altrad qui ont suggéré à la FFR de publier cet appel d’offres une fois, un pré-accord conclut entre les deux parties. En effet, des mails entre Claude Atcher et Mohed Altrad confirme qu’un accord de principe est trouvé pour la somme de 5,4 M €, et ce, dès l’été 2017. Le président de la FFR est en copie d’un autre mail dans lequel Mohed Altrad se félicite de l’accord. Il demande même après consultation de ces avocats qu’un appel d’offre soit émis.
Face à le président B. Laporte bottera de nouveau en touche « Je ne me souviens pas si c’est lui […] Mais encore une fois, je n’ai pas validé ce contrat. » Si pour le contrat de sponsor « #France2023 » B. Laporte avait délégué entièrement la tâche à Claude Atcher (voir ci-dessus « C’est Claude (qui a proposé la somme). Moi je ne suis pas capable de vous dire que cela vaut 1,5 M € ». Cette fois il était, selon ces propos, bien au fait des valeurs de ces sommes et se serait opposé à ce nouveau contrat. « Claude m’appelle pour me dire qu’Altrad propose 5,4 M € plus des primes, et c’est MOI qui dit que ça n’est pas assez et qui dit que l’on redéfinit un prix pour le présenter à tous les partenaires ». Une déclaration qui rentre en opposition avec l’ensemble des éléments de l’enquête et autres témoignages.
Les interférences avec la Ligue National de Rugby
Les différents entre la Ligue National de Rugby (LNR) et la Fédération Française de Rugby (FFR) ne datent pas d’hier. Dans le cadre du procès Laporte-Altrad, deux décisions de la LNR concernant le club de Montpellier présidé par Mohed Altrad seront remises en cause par le président de la FFR lui-même.
Tout d’abord en mars 2017, la fusion entre les deux clubs de la capitale le Stade Français et le Racing 92 fut avortée, la LNR décida, dans ce climat particulier, de faire reporter les matchs de la semaine de ces deux clubs, à savoir Castres-Stade Français et Montpellier-Racing. Mohed Altrad président de Montpellier s’oppose à cette décision et contacte le service juridique de la FFR pour demander le maintien du match ce qui entraînerait une victoire sur tapis vert en cas de non-présence des Racingmen.
Le service juridique de la Fédération lui aurait émis des doutes sur la légalité de sa demande. Mohed Altrad décide alors de contacter directement Bernard Laporte (qui, à ce moment-là, avait déjà reçu les 180 000 € du contrat d’image). « Je confirme que Bernard Laporte m’a bien appelé. Nous sommes tombés d’accord tous les deux pour que le match soit maintenu. » L’ancien sélectionneur des Bleus avait pourtant préalablement nié s’être entretenu avec le président du MHR sur ce sujet. Une nouvelle contradiction notera la présidente. Bernard Laporte organise un bureau fédéral exceptionnel qu’il présidera et, durant, lequel il prendra part au vote qui aboutira à la réfutation de la décision de la LNR.
Encore une fois, le président de la FFR semble ne pas voir de conflit d’intérêt dans le fait de prendre part au vote qui concerne un club dont le président le rémunère. S’il fallait une preuve de la position ambiguë de la FFR dans ce dossier, un courriel concernant l’affaire provenant de la FFR et à destination de la LNR était envoyé préalablement en relecture au président du MHR Mohed Altrad.
Le président de la Fédération justifiera cette action, avant de botter en touche, comme à son habitude. Et d’en reconnaître l’absurdité. « Pourquoi ce courrier ? Si Serge Simon l’a envoyé, c’est que c’était un club ami et que M. Altrad est quelqu’un de brillant. (…) Ce n’est pas moi qui ai demandé cette relecture. (…) À postériori, ce n’était pas une bonne décision, puisque M. Altrad était concerné par cette histoire. » Un arbitre fut envoyé par la FFR à Montpellier, pour constater le forfait du Racing. Mais aucun arbitre à Castres pour le forfait du Stade Français…
Une nouvelle fois, B. Laporte tentera maladroitement de justifier cette décision : « Pour moi, les choses étaient claires. Les joueurs du Stade français étaient en grève, pas ceux du Racing. Leur capitaine, Henry Chavancy, avait déclaré qu’ils voulaient tous jouer. Son président, M. Lorenzetti, lui, a dit qu’il ne voulait pas, ce n’est pas acceptable. Où est l’équité sportive ? Castres n’a pas l’effectif pour jouer trois matches en dix jours en cas de report. »
Le 29 juin 2017, la Commission d’appel de la FFR maintient une décision prise part la LNR à l’encontre du club de Mohed Altrad (le MHR). Une amende de 70 000 € et 1 match de suspension de stade. Mais dès le lendemain, les sanctions se retrouvent changées par M. Simonet, président de la commission d’appel de la FFR, alors que comme le certifie Camille Denuziller, la juriste de la FFR présente pendant la séance du 29 juin, la décision prise était ferme et arrêté.
Alors qu’est ce qui a bien pu pousser M. Simonet a changé la décision jusqu’à ramener l’amende au montant planché de 20 000 €. Puis a supprimé le match de suspension, et même a réduire les suspensions de deux joueurs de l’effectif montpelliérain. Bernard Laporte est une nouvelle fois au centre de ces manœuvres douteuses.