Les prémices d’une union sacrée
Ce que le film ne dit pas, c’est que Joséphine n’est pas la première femme de la vie de Napoléon. En 1793, alors que la famille Bonaparte quitte la Corse pour Marseille en pleine Révolution, elle se lie d’amitié avec les Clary dont le patriarche François est un riche marchand de soie. Ils vont rapidement conclure deux unions. Les aînés des deux familles Joseph et Julie vont ensuite se marier en 1794 tandis que Napoléon est promis à la seconde fille Clary, Désirée. C’est en fait l’ambition qui va le séparer de sa belle puisque lorsqu’il monte à Paris poursuivre sa carrière, elle ne le suit pas, leur destin commun est scellé. En fréquentant des salons, il se lie d’amitié avec une veuve, délaissant peu à peu Désirée, cette femme n’est autre que Joséphine de Beauharnais dont le mari Alexandre a été victime de la terreur. Une passion soudaine et torride s’installe rapidement. Pour Napoléon, c’est le coup de foudre, mais du côté de Joséphine une certaine réticence se fait sentir. Néanmoins, elle se laisse peu à peu séduire, trouvant plus avantageux d’être la compagne d’un militaire prometteur plutôt que d’enchaîner les expédients pour se maintenir dans ce milieu bourgeois.
Une relation épistolaire
Encore une chose que le film de Ridley Scott met en avant, c’est le fait que les deux époux entretenaient une relation principalement épistolaire, c’est-à-dire par des lettres, notamment lorsque Napoléon partait en campagne. Certaines de ces lettres sont disponibles sur le site de la bibliothèque nationale française, et après les avoir étudiées, croyez-moi que l’image d’un Napoléon conquérant au cœur de pierre a vite été balayée de mon esprit. On retrouve au contraire l’âme romantique et amoureuse de l’empereur, comme si, le temps d’un instant, toutes les batailles auxquelles il faisait face devenaient poussières, sa seule et unique guerre n’étant que l’amour de sa belle. Même avant leur mariage, un réel attachement se décèle dans les lettres qu’ils s’envoient, et c’est étonnement réciproque. Le 28 octobre 1795, Joséphine lui reproche de ne pas venir la voir plus souvent, allant même jusqu’à montrer un attachement sincère, ce à quoi Napoléon répond qu’il désire plus que tout « son amitié » et souhaite se racheter auprès d’elle. L’amour existe donc et lorsque la flamme est à son paroxysme, ils décident de se marier le 9 mars 1796.
A travers ses lettres, Napoléon veut jouer tous les rôles pour ne pas laisser de place à une potentielle infidélité de la part de Joséphine. Il veut être le mari, l’amant et l’ami en même temps, mais cette jalousie maladive cache en réalité une peur d’être remplacé comme on l’observe tout au long de ses lettres. « Qu’as-tu fait puisque tu n’as pas écrit à ton mari ? », écrit-il le 30 mars 1976. Le surlendemain, Napoléon part disputer la campagne d’Italie et c’est le début de ce que nous appelons aujourd’hui une relation à distance. Néanmoins, pas de facetime pour les jeunes époux, la confiance est le seul et unique ciment de leur relation. C’est pour cela que les lettres vont jouer un rôle prééminent malgré le fait que pendant que Napoléon repousse ses adversaires, Joséphine les accueille dans son lit. En effet, pendant l’absence de Napoléon, elle prend le capitaine Hippolyte Charles comme amant. C’est la première infidélité à laquelle le couple va faire face, suivie par les nombreuses de Napoléon. Dans les lettres qu’il lui envoie, pas de guerre seulement de l’amour sincère, c’est à sa femme qu’il écrit, non à la France.
L’ambition ou le poignard de l’amour
S’il ne fait aucun doute que la passion est présente, l’ambition démesurée de Napoléon va peu à peu éteindre la flamme. Joséphine ne pouvant pas donner d’héritier à la France, le désormais empereur des Français choisit sa carrière au détriment de sa relation aussi passionnelle soit-elle, ainsi le divorce est proclamé le 10 janvier 1810. Cependant, cela ne signe pas la fin définitive de leur relation, puisqu’ils vont nouer une amitié forte et indéfectible. Comme le souligne l’historien britannique Peter Hicks, également membre de la fondation Napoléon et spécialiste du sujet, « Ils s’aimaient avec fureur au début, ça, c’est clair, ses lettres en débordent. Cette passion s’éteint petit à petit pour en devenir une amitié solide. À la fin sur Sainte-Hélène, il dira qu’elle était la seule femme de sa vie, ‘douce et incomparable’ ». À en croire ces mots, Ridley Scott parvient à mettre en évidence un aspect historiquement juste sur l’union impériale là où peu de films l’ont fait. Pourtant, plusieurs mois après sa sortie, il fait l’objet de critiques majoritairement négatives, les détracteurs mettant un point d’honneur à remettre en question les choix du réalisateur et à omettre la véritable volonté de Ridley Scott, dépeindre les dessous d’une des relations les plus mythiques et tragiques de l’histoire.
