– Un article de Camille Fontaine et Jean Frebourg
Jeudi 25 janvier, le Conseil constitutionnel rendait sa décision concernant la loi “contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” votée en fin d’année. Elle s’est vue drastiquement réduite. En effet, plus du tiers des articles ajoutés par les députés se sont vus censurés par les Sages (35/86). Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, justifie cette suppression en raison des nombreux “cavaliers législatifs”, désignant les abondantes modifications et amendements du texte initial, sans lien véritable avec celui-ci.
Cette décision marque l’épilogue de l’âpre déroulement de cette loi immigration, teintée de nombreux rebonds. Entre les manifestations populaires et le choix de Pierre Moscovici de retarder la parution du rapport de la Cour des comptes sur l’immigration, cette loi n’a pas laissé insensible la fin d’année 2023.
Les choix du Conseil constitutionnel, épluchant en profondeur la loi, ont fait de nombreux déçus. Les mesures phares ajoutées par les Républicains, notamment celles relatives au regroupement familial, à la caution retour pour les étudiants étrangers ou encore les restrictions des prestations sociales ont rapidement été écartées pour ces raisons de cavaliers législatifs.
Cette loi immigration paraît alors bien fluette en comparaison à celle votée fin décembre. Il en reste toutefois l’intégralité du texte originel apporté par le gouvernement. Parmi lequel figuraient un volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, de droit d’asile et celle relative aux régularisations des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension.
Les réactions de la classe politique
Naturellement, la décision des neuf Sages s’est suivie de véhémentes réactions, notamment des Républicains, décidés à ne pas rester mutiques face à ce “coup-d’Etat institutionnel”. Ceux-ci s’étant pourtant réjouis au moment du vote de cette loi immigration en décembre, la joie fut courte et la douche fut froide pour ces derniers.
Eric Ciotti, président du parti, n’as pas hésité à vouer aux gémonies le Conseil constitutionnel. Il a par ailleurs proposé que le Parlement puisse avoir le dernier mot lors de ces situations de blocage, rendant dès lors caduc le rôle de contre-pouvoir de cette institution. Mais il n’est pas le seul membre du parti pris de colère au lendemain de cette censure. Accusant une “prise d’otage institutionnelle”, agencée par le gouvernement qui attendait cette censure de la loi.
Le président de la République Emmanuel Macron s’est en effet pressé de saisir rapidement le Conseil constitutionnel dans les jours qui ont suivi le vote de la loi immigration. Jordan Bardella a lui aussi dénoncé cette communion entre le gouvernement et le Conseil constitutionnel, dont la décision fut épaulée par le “soutien du président de la République”. Le président du Rassemblement national propose alors un référendum sur l’immigration afin de sortir de ce bourbier démocratique.
Nonobstant, cette opposition des Républicains semble, à l’image du parti en lui-même, teintée de divisions. Certains membres vont moins loin que les diatribes de Retailleau, Ciotti ou Bellamy. C’est le cas d’Aurélien Pradié, député et conseiller régional d’Occitanie, pour qui le “Conseil constitutionnel n’est pas le responsable de l’arnaque, mais celui qui la révèle”. L’élu ne souhaite pas s’en prendre à cette institution qui, selon lui, “a jugé en droit” et refuse encore davantage de blâmer les instances, rappelant que “ce n’est pas le camp des gaullistes”. Le populaire Xavier Bertrand partage cette même idée de ne pas “s’en prendre aux institutions”.
Alors, si beaucoup n’hésitent pas à parler de “coup-d’Etat des juges”, ce n’est pas le cas de l’autre côté de l’échiquier politique. La gauche se félicite effectivement de la censure de cette loi qui n’a “aucune légitimité” selon elle. Le Parti socialiste honnit le gouvernement “qui portera comme une tâche indélébile l’appel à voter” cette loi, affirmait Olivier Faure. Enfin, les insoumis n’hésitent pas à assigner la loi à “délires racistes”, menée par des hommes politiques dont les idées seraient “contraires aux principes républicains”. En somme, la majorité des partis de gauche appellent l’exécutif à retirer cette loi, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel.
Ces critiques sont-elles justifiées?
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius a regretté ces attaques en rappelant que l’instance n’a fait que jouer son rôle de contre-pouvoir et qu’elle “n’est pas une chambre d’écho des tendances de l’opinion publique”. Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel est aussi vivement critiqué
Pour rappel, le Conseil constitutionnel n’a pas été créé dans le but de régir la constitutionnalité des lois. Dans l’idée du Général de Gaulle, il devait être le garant du partage des compétences entre l’exécutif et le législatif, le gouvernement et le Parlement. Cependant, le Conseil constitutionnel n’est plus devenu le garant de la Constitution de 1962 mais du bloc constitutionnel dans son ensemble. Celui-ci comprend aujourd’hui la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (la Constitution de la IVe République) et la Charte de l’environnement de 2004. Le Conseil constitutionnel doit aussi vérifier la constitutionnalité des lois vis-à-vis de ces textes.
Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers, répondait aux questions de FranceInfo: “le Conseil constitutionnel n’a pas fendu l’armure, il a fait le même travail que d’habitude, mais la loi était mal faite, donc il censure beaucoup.”. Il continue, “Jordan Bardella évoque un « coup de force des juges » mais, pour moi, c’est disproportionné. Il s’agit plutôt d’un coup de force politique pour adopter une loi dont on savait que beaucoup de dispositions étaient manifestement inconstitutionnelles.”.
Cette décision de censure majeure de la loi immigration soulève l’interrogation autour du rôle démocratique du Conseil constitutionnel. Bien qu’elle ait joué sa fonction de pilier de la démocratie, l’institution se voit aujourd’hui fortement remise en cause en raison de son blocage de la volonté des français. Il est en effet important de rappeler que selon un sondage Elabe, 70% d’entre eux se disent satisfaits du vote de la loi.