La Présidence du Conseil de l’Union Européenne
L’Union Européenne est composée de quatre institutions politiques majeures. La Commission européenne, le Parlement, le Conseil européen, et celui qui nous intéresse, le Conseil de l’Union Européenne, aussi appelé le conseil des ministres ou Conseil. Ce dernier pose les grands axes de la politique européenne. Il réunit les gouvernements des États membres de l’UE pour prendre des décisions sur des sujets différents à travers 10 « formations du Conseil ». Ce sont des comités spécialisés sur une thématique et rassemblant tous les ministres des états membres du sujet concerné. Par exemple, le ministre de l’économie et des finances participe aux discussions des affaires financières. L’impacte de la présidence est alors que le gouvernement du pays désigné préside chaque « formation ». Donc pour reprendre notre exemple, le ministre français de l’économie Bruno Le Maire présidera la formation du conseil portant sur l’économie et les finances.
Dans les faits, le rôle de la présidence du Conseil est administratif. Emmanuel Macron est le « maître des horloges du Conseil ». Cela signifie qu’il fixe les rendez-vous des formations et les ordres du jour. Donc tout en fixant le calendrier, il peut mettre en avant des thèmes particuliers. L’enjeu final étant de donner de la visibilité à certains dossiers et de trouver des compromis pour les faire aboutir. Mais l’importance réelle de cette fonction est à nuancer. D’abord car les dossiers traités existent déjà, et que 6 mois n’est tout simplement pas suffisant pour créer un dossier, le travailler et trouver des compromis avec les autres pays. D’autant qu’une seule lecture d’un texte soumis au vote, peut passer trois fois en lecture, chacune durant au maximum trois mois. Mais le plus important est que le Conseil ne fait que voter les lois avec le Parlement. C’est la commission européenne qui est la seule à proposer des lois et à les faire appliquer. On peut donc en convenir, le rôle de la présidence du Conseil semble assez symbolique.
La vision de l’UE présentée par Macron
Par un discours de 30 minutes, Emmanuel Macron a présenté ce qui, pour lui, étaient les fondamentaux de la construction européenne. La démocratie, le progrès et la paix. Il présente l’idée qu’il faut les renouveler en faisant face aux « défis » qui les menacent.
Un projet d’Europe souveraine et unie
Pour renouveler la promesse européenne du progrès pour ses pays membres, il veut former un puissant bloc économique. Pour cela, il faut relever des défis qu’il désigne comme climatiques et numériques. Il veut alors transformer l’industrie, investir dans les « technologies futures » et entamer ou poursuivre des négociations sur des dossiers, comme l’adoption d’une loi contre la « déforestation importée ». Concernant l’enjeu numérique, le président français voit les choses en grand. Il veut le développement de « géants européens » pouvant rivaliser avec ceux des autres puissances, comme les GAFAM ou les entreprises chinoises. L’espace européen est remis en question puisqu’il veut réformer l’espace Schengen et évoque même l’idée d’agrandir l’UE : l’idée de « donner de manière plus claire, plus lisible, plus volontariste, des perspectives sincères d’adhésion » aux pays des Balkans occidentaux.
Menaces contre l’Union Européenne
Le président français désigne des adversaires extérieurs de l’UE, montrant le besoin de faire front commun à l’intérieur. Cependant il reste assez vague quant à ces dits adversaires. Il faut se « Protéger des ingérences extérieures dans le procédé démocratique », dit-il. Ici, il est clairement fait référence à la Russie, accusée de pareils crimes aux États-Unis pour l’élection de Donald Trump en 2016. Mais il parle également : « de discours de haine contre lesquels il faut des régulations ». C’est ici beaucoup plus obscur. Parle t-il des réseaux sociaux ? Ou parle t-il d’adversaires politiques ? Quelle que soit la réponse, cela pose question. Engager des « régulations » contre des personnes qui ne sont pas d’accord, quand bien même seraient-elles haineuses, n’est-ce pas contrevenir à la liberté d’expression ? Rappelons-nous les débats de 2020 qui ont entouré la loi Avia en France, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Une nouvelle politique de défense ?
Un autre défi européen est soulevé par Emmanuel Macron, la sécurité. Il parle de « désordre géopolitique, terrorisme, migration irrégulière » et même du « retour du tragique dans l’histoire ». Ce qui suppose qu’il y a eu une période non-tragique. Il veut alors une politique étrangère européenne permise par une politique de défense commune « pour ne pas subir le choix des autres ». Ce serait un nouveau pas dans la construction européenne, pourtant en discussion depuis longtemps. En effet De Gaulle avait refusé la CED en 1954 (Communauté Européenne de Défense). « Il faut une puissance d’anticipation qui organise la sécurité de notre environnement ». Pour cela, il veut mettre en place une stratégie commune pour les technologies et l’industrie de défense. Il s’agit donc d’organiser un système défensif européen, ce qui à terme, pourrait aboutir à une armée commune.
Le spectre des « États-Unis d’Europe »
Il est intéressant de noter que cette vision de l’Union Européenne est franchement américanophile. Le but est de former un bloc européen sur le modèle américain et en partenariat avec lui. Les sources d’inspiration d’Emmanuel Macron en terme de politique globale et notamment international est clairement identifiable. Par exemple, travailler en accord avec l’OTAN. Mais dans sa conception de la géopolitique, les États-Unis de l’entre-deux guerre semblent particulièrement lui plaire, puisqu’il est question de « New deal » avec les pays africains, des références à la Société Des Nations sont perceptibles avec les expressions : « souveraineté des peuples », ou encore « sécurité collective ». Mais plus que tout, il s’agit de la place dans le monde d’une puissance européenne : la « sécurité de notre continent nécessite un réarmement stratégique de notre Europe comme puissance de paix et d’équilibre ». Une puissance de paix et d’équilibre pouvant intervenir partout dans le monde, comme les États-Unis le font depuis des décennies, et comme les Européens sont entrain de le faire en Afrique subsaharienne pour lutter contre les bases arrières du terrorisme. L‘objectif étant sans doute de former un troisième bloc mondial comparable en puissance et en influence aux États-Unis et à la Chine.
La place de la démocratie
Mais revenons sur le premier tiers du discours du président de la République française, qu’il consacre à la démocratie. Ce qui est à priori étonnant, c’est qu’en prenant la parole au Parlement européen pour annoncer les grands axes auxquels il consacrera sa présidence, il parle de démocratie. Pense t-il qu’au sein des institutions de l’UE la démocratie est bafouée ? Pas du tout, bien au contraire. Le modèle de « démocratie libérale » est incarné par l’Union Européenne, selon lui. Et l’aboutissement de ce modèle, la preuve qu’il fonctionne – toujours selon lui – c’est la gestion de la pandémie. Nous le voyons, Emmanuel Macron verse dans le discours politique militant. C’est là que le discours devient intéressant, car rappelons nous qu’à ses dires, les « promesses » de l’UE sont mises en péril. Il plaide alors en faveur du modèle européen qu’il défend contre ses menaces. Ses menaces étant sans doute les adversaires politiques de l’Union Européenne d’aujourd’hui. La défense qu’il semble avoir choisi est l’attaque. La plus efficace des armes étant l’idéologie. Emmanuel Macron opère à un glissement rhétorique très dangereux par une longue tirade forte de lyrisme. Être contre la politique de l’UE, c’est être contre la démocratie et l’état de droit. Il ne le sous-entend pas, il le dit clairement : « Des voix s’élèvent aujourd’hui pour revenir sur nos grands textes, fondamentaux […] Mais revenir sur quoi ? Sur l’égalité des hommes en dignité et en droit ? Sur le droit pour chacun à disposer d’un procès équitable par une justice indépendante ? S’installe comme une idée, au fond, que pour être plus efficace il faudrait revenir sur l’état de droit ».
Mais où va-t-il chercher cela ? Il n’y a pas qu’une seule manière de gérer « démocratiquement » les affaires d’un pays ou d’une alliance entre pays lors d’une crise. N’existe t-il pas des alternatives aux textes de Maastricht ou de Lisbonne pour construire une Union européenne ? Le président parle d’adversaires internes de la démocratie et de l’état de droit, mais qui, dans le champs politique français et européen, est contre l’état de droit ? Contre la démocratie ? Contre l’amitié et la concorde entre les peuples européens ? Quand bien même des candidats aux différentes élections de différents pays souhaiteraient quitter l’UE, cela signifie t-il forcément qu’ils sont d’ascendance dictatoriale ? Rien du tout. Par son discours, Emmanuel Macron englobe toutes les oppositions contre l’Union Européenne, telle qu’elle est dans les traités et dans les faits, en adversaire de la démocratie. Il essentialise l’UE comme la démocratie. Ainsi à ses yeux, il semblerait que quiconque critique les institutions européennes ou leur politique, devient de facto antidémocrate. C’est un piège tendu à ses adversaires politiques y compris en France. Il dresse des lignes de clivage. Cette tendance de désigner tout adversaire politique comme ennemi de la démocratie est très dangereuse, car cela supprime tout débat, toute nuance. Il est extrêmement dangereux de faire glisser un débat politique, où des conceptions différentes de la gestion des affaires se rencontrent, en débat idéologique.
Le président français Emmanuel Macron a appelé mercredi 19 janvier les Européens à « l’audace » pour que l’Union européenne s’affirme comme « une puissance d’avenir » et « souveraine » afin de « ne pas dépendre des autres puissances » mondiales. Il veut un renforcement de la cohésion entre les États membres au sein de l’UE et du continent. Cette présidence du Conseil de l’Union Européenne par la France d’Emmanuel Macron poussera, si l’on en croit son discours, à une Europe toujours plus fédérale, notamment à travers une nouvelle politique de défense commune, une Europe sur le modèle des États-Unis d’Amérique. D’autre part, le président français a tenu un discours à portée politique, justifiant sa manière de gérer les affaires et celle de l’Union Européenne dans laquelle il se reconnaît et dont il impulse désormais la gestion.
Mais ce discours a un autre écho en France, car les élections présidentielles se profilent de plus en plus nettement. Il est peut-être annonciateur de ce qui se fera dès l’annonce de candidature d’Emmanuel Macron, dont personne ne doute. Il entamera assurément une défense de sa politique, de sa gestion de la pandémie. Si ses propos prendront la forme de son discours au parlement européen, nous pouvons nous attendre à une corruption des débats politiques par un débat idéologique. Cette situation est d’autant plus inquiétante pour certains qu’il est tout à fait dans l’air du temps de supprimer des libertés au nom du « bien commun ». Mais quel est-il se bien commun ? Pour prendre soin de l’avenir, il faut débattre !