Les rues de Guadalajara grondent sous les pas de femmes survoltées. Des milliers de Mexicaines brandissent des pancartes aux messages percutants, arborent des bandanas Paisley verts pour l’espoir ou violets pour la dignité en référence au mouvement des Suffragettes. La foule est si dense que l’asphalte de la Calle (rue) Independencia n’est plus visible. Visages fermés, poings serrés vers le ciel, elles scandent en chœur des slogans de solidarité et de sororité : « Somos el grito de las que no están » (Nous sommes le cri de celles qui ne sont pas là), « Mama tranquille hoy no vas sola por la calle » (Maman ne t’inquiète pas, je ne suis pas seule dans la rue).

« Píntame tu mano si sufriste algún tipo de maltrato » (Peins-moi avec ta main si tu as souffert de n’importe quel type de maltraitance)
Sur chaque affiche est inscrit « Mi hermana » (ma sœur), « mi amiga » (mon amie), ou « mi hija » (ma fille). Elles sont toutes touchées, de près ou de loin, par ce fléau endémique. Le pays des mariachis est considéré comme le plus dangereux d’Amérique Latine pour les femmes, selon l’ONU. Plus de 3 800 féminicides sont recensés chaque année, soit plus de 10 par jour. Parmi elles, Wendy, disparue depuis six mois. Une fresque rouge et jaune, mesurant au moins cinq mètres de haut, s’étend sur le mur d’une agence gouvernementale. Elle représente son visage, illuminé d’un sourire, dans le creux de ses mains, un cierge. Au bas de l’affiche : « Donde estás Wendy ? » (Où es-tu Wendy ?). Au mégaphone, Dani, sa sœur, la gorge serrée, martèle chaque mot de cette question sans réponse. Elle subit la double peine : la perte de sa cadette et l’impunité dont jouissent ceux qui ont enlevé « el amor de [su] vida » (l’amour de sa vie).
DOUBLE VOIR TRIPLE
Au Mexique, seulement la moitié des meurtres classés comme féminicides sont condamnés. Dans certains États, l’impunité atteint 98 % des cas. Une indifférence du gouvernement et de son président, Andrés Manuel López Obrador, est dénoncée : « pinche gobierno, cuéntanos bien, no somos una, no somos diez » (putain de gouvernement, comptez bien, nous ne sommes pas une ni dix).

Il ne s’agit pas seulement d’impunité, mais aussi d’émancipation. Le droit à l’avortement est l’une des revendications majeures de cette journée internationale pour les droits des femmes. Sur les 32 États, l’avortement n’a été dépénalisé que dans 14 d’entre eux. L’État de Jalisco n’est pas concerné. À 21 ans, Rosita a dû recourir à un avortement clandestin. « Casi me voy a la chingada, pinche madre » (J’ai failli y passer, putain). Elle ne cache pas sa colère contre le président AMLO, le qualifiant de « una mierda » (une merde).
VI(E)TRES BRISÉES
Le soleil se couche sur la Plaza de Armas. Les cris de ralliement deviennent plus incisifs : « Mi vestido no es corto, tu educación sí » (ma tenue n’est pas courte, ton éducation si). Des tracts sont distribués et piétinés, affichant des photos d’hommes accusés d’être des « depredadores sexuales » (prédateurs sexuels). Certaines arrivent entièrement cagoulées, dans un style gothique, munies de battes de baseball à la Harley Quinn. Leur colère ne se limite plus aux mots : de nombreuses façades sont marquées et des vitrines de magasins brisées. « Mes cris ne laissent pas de traces, mes tags oui », signe l’un des graffitis.
