Un mythe qui divise la France
Le 12 juillet 1998, sur la pelouse du Stade de France, à Saint-Denis, une vingtaine de joueurs célèbrent la première victoire de l’Équipe de France en Coupe du Monde. Nés entre Bayonne et le Ghana, dans la ville de Castellane ou aux Antilles, ces 22 jeunes sont accompagnés et coachés par Aimé Jacquet, ancien pensionnaire du Forez. Dans le même temps, 1,5 millions de Français entêtés se pressent sur les Champs-Élysées pour la plus grande manifestation depuis la libération. Comment s’est développée la relation entre les Bleus et la société française depuis plus de 20 ans autour du mythe “black-blanc-beur” ?
De Raymond Kopa, originaire de Pologne à Kylian Mbappé, originaire du quartier de Bondy, rappelle le début de la relation étroite entre les deux partis politiques français. Mais c’est une jolie vitrine souvent utilisée par les hommes politiques. Datant de la fin des années 1930, les premières instrumentalisations politiques du football, notamment de l’extrême droite, concernaient les problèmes de l’Équipe de France. Ce choix correspond donc à l’idée française de la démocratie à l’heure où l’Europe sombre dans le totalitarisme.
L’équipe qui avait atteint les quarts de finale de la Coupe du Monde 1938, comptait Raoul Dianier, le premier joueur noir à être sélectionné pour une équipe européenne. Et ainsi de suite, était déjà cosmopolite. Par la suite, le Marocain Larbi Ben Barek alias “La Perle Noire”, deviendra également un joueur éminent de l’Équipe de France. Autour de l’apparition de ces joueurs, la presse d’extrême droite, notamment L’Action française, a mis l’accent sur l’idée d’équipes “mercenaires”. Ces arguments n’apparaissent qu’en 1996 lorsque Jean-Marie Le Pen reproche aux Bleus de ne pas chanter l’hymne national lors de l’Euro. Il est clair que les propos de l’ancien président du Front National apparaissent comment un point de non-retour entre la société et le monde du football français.
La genèse ensoleillée de 1998
À cette époque, emmenée par des leaders comme Marcel Desailly, d’origine ghanéenne, du milieu de terrain basque Didier Deschamps ou du natif de Castellane Zinedine Zidane, La Marseillaise ne chante pas à plein régime en Équipe de France, faisant même parfois semblant de bouger les lèvres. Le trio contribuera à la première étoile française, accompagné par le franco-américain Youri Djorkaeff, le sénégalais Patrick Vieira ou encore le franco-argentin David Trezeguet.
Le président de la République, Jacques Chirac lui-même, a déclaré le 14 juillet 1998 : “Aujourd’hui, cette équipe tricolore et multicolore brosse un beau tableau de la France avec son humanisme, sa force et son unité”. L’opposition du Front National s’est unie derrière ce groupe et a popularisé le Black Blanc Beur, une expression qui a fait surface à la fin des années 1980. François Da Rocha Carneiro a déclaré : “J’espère que la haine d’extrême droite envers les joueurs immigrés marquera le début d’une nouvelle utilisation politique du football”.
Le pays y croyait dur comme fer. Il n’y a pas de mythe à moins que la croyance en celui-ci ne soit au moins aussi forte. Même Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur, plutôt austère sous le gouvernement Baladur, croyait en cette république et proposait de réguler “toute immigration clandestine”. Rappelons aussi qu’elle s’inscrivait dans la période de cohabitation du Premier Ministre Lionel Jospin. L’histoire d’une composition inter-culturelle des origines au sein de l’Équipe de France n’était pas une idée reçue par tout le monde.
Le mythe s’efface durablement en 2001
Contexte géopolitique contrariant
Le mythe “Black-Blanc-Beur” disparaît comme un nuage de fumée en 2001. Tout d’abord, les attentats du 11 septembre aux États-Unis, ont créé de nouvelles craintes d’attentats terroristes en France. De plus, avec la communauté algérienne résidant sur le territoire français, liant le football au destin de la nation, cela n’arrange pas les débats. “Être gouverné par la méfiance et la peur” sont les mots du Front National, qui continue de gagner en popularité sur les questions ethniques et islamiques. Compte-tenu du rapport historique entre l’Algérie et la France, il ne va pas s’en dire que certains journaux Français n’hésitent pas à faire de la publicité d’horreur, et diviser l’opinion publique.
Une réconciliation ratée
Moins d’un mois après l’attaque perpétrée par al-Quaïda, le match de réconciliation franco-algérien du 6 octobre 2001 a été plongé dans le chaos le plus total. Peu avant le début du match, le drapeau Algérien semble éclipser le drapeau français. Cette impression se confirme dans l’enceinte du Stade de France. Même les natifs Algériens et La Marseillaise seront d’une ampleur inédite au coup de sifflet.
Après quatre buts Français décidément moins célèbres que celui de Jamel Belmadi pour les Fennecs, la pelouse fût envahie. Une jeune fille du nom de Sophia Benlemmane, joueuse de l’équipe nationale algérienne féminine, a pris les devants. Enveloppée de banderoles blanches et vertes, elle est à l’origine d’un terrible envahissement de terrains de milliers de supporters algériens. Cet épisode a de nouveau engendré un débat entre l’Élysée et Matignon, divisant les opinions sur la question de l’immigration.
À en croire la scène d’envahissement de terrain, Lilian Thuram est le seul joueur Français à rester sur le terrain. Figure de proue de l’antiracisme, le natif de Guadeloupe n’apprécie guère ce genre de comportement. Notamment lors de son altercation avec le jeune Mamadou Ndiaye, 17 ans, lors du match France-Algérie. Il faisait partie des envahisseurs de terrain. Après s’être confié à l’Équipe deux ans plus tard, Lilian Thuram expliquera les paroles qu’il a dit à cet adolescent. De plus, les jours précédents la rencontre franco-algérienne, des centaines de drapeaux palestiniens et algériens avaient été vendus en banlieue parisienne. Les autorités politiques avaient déjà été mis au courant des potentielles altercations lors de la rencontre.
Si, trois ans auparavant, la foule scandait “Zizou président” à chaque apparition du numéro 10 des Bleus, le divorce avec la communauté “beur” du pays semble, en 2001, totalement éteinte. Le mythe black-blanc-beur se voulait glorieux et il n’aura finalement pas survécu aux précédents faits. La question reste assez profonde.
Comment la relation entre la nation de football et les vagues migratoires a-t-elle conduit à une telle discorde ? Certaines pressions et amalgames politiques n’ont pas arrangé la situation. Du côté de l’extrême droite, on ne se prive pas de remettre en cause l’immigration en postant du doigt les banlieues. Lionel Jospin laissera des plumes à son aura politique. Des suites des évènements produits durant la rencontre de la réconciliation, Jean-Marie Le Pen ne s’est pas fait prier pour arriver au second tour de la présidentielle de 2002.
Équipe ethniquement mélangée pour une société plus que divisée
Malheureusement, le football français dans son ensemble, aura adopté un virage identitaire semblable à la politique sociale du pays. Les vagues migratoires ne sont plus vues d’un bon oeil. En effet, cela est marqué par les émeutes des banlieues de 2005 à Paris.
On prendra l’exemple de la mort de Zyed BENNA et Bouna TRAORÉ, électrocutés en voulant échapper à un contrôle de police. L’opposition réagit en manifestant le fait que les craintes du terrorisme et les crises qui existent dans les banlieues françaises datent d’avant 1998. Il faut croire que la victoire en Coupe du Monde a permis de ranger dans le tiroir certaines craintes, pour malheureusement les faire ressortir plus violemment ensuite.
Le sentiment patriotique diminue. Même si le Front National n’a jamais accédé au pouvoir, la droite et Nicolas Sarkozy commencent à devenir de plus en plus dur avec les différentes ethnies. Du côté du rectangle vert, l’ambiance n’est pas au beau fixe non plus. Depuis le coup de boule de Zinédine Zidane en finale de Coupe du Monde 2006, les représentants du “black-blanc-beur” ne se font plus nombreux au sein de l’équipe nationale. La xénophobie grimpe en France et on sent qu’une page se tourne, aussi bien politiquement que sportivement du côté français.
Cette question sur les dérives sportives des joueurs bi-nationaux, prend Karim Benzema comme nouvelle figure emblématique, post Zinédine Zidane.
L’actuelle présidente du Rassemblement National, Marine Le Pen, ne s’est pas empêchée de suivre les traces de son père à ce sujet. En effet, elle s’est souvent appuyé sur certaines déclarations du joueur du Real Madrid, originaire des quartiers de Bron à Lyon. Pour cela, rien de mieux pour la figure de l’extrême droite de dénoncer les paroles de Benzema qui disait que l’Algérie resterait toujours dans son coeur. C’est un moyen de faire pression sur les minorités ethniques et de pointer du doigt le fait que certains joueurs bi-nationaux choisissent de jouer pour l’Équipe de France seulement par intérêt. Au point où l’on a également critiqué Benzema pour le fait de ne pas chanté La Marseillaise. Or, personne n’a critiqué Michel Platini en 1984, originaire d’Italie, qui n’a jamais chanté La Marseillaise sous le maillot des Bleus.
Une haine qui s’est presque banalisé
La célèbre génération 87, composé de Karim Benzema, Samir Nasri et Hatem Ben Arfa, a longtemps fait débat. Suite à la débâcle de la Coupe du Monde 2010 en Afrique du Sud et les débats autour du racisme dans le vestiaire des Bleus, on se demande comment il est possible de sauver les meubles. Après cette grève honteuse, plus question de revivre une telle honte. La Fédération Française de Football a donc établit une charte de bonne conduite placardée dans la chambre des joueurs à Clairefontaine.
Laurent Blanc, successeur de Raymond Domenech, entend également lancer un grand ménage au sein du groupe. Première grande décision, aucun frondeur de la Coupe du Monde 2010 ne fait partie du groupe lors de son premier rassemblement. Or, le contexte sportif n’est pas au mieux dans une période où les footballeurs français doivent désormais être exemplaires. Benzema est affecté par l’affaire Zahia et Nasri et Menez sont envoyés devant une commission de discipline pour des problèmes comportementaux.
Vers un retour du mythe avec la victoire en 2018 ?
En juillet 2018, vingt ans après le premier sacre, l’Équipe de France est sacrée Championne du Monde en Russie. Loin des “caïds immatures” et les bad boys de la Génération 87 pour faire place à un groupe solide. Le trio Thuram-Deschamps-Zidane devient Pogba-Griezmann-Fekir et le mythe “black-blanc-beur” ressurgit. La France se remet progressivement à rêver d’une vitrine sportive multiethnique. Le sacre en Russie aura permis de calmer les tensions politiques, même si cela ne les effacent pas entièrement.
Malgré la victoire mondiale du groupe de Deschamps, le football Français reste en proue à certaines dérives racistes. Par exemple, il aura fallu attendre 6 ans pour que Karim Benzema soit rappelé par Deschamps, lors de l’Euro 2020. Le joueur du Real Madrid aura porté l’Équipe de France, en ayant essuyé toutes les critiques malgré le parcours raté des Bleus à l’Euro. Revenu beaucoup plus mature, avec 3 enfants et une vitrine de trophées bien remplie à Valdebebas, le natif de Bron tente de redorer son blason chez les Bleus.
Si la sécurité et les dérives racistes concernant l’immigration sont couramment à la mode, il n’en démord pas que le football n’échappe pas aux réalités sociétales. Le fameux mythe “black-blanc-beur” tente de refaire surface même si on est loin des “Zizou président” de 1998. À travers cet article, on voit la complexité dans la corrélation du football, sport qui rassemble, et politique contrariée, qui divise.