« Guerre en Ukraine : le conflit franchit le cap des 200 millions de tonnes équivalent CO2 émises depuis trois ans », titrait France Info le 24 février 2025. Cela équivaut aux « émissions annuelles de 120 millions de voitures », précise le média. Nombreuses sont les causes à l’origine de ce bilan carbone désastreux. Mais les études à ce sujet sont encore rares et les données difficiles à mesurer.
En Ukraine et en Syrie, une pollution durable
Épaves de chars d’assaut, explosions de sites pétroliers, voitures abandonnées. En Ukraine, l’état de guerre se traduit aussi par une pollution évidente dans les villes et les campagnes. Parfois, les causes de pollution sont plus importantes. Dans un article de l’agence Reuters, Gloria Dickie et Dan Peleschuk, citent plusieurs exemples de catastrophes environnementales liées à la guerre que mène la Russie en Ukraine. La rupture du barrage de Kakhovka illustre les conséquences durables du conflit sur la faune et la flore. Sa destruction « a inondé des étendues de terres arables et [des] écosystèmes sensibles, entre autres impacts environnementaux ».
« Nous devons trouver des réponses communes à toutes les menaces environnementales causées par la guerre », disait le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Retrouver à tout prix un semblant d’environnement naturel, voilà l’un de ses objectifs : « Sans cela, il n’y aura pas de retour à une vie normale et stable ».
Un rapport du WWF rappelle que le conflit « empêche tous les efforts visant à améliorer la situation ». Et les facteurs de pollution sont nombreux, qu’ils soient directs ou indirects. Par exemple, « la consommation de carburant par les troupes russes », produit « 24,9 % » des émissions de gaz à effet de serre relevées en Ukraine entre le 24 février 2022 et le premier septembre 2023, d’après des données recueillies par France Info. La reconstruction du pays compte pour « 55 % » des émissions de gaz à effet de serre sur la même période.
Les dires du rapport du WWF se vérifient aussi du côté de la Syrie, victime d’une guerre civile débutée en 2011. Là-bas, « les acteurs de la guerre […] ont pris pour cible les puits de pétrole, les raffineries et les installations industrielles dont la destruction a pollué les sols, l’air et l’eau du pays », peut-on lire dans un article de Courrier International. Le think tank Arab Reform Initiative fait un constat similaire. Il rappelle que la guerre en Syrie a « pollué les eaux souterraines et de surface, ainsi que les sols, entraînant une pollution de l’eau potable et des terres agricoles ». La région se trouve alors face à une pollution durable qui frappe la population, déjà appauvrie par le conflit.
Les guerres affectent la conjoncture économique. Parfois, cela joue indirectement sur l’environnement qui pâtit des logiques de court terme. Ainsi, « dans plusieurs pays touchés par les conflits, on a tendance à s’appuyer sur les industries extractives comme le pétrole, le gaz, les minerais ou sur le bois, car elles engendrent plus facilement des profits », explique un expert cité par Courrier International.
Bande de Gaza, un lourd bilan environnemental
Dans la bande de Gaza, les destructions affectent aussi l’environnement, selon les chercheurs Samer Abdelnour et Nicholas Roy. Au niveau des débris, le bilan est lourd. Ainsi, « plus de 41 946 018 tonnes de débris », sont présentes sur le territoire. « Soit 14 fois plus que la somme combinée des débris de tous les autres conflits à Gaza depuis 2008 », analysent-ils.
Cette pollution est très importante et le déblayage des décombres pourrait durer très longtemps car certains débris compliquent le tri. Par exemple, « plus de 25 000 tonnes d’explosifs ont été larguées sur Gaza entre octobre 2023 et février 2024 », selon Samer Abdelnour et Nicholas Roy. Autant de matériaux mêlés aux ruines des infrastructures palestiniennes. Il ne faut pas non plus oublier les explosifs qui n’ont pas fonctionné et qui ne peuvent donc pas être enlevés facilement, alertent les chercheurs.
Bien sûr, s’il y a des débris, il faut des moyens importants pour les enlever et les traiter. Samer Abdelnour et Nicholas Roy estiment qu’il y a « environ 41,9 millions de tonnes [de débris], contre 335 658 tonnes en 2021 ». Forcément, enlever tous ces gravats « nécessitera beaucoup de ressources ». Il faut ainsi prévoir des espaces d’élimination des déchets, de la main-d’œuvre et des véhicules. Ils estiment aussi le bilan carbone des trajets pour évacuer les débris ainsi que le traitement de ces derniers. Des calculs et des données complexes qui montrent que l’environnement est une victime supplémentaire du conflit à Gaza.
L’environnement, un angle mort dans l’analyse des conflits
« Les choix de sécurité nationale, tels que les dépenses militaires ou les combats, peuvent avoir un impact sur le climat et donc miner notre sécurité collective », écrit le journaliste Doug Weir dans un article du Guardian. Pourtant, l’étude des conséquences écologiques des guerres a longtemps été un non-sujet. Les armées du monde entier n’ont jamais vraiment eu à rendre des comptes concernant le bilan carbone de leurs activités. Selon le site militaryemissions.org, « les armées ont été trop longtemps à la traîne par rapport à d’autres secteurs, malgré leur forte consommation de combustibles fossiles, leurs vastes dépenses mondiales et leurs grandes chaînes d’approvisionnement ». Or, il se trouve que « les forces armées sont responsables de 5,5 % des émissions mondiales de GES », souligne l’organisation. Un chiffre à évaluer à la hausse car ces données ne prennent pas en compte les « émissions résultant des combats ».
Mais le secteur militaire commence lui aussi à être intégré dans les réflexions environnementales. Ainsi, « la guerre de la Russie en Ukraine a vu la première tentative de documenter de manière exhaustive les émissions d’un conflit, et les chercheurs ont dû développer leurs méthodologies à partir de zéro », détaille Doug Weir.
Aujourd’hui, les conséquences écologiques des guerres sont tout de même mieux documentées. Plusieurs organisations publient des données concernant la dimension écologique des conflits armés. Le site militaryemissions.org possède une carte interactive permettant de consulter les émissions de gaz à effet de serre produites par le secteur militaire de nombreux pays. Des données qui dépendent, bien sûr, du niveau d’information sur les activités militaires. La carte montre d’ailleurs que la France et les États-Unis ont un score « pauvre » en matière d’accessibilité des données. Il est donc difficile de calculer précisément l’impact de la production militaire de chaque pays sur l’environnement.
De son côté, Greenpeace travaille aussi sur les conséquences écologiques des guerres. L’ONG a publié une carte interactive de l’Ukraine qui répertorie les lieux affectés par le conflit. Ainsi, « les terres et les habitats sont endommagés, les frappes de missiles provoquent des incendies de forêt, les sols et l’eau sont pollués », selon un communiqué. D’autre part, « les incendies de sites industriels provoqués par les bombardements entraînent également une pollution de l’air, du sol et de l’eau ».
Qui doit payer pour les dommages environnementaux ?
« La Fédération de Russie devrait être tenue responsable de ces émissions et des dommages climatiques qui en résultent ». Voilà les mots des experts à l’origine de l’étude sur les conséquences de la guerre en Ukraine. Cette responsabilité implique le paiement d’une lourde addition estimée à plus de « 42 milliards d’euros », selon le même rapport.
D’autres voix s’élèvent aussi pour demander des comptes à la Russie. « L’écocide et la destruction de l’environnement sont une forme de guerre ». Ces mots sont prononcés en 2023, par une voix que l’on connaît bien, celle de l’activiste Greta Thunberg. Elle regrette la faible préoccupation du monde vis-à-vis de la destruction de l’environnement en Ukraine. La militante appelle à « dénoncer ce phénomène et essayer de sensibiliser et de partager des informations sur ce qui se passe ».
Nul doute que la prise en compte de l’environnement dans les conflits devient nécessaire avec l’urgence climatique. Mais les acteurs impliqués se soucient-ils vraiment de cette question lorsque des vies et des territoires sont en jeu ?