Boualem Sansal, un auteur engagé
Boualem Sansal est né en 1949 près de Tissemsilt à l’ouest de l’Algérie. Il ne se destine pas tout de suite à la littérature et après son doctorat d’économie, devient chef d’entreprise et haut fonctionnaire au Ministère de l’Industrie en Algérie. Ce n’est qu’à la fin des années 1990 qu’il décide de se mettre à écrire, et de publier, en langue française.
Son premier roman, Le serment des barbares, qu’il publie à 50 ans, porte sur la “décennie noire”, la période de guerre civile algérienne entre 1992 et 2002. Dans cet ouvrage de fiction, qui se présente comme un roman policier, Sansal dépeint le régime algérien de l’intérieur, en mettant en avant la guerre civile et la corruption. Par la rédaction de ce premier livre, qui fut un succès, il entreprend de déconstruire la mémoire officielle algérienne de cette période douloureuse de son histoire. Les nombreux livres qui furent publiés dans les années 2000 restent sur cette lancée : Sansal propose une critique du pouvoir algérien, tout en questionnant ( son lecteur ainsi que lui-même ) sur des thèmes plus universels tels que l’identité ou la Justice. Il a même été récompensé par des prix français, par le prix du Roman de l’Académie Française pour 2084, La fin du monde. Ce roman, paru en 2015, fait non seulement référence au titre du fameux 1984, de Georges Orwell, mais également à l’histoire, puisque ce livre dystopique critique, au travers d’un pays imaginaire, le radicalisme religieux qui opprime et réduit les libertés individuelles.
Cependant, en critiquant de manière virulente, et assez ouvertement le régime algérien, Sansal s’est mis à dos le gouvernement, si bien qu’il a perdu son poste au Ministère de l’Industrie. A de nombreuses reprises, ses ouvrages, dont Le Village Allemand, ou Poste Restante ont été censurés par le pouvoir algérien, ce qui ne l’a pas empêché de continuer de vivre à Alger et de publier. En 2024, il obtient la nationalité Française, et vit en France, où son épouse est actuellement hospitalisée.
Une arrestation aux multiples motifs
L’artiste dissident est donc arrêté le 16 novembre à l’aéroport d’Alger, lorsque celui est descendu de l’avion qui le ramenait dans son pays natal. Selon les autorités algériennes, Sansal a été placé sous mandat de dépôt par rapport à sa posture très critique du gouvernement algérien, et de l’islamisme, lequel est associé au pouvoir. Bien que ce ne soit pas la première fois que l’auteur prenne position contre le régime, ce sont des propos récents tenus dans un entretien avec le journal français : “Frontières” qui ont précipité son arrestation. En effet, le 2 octobre 2024, Sansal a donné une interview sur ce journal, et a déclaré : “Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara”
Ces paroles ont été interprétées par le pouvoir algérien comme une remise en cause des frontières et par conséquent constituent un motif idéal pour l’arrestation de l’auteur. Cette frontière Ouest entre le Maroc et l’Algérie est un point clivant entre ces deux nations du Maghreb, mais n’est pas le seul point frontalier à l’origine des tensions. La zone du Sahara Occidental est à l’origine du conflit entre Alger et Rabat, qui se transpose ensuite sur les relations Alger-Paris.
La question du Sahara Occidental
Cette zone, située sur les côtes d’Afrique de l’Ouest, partage une frontière avec le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie. Depuis le retrait des troupes espagnoles, suite au mouvement de décolonisation de 1975, cette région est revendiquée par différents Etats, et peuples. Le Maroc tout d’abord, qui considère ce territoire comme sien en rappelant les frontières de l’empire Almoravide du 12ème siècle. Le Maroc occupe une majorité ( 80% ) du territoire depuis 1976. La Mauritanie a elle aussi, pendant quelques années, occupée ce territoire, avant de s’y retirer, en 1979. Enfin, le peuple Sahraoui, présent sur ce territoire depuis la colonisation espagnole, revendique, depuis 1976, la République Arabe Sahraouie Démocratique, avec à sa tête le Front Polisario.
Aujourd’hui, l’opposition est particulièrement importante entre le Maroc et le Front Polisario, qui bénéficie d’un grand soutien de l’Algérie. Cette dernière est un point de refuge pour les généraux du Front Polisario, et représente un soutien économique, militaire et humanitaire majeur pour le groupe. Les tensions sont donc déjà importantes dans la région, mais elles se sont exportées, notamment lorsqu’en 2007, le Maroc a effectué une proposition d’autonomie avec autorité marocaine sur ce territoire. Cette proposition est acceptée par de nombreux Etats, dont les Etats Unis, l’Espagne ou très récemment la France, qui considèrent que la République Arabe Sahraouie Démocratique ne peut pas s’administrer seule. Ainsi, ce consensus unilatéral du Maroc avec la région exacerbe les tensions entre l’Algérie et les pays signataires de l’Accord, dont la France. Selon certains journalistes, l’arrestation de Boualem Sansal s’inscrit dans la continuité des tensions territoriales entre le Maroc et l’Algérie.
La France et l’Algérie, des tensions qui perdurent
Le passé franco-algérien est tumultueux, et malgré les Accords de Paix d’Evian de 1962 et les nombreuses tentatives de réconciliation d’initiative française, l’ombre de la guerre d’Algérie (1954-1962) plane toujours autour des relations diplomatiques. Mais quelques événements récents semblent avoir encore un peu plus cristallisé les tensions.
Tout d’abord, la visite d’Etat d’Emmanuel Macron à Rabat du 28 au 30 octobre 2024 affirme officiellement la volonté de la France de se rapprocher de ce pays du Maghreb, qui autrefois avait été sous influence française ( Protectorat du Maroc 1912-1956). Cette visite a permis aux deux pays de renforcer leur coopération économique et de débattre sur des sujets brûlants tels que l’immigration. Cependant, suite aux pressions du Maroc, les discussions ont pris une tournure territoriale, et le Président Emmanuel Macron, à la suite de l’Espagne, a reconnu la souveraineté marocaine dans le Sahara Occidental.
D’autre part, de nouveau dans le monde littéraire, les tensions mémorielles liées à la guerre d’Algérie ainsi que la guerre civile algérienne qui suivit sont ravivées, à cause du roman Houris de Kamel Daoud, qui reçoit le Prix Goncourt 2024. Ce roman raconte le périple mémoriel d’une femme muette, Aube, qui essaie de transmettre sa mémoire malgré son handicap, sa condition de femme en Algérie et un régime autoritaire qui punit quiconque ose évoquer la guerre. Cette nomination est évidemment clivante, et Daoud en subit les conséquences : il est visé par deux plaintes en Algérie, et s’est vu refuser l’accès au fameux Salon du Livre d’Alger.
Ainsi, l’arrestation de Boualem Sansal, les tensions autour de Kamel Daoud et la reconnaissance par la France du Sahara Occidental comme province marocaine sont trois faits d’actualités qui démontrent l’instabilité grandissante des relations franco algériennes.