La Roumanie en déséquilibre entre démission, crise politique et ouverture européenne

C’est le chaos politique en Roumanie. Le président Klaus Iohannis a annoncé sa démission le 12 février. Après une poussée de l’extrême droite à l’élection présidentielle teintée d’ingérence russe, annulée par la suite, les Roumains se retrouvent encore dans une période d’instabilité gouvernementale. Que se passe-t-il en Roumanie et quelle place ont la Russie et l’Union Européenne dans ce pays d’Europe de l’Est ?

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©michelbossart / Pixabey

Le 10 février, le président Klaus Iohannis a déclaré qu’il quitterait ses fonctions le 12 février. Cette décision survient alors que le président était sous la menace d’une procédure de destitution. Son deuxième mandat avait expiré le 21 décembre mais suite au report de l’élection présidentielle, il devait rester au poste jusqu’à une nouvelle élection, le 18 mai prochain. « Afin d’épargner à la Roumanie et aux citoyens roumains une crise, je quitterai mes fonctions le mercredi 12 février », a déclaré le chef de l’État lors d’une allocution à Bucarest le 10 février. Il soutient qu’il n’a pas violé la Constitution mais les roumains, excédés par une corruption endémique et la sensation de ne pas pouvoir se sortir de la misère, étaient de plus en plus réfractaires à ce qu’il poursuive son mandat. 
 
Les législateurs des partis d’opposition de l’extrême droite et du parti libéral de l’USR (Union sauvez la Roumanie) s’étaient réunis afin de déposer une motion visant à suspendre le président de ses fonctions. Elle devait être examinée dans les prochaines semaines mais Klaus Iohannis a mis fin au suspense.
 
Ilie Bolojan, président du Sénat et chef de file du Parti national libéral, devient président par intérim jusqu’à l’organisation d’un nouveau scrutin.

Calin Georgescou et l’extrême droite : une réponse au ras le bol

« Klaus Iohannis a démissionné ! Maintenant il est temps de renouer avec l’État de droit. Reprenons le second tour« , a réagi Calin Georgescou, le vainqueur surprise du premier tour de l’élection présidentielle organisée le 24 novembre dernier. 

Encore inconnu un mois avant cette élection, le candidat d’extrême droite prorusse a réussi à réunir 23% des voix. Mais le 6 décembre, la Cour constitutionnelle de Roumanie a annulé cette victoire sur des soupçons d’ingérence russe.

En effet, cette rapide ascension résulte d’une opération d’envergure sur le réseau social Tiktok en faveur du candidat prorusse. Des documents du renseignement national ont été déclassifiés et ont révélé une campagne douteuse. Des influenceurs locaux ont été rémunérés pour qu’ils diffusent des vidéos appelant à se rendre aux urnes, subtilement orientées pour que le « candidat idéal » qu’elles décrivaient corresponde au profil de Calin Georgescou et pour populariser certains mots-clés. Une fois les vidéos publiées, de faux comptes les inondaient de commentaires de soutien le candidat. 25 000 comptes directement associés à sa campagne avaient été recensés, devenus « extrêmement actifs deux semaines avant la date du scrutin », indiquaient ces documents. La manipulation de « micro-influenceurs » sur les réseaux sociaux n’est pas sans rappeler les méthodes déjà employées par des acteurs prorusses en Ukraine, mais aussi en Moldavie.

En outre, plus de 85 000 cyberattaques avaient été détectées, dont certaines le jour même du vote, lancées depuis une trentaine de pays et exploitant « les vulnérabilités des systèmes informatiques électoraux » pour déstabiliser l’élection. 

Calin Georgescou n’a pas officiellement postulé au nouveau scrutin, alors que l’extrême droite a salué l’annonce de cette démission. « C’est votre victoire ! », a lancé le chef du parti AUR (Alliance pour l’unité des roumains), George Simion, sur Facebook, en référence aux récentes manifestations. « Maintenant, il est temps de récupérer le deuxième tour. »

La Russie : une menace permanente  

Et si l’extrême droite et les idées prorusses gagnent du terrain, c’est surtout par peur de la Russie. La Roumanie, qui partage une frontière de 531 kilomètres avec l’Ukraine, craint que le conflit s’exporte au-delà de son voisin. 

Calin Georgescou joue sur cette peur en faisant campagne sur le thème de la paix. Il estime qu’il faut stopper l’aide à Kiev, refusant d’être « entraîné dans un conflit qui n’est pas le nôtre ». Il poursuit : « Je tiens à dire clairement et distinctement : la guerre en Ukraine doit cesser immédiatement. Pour moi, c’est une stratégie de paix. »

Le candidat prorusse questionne également l’utilité de la base militaire de Deveselu, au sud de la Roumanie. Pays membre de l’OTAN depuis 2004, cette base héberge depuis 2016 un système de défense antimissile américain censé intercepter toute attaque provenant d’Iran ou de Russie. Selon Calin Georgescu la menace russe existe mais est davantage exacerbée que contrée. « Si nous avons ce type de bases sur notre territoire, il faut être sûrs que les alliés de la Roumanie viennent défendre le pays en cas de conflit », remarque-t-il, peu confiant envers l’OTAN.

La Roumanie est perçue par Moscou comme un État ennemi. La Russie considère que le pays menace la sécurité russe par sa coopération avec l’OTAN et les États-Unis, et cherche à résoudre ses problèmes économiques aux dépens de la Russie. Le Kremlin agit donc pour alimenter le mécontentement social afin de fragiliser la cohésion politique et sociale en Europe. La Russie mène d’une main de fer cette nouvelle guerre de l’information.

2025 : un ultime rapprochement avec l’UE grâce à l’espace Schengen 

Après des années de négociation, le verdict est tombé : le 1er janvier 2025, la Roumanie a fait son entrée à part entière dans l’espace Schengen, ainsi que la Bulgarie. Les États membres de l’Union européenne ont décidé de supprimer les contrôles aux frontières terrestres après les avoir supprimés aux frontières aériennes et maritimes le 31 mars 2024. 

État membre de l’Union Européenne depuis 2007, la Roumanie a de gros problèmes financiers. En effet, le déficit budgétaire du pays est estimé à 8 % du PIB cette année par la Commission européenne, le plus élevé des Vingt-Sept. Mais la Roumanie occupe une place de choix, elle compte 33 députés au Parlement européen, ce qui en fait la 6e plus grosse délégation nationale, derrière l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. 

Cette entrée dans l’espace Schengen va peut-être aider la Roumanie à remonter la pente économiquement. Cela démontre aussi à la Russie que le pays a choisi son camp. Mais au vu de la démission du président Klaus Iohannis et du chaos politique qui sévit en Roumanie, le pays rentre dans une période d’incertitude qui sera surveillée de près par le Kremlin, qui n’est jamais loin.

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