Longtemps considérée comme une solution futuriste, la fusion nucléaire fait aujourd’hui l’objet d’une attention scientifique, politique et économique grandissante. Face à l’urgence climatique, à l’épuisement progressif des ressources fossiles, ainsi qu’à l’insuffisance relative des solutions actuelles en énergies renouvelables, cette technologie pourrait profondément bouleverser le paradigme énergétique mondial.
Fondements théoriques de la fusion nucléaire
La fusion nucléaire constitue le processus qui alimente naturellement les étoiles, dont notre Soleil. Contrairement à la fission nucléaire, qui repose sur la division d’un noyau atomique lourd en deux noyaux plus légers, la fusion nucléaire consiste à réunir deux noyaux atomiques légers (principalement l’hydrogène sous ses formes isotopiques, deutérium et tritium) pour former un noyau plus lourd (hélium), libérant au passage une quantité considérable d’énergie selon l’équation d’Einstein connue de tous :
E=mc2
Ce phénomène, à l’origine même de la lumière et de la chaleur du Soleil et des autres étoiles, apparaît comme la promesse ultime d’une source énergétique presque inépuisable et non polluante à l’échelle terrestre.
Avancée de la recherche
La reproduction terrestre de la fusion nucléaire repose principalement sur la technologie du confinement magnétique au sein de réacteurs appelés tokamaks. Développés initialement dans les années 1950-1960 par les physiciens soviétiques Igor Tamm et Andreï Sakharov, les tokamaks utilisent de puissants champs magnétiques afin de contenir et contrôler le plasma porté à une température extrêmement élevée (entre 100 et 150 millions de degrés Celsius), condition nécessaire pour surmonter la répulsion électrostatique naturelle des noyaux chargés positivement.
Le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), basé à Cadarache en France, illustre l’état le plus avancé de cette technologie. Fruit d’une collaboration scientifique internationale sans précédent regroupant l’Union européenne, les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, ITER vise à démontrer la faisabilité technologique et scientifique d’une réaction de fusion contrôlée, avec un rendement énergétique net positif. Ce projet titanesque, doté d’un budget initial dépassant 20 milliards d’euros, mobilise plus de 35 pays partenaires et constitue l’expérience la plus ambitieuse jamais entreprise dans le domaine.
D’autres alternatives technologiques émergent toutefois en parallèle, portées par des acteurs privés tels que Commonwealth Fusion Systems (CFS) ou Helion Energy aux États-Unis, qui explorent des approches innovantes, comme l’utilisation de supraconducteurs à haute température ou la fusion inertielle, avec l’ambition affichée d’accélérer l’accès à cette source d’énergie révolutionnaire dès les années 2040.
Défis économiques de la fusion nucléaire
Si la faisabilité scientifique de la fusion est progressivement démontrée, des défis majeurs restent à relever pour assurer la viabilité industrielle, économique et écologique à grande échelle de cette technologie énergétique.
L’un des défis techniques essentiels réside dans la maîtrise des matériaux capables de résister durablement aux conditions extrêmes présentes au sein d’un réacteur à fusion (températures extrêmement élevées, exposition intense aux neutrons énergétiques). Ces matériaux doivent présenter des propriétés exceptionnelles en termes de résistance mécanique, de durabilité et de capacité à limiter l’activation radioactive. À cet égard, le développement de nouveaux matériaux composites ou supraconducteurs à haute température critique constitue aujourd’hui un front prioritaire de la recherche scientifique.
En termes économiques, le coût de construction et de fonctionnement des premiers réacteurs à fusion demeure extrêmement élevé. La question centrale est donc celle de la rentabilité : comment produire une énergie compétitive face aux énergies renouvelables ou même face au nucléaire traditionnel ? Selon les économistes de l’OCDE, les premiers réacteurs à fusion pourraient afficher initialement des coûts de production avoisinant le double de ceux des centrales nucléaires à fission actuelles, posant un défi de compétitivité majeur. Cependant, ces coûts pourraient considérablement diminuer au fil du temps, à mesure que les avancées technologiques et les économies d’échelle se matérialiseront.
Perspectives environnementales
L’atout environnemental de la fusion nucléaire est manifeste : elle constitue une source d’énergie non carbonée et théoriquement illimitée grâce à l’abondance naturelle du deutérium dans l’eau des océans. Contrairement à la fission nucléaire classique, la fusion ne produit pas de déchets radioactifs de haute activité à longue durée de vie. Les sous-produits principaux sont l’hélium, gaz inerte non polluant, et des neutrons rapides qui, certes, nécessitent la gestion de matériaux irradiés mais sans commune mesure avec les déchets radioactifs persistants issus de la fission.
Par ailleurs, la fusion, dépourvue de risque d’emballement d’une réaction nucléaire incontrôlée, offre une sécurité intrinsèque considérablement supérieure à celle des centrales nucléaires traditionnelles, excluant tout scénario d’accident majeur du type Fukushima.