Mais où Frank Herbert-a-t-il puisé ses inspirations ?
Les critiques au sujet de DUNE (première partie), ont été quasiment unanime. La mise en scène grandiose, majestueuse, spectaculaire, qui nous laisse presque bouché bée, est celle qui nous vient tout de suite à l’esprit. La signature esthétique du réalisateur québécois a su sublimer parfaitement l’œuvre originale de Frank Herbert, publiée en 1965, connue pour la difficulté de son adaptation cinématographique. Sans surprise, le premier opus de la saga avait eu le 5ème meilleur démarrage de 2021 et le 6ème depuis le début de la pandémie en France, avec déjà 181 316 entrées dès son 1er jour dans les salles françaises selon le compte Twitter (dorénavant X) de boxofficefr, et ce succès ne s’est évidemment pas arrêter aux frontières de l’hexagone. Cependant, une question subsiste, où Frank Herbert-a-t-il puisé ses inspirations pour créer une œuvre incontournable de science-fiction qui marque encore les générations actuelles ?
Tout d’abord, contextualisons un peu : la saga DUNE comporte en réalité 6 livres écrits par Frank Herbert entre 1965 et 1985 (qui meurt l’année suivante), ainsi que 16 autres romans écrits après son décès par son fils Brian Herbert et l’auteur Kevin J. Anderson, qui sont considérés comme les préquelles du roman, basé sur les notes du défunt. Le cycle de DUNE aborde de nombreux thèmes, qui, déjà, montrent de fortes similitudes avec les enjeux historiques qu’ont connus, et qui continuent toujours, dans la zone géographique du Proche-Orient concernant le pétrole, l’eau et le pouvoir. On y retrouve l’écologie planétaire, l’organisation politique et religieuse, la géopolitique, les rivalités princières et des maisons nobles, les rivalités politiques et économiques entre les ordres et les organisations de cet univers, l’acquisition et la préservation de ressources (notamment l’Épice, aussi appelé le Mélange, cette substance fictive qui n’est présente que sur la planète DUNE, une ressource rare et cher, qui présente nombre de bienfaits et est convoité par tous), la remise en cause de l’intelligence artificielle et des robots intelligents (avec le Jihad Butlérien), le transhumanisme et les manipulations génétiques (avec les gholas, des clones), mais aussi le mysticisme, le messianisme et le contrôle des religions (avec la fameuse Missionaria Protectiva, une technique de manipulation de masse utilisé dans l’univers de fiction par les Révérendes Mères) pour guider la population. Mais surtout, l’auteur s’inspire et se réfère à différentes civilisations que notre monde a connu, telles que la civilisation arabe ou la civilisation européenne, et c’est de la première à laquelle nous nous intéresserons dans cet article.
La culture nord-africaine et islamique, au cœur de l’œuvre DUNE.
En effet, le récit d’aventure contient de nombreuses références à l’Islam, aux cultures berbères des peuples du Maghreb et arabes du Moyen-Orient, ce qui était entièrement nouveau pour l’époque ! Dans la biographie Dreamer of Dune : The Biography of Frank Herbert, sorti en 2003, dédiée à l’auteur américain et écrite par son fils, le combat des Algériens pour l’indépendance et la décolonisation du pays, entre 1954 et 1962, ex-colonie française depuis 1830, est cité parmi les sources d’inspiration majeure du roman. C’est d’ailleurs ce même peuple algérien empli d’un désir de liberté qui inspira la création du peuple « Fremen » de la planète Arrakis, ou DUNE, là où se déroule principalement l’intrigue de notre aventure fantastique. Tanezrouft, le « Pays de la Soif » ou plus simplement “désert” en Tamazight (la langue des peuples Amazighs), est une partie du désert d’Arrakis et porte le même nom qu’une véritable partie du Sahara, dans le sud de l’Algérie, à cheval avec le Mali. Ceci n’a pas pu vous échapper, Arrakis est dépeinte dans l’œuvre comme une planète-désert à perte de vue, entièrement couverte de sable et de roches…à l’image du paysage habituel que côtoient encore aujourd’hui les peuples ancestraux d’Afrique du Nord.
Le terme de “Fremen”, que l’auteur a voulu donner à l’un des peuples les plus importants de son univers n’est pas non plus dû au hasard. Il est une inspiration directe du nom que se donne le peuple des Touaregs, ainsi que d’autres peuples d’Afrique du Nord, comme les Amazigh, ou Imazighen. Le nom même de la tribu inventé par Herbert est un raccourci de « Free Men », la traduction rapportée du mot Amazigh, en français : “les hommes libres”. Dans le roman, Chani, un autre personnage ayant aussi une grande importance, puisqu’elle est la compagne de Paul, et joué dans les deux opus par Zendaya, fait partie du peuple Fremen. Écrit durant l’effervescence des indépendances des années 1950 et 1960, le livre contient un chant qui avait retenti en 1962 dans les rues d’Algérie : “Ya hya Chouhada”. Dans le livre, les Fremen acclament Paul (le personnage principal), joué par Timothée Chalamet dans les deux opus, en criant “Ya hya chouhada”. Sa mère, Jessica, explique aux lecteurs que cela signifie “longue vie aux combattants”. C’est une traduction relativement correcte. En arabe, la phrase signifie plutôt “longue vie aux martyrs”. Elle fut proclamée par les algériens lorsque Benyoucef Benkhedda (qui, durant la guerre d’Algérie, fut à la tête de l’un des premiers gouvernements provisoires algériens, de 1961 à 1962) rentra à Alger avec ses ministres après avoir obtenu l’indépendance.
De véritables termes arabes et tamasheq (une langue touarègue), se glissent assez souvent tout au long de notre histoire, tels que : “subaq al khuar”, qui vient de “sabah al kheir” (bonjour en français), ou encore, “bi-la-kaifa”, qui veut dire “sans demander comment” ou “sans [savoir] comment”. Il est fort étonnant que Frank Herbert soit exposé à ce terme et en fasse usage car celui-ci se réfère en réalité aux nombreux débats théologiques concernant les contradictions apparentes de certains versets du Saint Coran. Ce terme n’est pas souvent utilisé à l’époque moderne, mais plutôt au sein de cercles théologiques. Paul Atréides, notre héros, est aussi appelé “Muad’Dib” par les Fremen. Une nouvelle fois, ce mot provient de l’arabe, “Muadib” qui signifie celui qui a reçu “adab” mot polysémique signifiant aussi bien l’éducation que l’instruction, les belles lettres que la sagesse. Dans cette fiction, il faut l’entendre comme «l’initié », faisant écho à son épisode de l’”Agonie de l’Épice”. On retrouve toute une ribambelle d’autres références cachés tels que le mot “Mahdi”, la traduction arabe du mot “Messi”, donné par les Fremen à Paul. Le terme de “Jihad”, déjà mentionné auparavant, qui fait référence à l’épisode de la “Grande révolte”, pour les connaisseurs. Enfin, le peuple Fremen ne s’était pas toujours appelé ainsi. En effet, leur nom ancien était les Vagabonds Zensunni, il s’agit là d’une secte islamique, qui, après moultes péripéties, achevèrent leur voyage sur Arrakis en 7193. Leur nom vient d’un mélange entre les préceptes religieux du Bouddhisme zen et de l’Islam sunnite. Vous pouvez retrouver un lexique des termes proposés à la fin de certains romans par Frank Herbert ou de ceux proposés par son fils et Kevin J. Anderson : Lexique de l’Impérium.
La culture nord-africaine et islamique, une première dans le monde de la Sci-Fi.
En conclusion, l’œuvre monumentale DUNE est une première (et une pionnière) dans l’introduction de cultures ancestrales nord-africaines et islamiques, qui étaient jusqu’à absente du monde de la science-fiction. Les lecteurs et les plus fins spécialistes ressentent bien que l’Islam, et l’univers des religions par extension, représente une part importante à l’inspiration de l’ouvrage, comme en témoigne cette forte empreinte musulmane des Fremen, constituant presque l’ensemble de leur mode de vie : langue, croyances, livres, proverbes etc. Frank Herbert ne s’est pas seulement arrêté à un usage purement décoratif ou secondaire de la culture nord-africaine, mais est véritablement l’essence du livre. Les nombreuses références, parfois cachées, parfois surprenantes, nous poussent à ne pouvoir que contempler un travail aussi pointilleux et réussi, de recherche et d’instruction sur l’histoire des peuples autochtones d’Afrique du nord mais aussi de la civilisation islamique, montrant un véritable intérêt pour celles-ci. Et si nous en sommes arrivés jusqu’ici aujourd’hui, c’est que le travail de Frank Herbert a donné ses fruits : avec près de 20 millions d’exemplaires vendus pour le premier tome de la saga, elle est l’œuvre de science-fiction la plus vendue au monde, un classique. L’influence de l’œuvre s’étendra au-delà du monde littéraire et transformera profondément le cinéma avec l’avènement du film Star Wars, dont l’histoire présente de telles similarités avec la saga de Frank Herbert qu’elle est parfois caractérisée comme étant la première adaptation réussie de son récit, comme l’avait presque laissé entendre Denis Villeneuve en personne…