Parfois méconnue du grand public, son nom résonne désormais dans la capitale parisienne, et en particulier au cœur du Quartier Latin. Pourtant, si Joséphine Baker est à la bouche de chacun, une partie de son histoire reste méconnue, ou du moins peu démocratisée. Car si Joséphine Baker a été panthéonisée, ce fut non pas par son nom mais bien son histoire, le symbole qu’elle incarne et le témoignage d’une époque qu’elle a traversée.
Nous vous proposons ainsi, à l’occasion des noces de rosée de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, de revenir sur son histoire, et en particulier sur son histoire dans le cinéma et dans le contexte racial des années folles.
D’artiste de rue à meneuse de revue…
Joséphine Baker est née le 3 juin 1906 dans le Missouri aux Etats-Unis. D’origine espagnole, afro-américaine et amérindienne, sa famille fait partie d’une minorité américaine pauvre. En 1920, elle quitte l’école pour se marier. Elle divorce rapidement, et se lance dans la danse de rue, où elle rencontre son deuxième mari, Willie Baker. À 16 ans, elle le quitte pour tenter sa chance plus haut, là où les étoiles ont déjà brillé pour des centaines de femmes et d’artistes : Broadway, à New York. Là-bas, elle rejoint la troupe de la comédie musicale Shuffle Along, puis le Chocolate Dandies et enfin le Plantation Club. C’est dans ce dernier qu’elle rencontre Caroline Dudley Reagan, dont l’époux, Donald J. Reagan, cherche des artistes pour monter un spectacle à Paris : La revue nègre. Joséphine Baker en devient l’artiste phare. Elle est ce qu’on appelle alors une meneuse de revue.
En 1925, elle embarque à Paris. C’est dans la capitale française que cette dernière devient célèbre pour son adaptation du charleston, presque nue, vêtue d’un pagne et de fausses bananes, le tout dans un décor tropical.
Une célébrité conditionnée par des codes raciaux
Au milieu des années 1920, Joséphine Baker devient ainsi l’exception. Elle est à la fois la seule star mondiale de couleur, et la femme la plus photographiée au monde. Cependant, son image de star n’échappe pas aux codes de l’époque, et en particulier aux règles d’une société raciste. Paradoxalement, c’est spécifiquement par cette société que la figure de Joséphine Baker a pu émerger, dans la tropicalité qu’incarne le personnage qu’elle joue.
Lorsque Joséphine Baker quitte son pays, les Etats-Unis, le racisme ambiant vient assombrir les joies et les célébrations des années folles. Un article du Los Angeles Daily News daté du 20 mai 1952 relate cette époque : « quand une histoire fait appel à un personnage à la peau et aux yeux sombres, il devrait être joué par une personne de la race correspondante ». Le blackface est courant, et un avenir dans le cinéma n’est pas envisageable pour des stars du cinéma.
Contrairement aux apparences, la situation en France n’est pas meilleure. Mais dans les années 1920, un mouvement de « négrophilie » parisienne permet à Joséphine Baker de se faire une petite place au cœur. Elle adopte alors une position ambiguë : sur scène, elle joue la sauvage, consolide l’ordre colonial en satisfaisant son public, quand bien même elle est américaine. Son unique lien aux colonies, au-delà de la couleur de sa peau qui en fait un symbole dans les milieux intellectuels parisiens, n’existe donc que sur scène. Le paradoxe de ce positionnement est noté en 1931, quand on propose de la nommer « Reine des Colonies » lors de l’exposition coloniale. Une nomination qui est rapidement retirée, en raison de l’identité même de la reine proclamée.
Joséphine Baker est donc le paradoxe d’une période raciste : célébrité, mais noire. Pourtant, les enjeux raciaux ne sont jamais explicitement évoqués dans les films dans lesquels elle joue. Le tabou racial caractéristique du cinéma d’époque ne l’occulte pas pour autant, mais se détache de tout biais social ou politique, comme dans La Sirène des tropiques (1927). Aux Etats-Unis, les films de Joséphine Baker sont parfois censurés, non diffusés devant un public afro-américain : plus que jamais, la race est un tabou et un enjeu politique que l’on ne saurait visibiliser. Le journal Afro-American souligne ainsi dans un article le 20 septembre 1930 que “Jo Baker film shows equality of race” (“le film de Jo Baker montre l’égalité des races“). Une conclusion qui est rapidement effacée, puisque le journal se rétracte à la sortie du film, déçu de l’absence de scène d’amour entre un acteur blanc et une actrice noire. La représentation peut être, mais l’égalité, pas encore.
Joséphine Baker : l’exception du cinéma français
A cet égard, le film Fausse alerte est novateur : l’altérité du personnage de Joséphine Baker est gommée, le film ne traite plus d’exotisme, mais du rapprochement de deux familles jadis séparées par la guerre. La question de la race n’a aucune importance pour l’intrigue, et Joséphine Baker devient une actrice comme les autres. C’est la première fois dans l’histoire qu’une actrice ou un acteur perçu comme noir.e joue le rôle d’une personne dont la couleur de peau n’influence pas l’intrigue. La première et la dernière, jusqu’en 1980.
En ce sens, Joséphine Baker est un personnage historique, dont le parcours s’inscrit dans les enjeux raciaux de l’époque, jusqu’à les dépasser et devenir la plus célèbre des actrices noires du XXe siècle, et surtout la première femme noire à entrer au Panthéon.