Chez les Ryo, le cyclisme est une histoire de famille. Titia, 18 ans, championne de France juniors sur route, passera professionnelle l’année prochaine au sein de la formation Arkéa Pro Cycling Team. La sociétaire de la “Sportbreizh Armor-Lux” et de la “Team Breizh Ladies” (équipe féminine du comité de Bretagne) revient sur sa carrière et se projette sur son avenir dans un monde nouveau.
Comment s’est passé ta signature avec Arkéa ?
“Les premières rumeurs sont apparues dans Ouest France, je n’avais toujours pas signé, on était juste en contact avec Arkéa depuis pas mal de temps. On était en train d’élaborer chacun ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait pas, etc… Deux semaines après, j’ai signé et l’annonce s’est faite deux semaines encore plus tard [le 13 octobre]. J’ai annoncé tout ça à tout le monde pendant ces deux semaines, enfin surtout à ma famille parce qu’il ne faut pas trop en parler.”
Justement, tu parles de ta famille, elle t’a toujours soutenu ?
“Oui. Mon frère fait du vélo avec moi, on est dans le même club [Team SportBreizh]. Mon père aussi en a fait pendant bien longtemps, avant nous. En fait, c’est lui qui nous a donné le goût du cyclisme et qui nous a mis sur le vélo. A côté de ça, il y a ma mère, qui n’est pas trop dans le vélo. Mais c’est bien aussi parce qu’elle a d’autres points de vue, elle voit les choses autrement que mon père ou mon frère par exemple. C’est bien d’avoir ces deux visions.”
Tu arrives à concilier études et entraînements ?
“Je suis en STAPS et je trouve que c’est le bon compromis avec le fait que je fasse du vélo à haut niveau à côté. J’ai quand même du temps dans mes journées et dans la semaine. Globalement ça va, mais forcément, j’ai moins le temps que certains qui ne font que du vélo et pas d’études à côté. Il y en a qui arrêtent les études, ou qui essaient et dès qu’ils voient que c’est un peu compliqué, ils arrêtent. Personnellement, j’ai vraiment envie de finir mes trois ans de STAPS, quitte à laisser un peu le vélo de côté. Même si je passe pro, je préfère assurer mes études dans un premier temps. On ne sait jamais, un accident, une blessure… Et puis, le monde professionnel, il va falloir essayer, peut-être que ça ne va pas me plaire. Il vaut mieux avoir les études à côté, ça permet aussi d’avoir la tête ailleurs, de ne pas penser qu’au vélo et de finir par tourner en bourrique.”
On parle beaucoup de la précarité dans le cyclisme féminin, ça ne te fait pas peur ?
“En fait, ça a tendance à changer, ça bouge. Les salaires commencent à augmenter. Il y a une loi qui passe l’année prochaine pour que chaque coureuse professionnelle à temps plein soit payée au SMIC (minimum). Ça montre que ça évolue. Et puis les budgets, même par rapport au Tour de France, augmentent. Il y a eu plus de médiatisation que d’habitude, ça aide beaucoup aussi. Donc ça a tendance à bouger mais au début, j’avoue qu’on pensait plus que passer professionnelle c’était plus un “à côté” d’un métier. Maintenant, on peut vraiment en vivre. Je sais que plus de la moitié du peloton en vit maintenant. Ce qui arrivait pour beaucoup d’équipes, c’est qu’ ils faisaient passer l’équipe homme avant l’équipe femme ; mais là ça évolue et ils veulent vraiment créer un truc pour les féminines, notamment en passant en World Tour.”
Est-ce que tu savais que tu en arriverais là un jour, ou “passer pro” était plus un idéal à atteindre ? Peut-être les deux ?
“Peut-être un peu des deux, parce qu’au début, quand j’ai commencé le vélo, j’ai voulu arrêter le vélo rapidement. Et puis, vu que j’avais déjà pris ma licence cette année-là, mon père a dit : “Tu as payé ta licence, tu finis la saison et après tu peux arrêter”. Et c’est là que tout a un peu changé, j’étais au championnat de France, etc. Et là, je me suis dit : ”J’adore, je veux continuer, je veux vraiment performer.” Et après, je suis passée à la Breizh Ladies, l’équipe féminine que j’ai intégrée. C’est là que je me suis donné l’objectif de passer professionnel, parce que c’était le parcours de beaucoup de filles qui étaient passées par la Breizh Ladies avant moi. C’est vraiment une équipe de formation, en nationale un, [qui permet de] passer à l’échelon supérieur. J’avais vraiment pour objectif de le faire. Mais j’avoue que cette année, ça a été plus dur que je ne pensais. En fait, je pensais que ça allait être plus simple de passer pro. L’année dernière, j’ai eu pas mal de propositions, de gens qui voulaient me suivre, comme la FDJ ou Arkéa. Mais quand il a fallu passer professionnel, je n’avais pas de proposition. Je commençais à me demander si j’allais réussir à passer, à signer. Et en fait, j’ai quand même fait une bonne saison avec les Championnats du Monde, les Championnats d’Europe, le Grand Prix de Plouay, etc. Ça m’a aidé à décrocher un contrat.”
Tu es en pause actuellement ?
“Oui j’ai arrêté juste après le Chrono des Nations sur un bon résultat donc c’est cool, une deuxième place. Je suis déjà dans ma deuxième semaine [de pause]. J’ai fait une coupure complète pendant une semaine, sans sport. C’est un peu dur surtout quand tu vois les kilos qui s’enchaînent. [rire]. Mais à part ça, ça va, et [cette semaine], reprise du sport avec de la course à pied, randonnée… D’ailleurs je vais faire le KUNT [Kemper Urban Noz Trail], c’est une course à pied de quinze bornes dans Quimper. Je fais ça avec mon frère, mon père et des amis, ça va être cool. Et puis je fais un semi-marathon aussi, j’avais envie d’essayer. Et puis le vélo, ça va être un peu plus tard, vers mi-novembre.”
Quelle sera ta prochaine échéance après ta reprise ?
“J’en ai aucune idée [rire]. En fait, je reprends vraiment l’entraînement mi-novembre mais la saison ne commence qu’en janvier/février donc je n’ai pas encore mon calendrier. On a [des] stages avec Arkea début décembre et mi-janvier, si je ne dis pas de bêtises, un en Bretagne et un en Espagne pour se préparer. C’est là où on aura plus de détails sur le calendrier personnel.”
C’est l’équipe qui va choisir ton calendrier ? Ce n’était peut-être pas le cas avant ?
“Quand j’étais amateur, il n’y avait pas beaucoup de choix de courses. Il y a plusieurs Coupes de France, plusieurs Coupes du monde, qui ne se chevauchent pas donc on essaie de tous les faire. Ce n’est pas forcément une bonne idée, il faut quand même faire des petites pauses. Mais l’année prochaine, il y a vraiment le choix, c’est eux qui vont me mettre sur des parcours qui me conviennent. Ils ne vont pas me mettre sur des parcours où je ne suis pas trop à l’aise, sauf si c’est pour me faire découvrir (les courses sur pavés par exemple)”
Quels sont tes objectifs en tant que professionnelle ?
“D’abord découvrir, savoir si ce monde me plaît ou non. Et après forcément, j’ai envie de performer dans le monde professionnel et gravir les échelons, [jusqu’à] peut-être atteindre le World tour, pouvoir faire le tour de France, pourquoi pas avec Arkéa.”
Où te vois-tu dans 10 ans ?
“Médecin… Non je rigole [rire]. Plus sérieusement je me vois soit toujours sur un vélo, dans une grande équipe et toujours passionnée du vélo; soit rien à voir, partir dans l’humanitaire. Ça m’a toujours donné envie, comme l’armée. J’avoue que si ma carrière est plus courte que prévue, ce serait un truc que j’aimerais tester.”
Tu parles de perdre la passion pour le cyclisme ?
“En vrai, ça me fait un peu peur. On voit pas mal de coureurs ou de coureuses qui s’en vont […] tellement c’est exigeant. Pas que le vélo, le sport à haut niveau en général. Il faut avoir les épaules, le mental et être bien entouré pour continuer à apprécier ce qu’on fait. J’espère que ça durera le plus longtemps possible.”
Est-ce que tu as connu des difficultés particulières ou des échecs qui t’ont peut-être aidée à arriver là où tu es aujourd’hui ?
“C’est d’avoir eu un huit en SVT quand j’étais en seconde… Non je rigole [rire]. Si j’avais eu une grosse chute en Cadette deuxième année, J’ai eu un pneumothorax, c’est un décollement de la plèvre. Du coup, j’ai dû arrêter le sport pendant quatre mois, presque cinq. J’ai eu du mal à “revenir dans le game”, comme on pourrait dire. J’avais beaucoup d’appréhension parce qu’on m’avait dit que si je rechutais, ça pouvait se rouvrir, et j’avais l’impression que je n’arriverais plus au niveau.
J’ai pris une préparatrice mentale à ce moment-là. Elle m’a relevée. L’année d’après, j’ai fait ma meilleure saison : j’ai été championne de France l’année dernière. Je pense que cette chute m’a aidée à être plus forte et à ne pas douter trop de mes moyens comme j’ai pu le faire. Et je pense que je ne me serais pas donnée autant, si je n’avais pas fait cette chute, à avoir un bon niveau.”
À l’inverse, ta plus grande réussite ?
“Le titre de championne de France l’année dernière. Ça a été une grande réussite. Et cette année, j’ai eu quand même de belles réussites avec les Championnats du Monde [6ème, 28e en 2022] et les Championnats d’Europe [4ème, 30e en 2022] même si je n’ai pas gagné ou je n’ai pas eu un résultat fort. Aux championnats du monde, c’est une de mes coéquipières qui est Championne, donc c’est une belle réussite collective. Et puis aussi le passage [chez les] pro.”
Ton meilleur souvenir ? Peut-être lié à ta plus grande réussite ?
“C’est vrai que les championnats de France restent quand même un de mes meilleurs souvenirs, avec les filles de la Breizh Ladies. Mais je dirais que j’ai aussi de très très beaux souvenirs quand je cours avec mon père et mon frère. Même si je ne fais pas de résultat (parce que dans ce cas je cours avec les garçons, pour me préparer aussi), je trouve ça trop cool que, à la fin de la course, on se dise : “On a couru ensemble, c’était cool”.
Tu penses retrouver la bonne ambiance de la Breizh Ladies avec Arkéa ?
“Ce qui était vraiment top avec la “Lady”, c’est que c’était sérieux, mais on se prenait quand même toujours à la rigolade à côté. Je ne connais pas encore toutes les filles chez Arkéa, je ne les ai pas encore toutes rencontrées, mais je pense qu’il y aura une bonne ambiance aussi. Et puis ça va être autre chose, il y aura plus de staff, plus de vélo, plus de déplacements, plus de tout”