Nous avons eu la chance de rencontrer le sociétaire de la Comédie Française, dans lequel il joue actuellement dans plusieurs pièces comme Le Bourgeois Gentilhomme ou Le Malade Imaginaire. Son film, tiré de sa pièce autobiographique :“Les Garçons et Guillaume, à table !” reflète son talent et sa persévérance en tant que personne. Son parcours aux multiples casquettes force l’admiration.
Interview :
À quel moment de votre vie avez-vous eu cette vocation pour la scène ?
“Le jour du décès de ma cousine, le 24 décembre 1990, elle avait 20 ans, j’en avais 18. Elle est partie à cause d’une forme de leucémie et je me suis dit que la vie peut être aussi fragile, aussi courte, aussi absurde alors ça m’a donné le courage. Je me suis dit qu’il fallait que je sois acteur. C’était déjà en moi, mais je n’avais pas eu le courage de me le dire.”
Est-elle devenue une force, un mentor dans votre carrière ?
“ Non, ce n’était pas mon mentor, mais en tout cas elle m’a donné la force, c’est vrai. C’était une poétesse très forte qui publiait chez Gallimard sous le nom Alicia Gallienne. Dans un de ses poèmes, elle écrivait “Faiblesse, je te hais de toi-même; vivre, c’est accepter de tomber sous le poids de ce qui ne nous appartient pas.” Elle trouvait qu’il fallait se donner les moyens surtout quand on était gâté par la vie. Il fallait tout faire pour vivre sa vie à fond.”
Peut-on dire que cette alchimie avec votre cousine a inspiré votre jeu d’acteur dans vos représentations ? Prenez-vous appui sur vos relations pour incarner ce charisme et faire prospérer un esprit de groupe ?
“On ne peut pas dire que ce soit l’alchimie et de plus le charisme n’engendre pas forcément l’esprit de groupe. Il y a deux présences, le collectif et celle de la scène. Celle-ci on la travaille, on peut l’avoir ou ne pas l’avoir, mais c’est à force d’effort que l’on bâtit sa confiance en soi. Je n’avais absolument pas confiance en moi. Je voulais être acteur surtout parce que je ne voulais pas être moi. Je souffrais beaucoup, je n’avais pas d’alchimie avec ma famille loin de là. J’étais proche de ma cousine, j’avais d’autres types de relations avec le reste des membres de ma famille.
Pour la présence, j’avais quelque chose d’original de par ma préciosité, de mon milieu, une forme de culture originale. Mais cette confiance, je l’ai eu par mes maîtres, ils m’ont donné confiance en moi, pas tous, mais la plupart”
Pour nos lecteurs et journalistes qui veulent exercer dans le métier des arts de la scène et des projecteurs, être de nature introvertie peut impacter notre jeu sur les planches ?
“Cela n’a pas véritablement de corrélation que l’on soit de nature introvertie ou extravertie, il faut travailler. Certains ont un côté génie que je n’avais pas du tout. J’avais un sens des situations, mais je n’avais pas ce génie inné. Thierry Hancisse* a un sens, un instinct d’acteur, il a un jeu immédiat. C’est pour ça qu’il est allé en Belgique dès les cours Florent. C’est un jeu très animal en plus, vraiment quelque chose que je n’avais pas. Avoir envie est bien, mais c’est le travail qui fait la différence, sans lui, il n’y a rien.”
*(Comédien et sociétaire de la Comédie-Française)
Sous la pression de la représentation théâtrale qui se joue sur le moment, le jeu d’un comédien diffère-t-il du jeu d’acteur qui, lui, a plusieurs prises ?
“ Je ne suis pas sûr qu’acteur et comédien soient une bonne distinction. On dit bien un acteur de théâtre, donc ce n’est pas tellement imperméable entre cinéma et théâtre. La pièce de théâtre est certes jouée en direct, mais on l’a beaucoup travaillé contrairement au cinéma. Au cinéma, on dit qu’il y a beaucoup de prises mais cela n’est pas tellement vrai. Dans le cinéma le temps c’est de l’argent donc on a une demi-journée pour tourner la scène. D’ailleurs, il y a de moins en moins des jours de tournage. L’économie du cinéma, c’est énormément resserrée et rapprochée de celle de la télévision et des plateformes.
La pression est donc identique, mais le travail est différent (entre acteur et comédien). Parce que la caméra va venir chercher les choses, autant au théâtre, il faut montrer des choses, illustrer certaines choses, les moins possibles, seulement ce qui relève du signifiant. Alors qu’au cinéma, c’est la caméra qui vient le chercher. Au cinéma, les séquences sont très courtes. On la découpe beaucoup donc on refait beaucoup la même chose. Il faut tout le temps être disponible parce que l’on ne sait pas ce que la caméra va prendre, ce que le montage va garder, donc c’est un autre travail, c’est une manière de plonger, je crois, au cinéma, je plonge pour tout le tournage, parce qu’il faut tellement être disponible. Quand tout d’un coup, c’est prêt alors c’est à nous.
Au théâtre, c’est les répétitions puis la représentation. Donc oui, il faut se préparer, mais pendant les représentations, je ne vais pas être obsédé par ce que je joue. Alors que pendant un tournage, je suis vraiment dans mon rôle.”
C’est très prenant ?
“Après ça dépend du rôle que vous avez, mais oui ça prend beaucoup”
Et durant la crise sanitaire, alors que théâtres et cinémas étaient clos, comment avez-vous vécu cette période ?
”Alors non franchement, on a fait beaucoup de Webtélé donc on a gardé un lien avec le public, on l’a même élargi d’ailleurs. Surtout, à l’étranger, car ils n’avaient pas l’occasion de venir en France. On touchait à des choses plus légères, des textes du bac que l’on s’est accaparé, etc. Plein de choses qu’Éric Ruf* a proposé et ça a vraiment créé une sorte d’émulation. Donc on a travaillé, on n’était pas en scène, en contact direct avec le public, mais on a quand même gardé un lien avec les textes, avec les auteurs, avec ce que l’on aime, et puis entre nous surtout.
Nous avions une conversation WhatsApp qui nous a permis de garder un lien de troupes. Le collectif existait toujours même s’il n’était pas présentiel. Moi, j’avais, peu de temps auparavant, vécu une sorte de période de jachère puisqu’en rendant mon rôle de Lucrèce Borgia, je n’avais aucune envie de jouer ; donc je suis partie enseigner aux États-Unis dans une université pendant 7 mois. Finalement, ça avait été une sorte de période de jachère qui avait été très salutaire pour moi et ma famille. Et donc au final, on a pu retrouver les mêmes sensations, on a eu beaucoup de chance, on a pu bien vivre cette période.”
* (sociétaire de la Comédie-Française et l’administrateur général depuis 2014).
Est-ce qu’enseigner aux États-Unis vous a marqué? Quelles expériences en avez-vous gardé et est-ce que vous allez les utiliser dans votre jeu ?
“Dans mon jeu pas du tout. Cependant, j’ai toujours gardé un pied dans l’enseignement, dans la transmission. J’ai fait, il n’y a pas longtemps, un zoom avec une classe sur l’oralité avec des enfants de 3e. Mais j’ai aussi fait un colloque avec des étudiants en 5e année à Sup de Pub. J’ai toujours été dans l’enseignement, par exemple, j’ai été plusieurs fois à Princeton. Mais en effet, sept mois dans une grande université américaine, c’est une expérience dont on se souvient. Il y avait des choses intéressantes plutôt sociétales disons. En 2018, il y avait déjà là-bas le wokisme, des étudiants non-binaires, des choses que l’on voyait peu en France alors que c’était en pleine émergence aux États-Unis. Des jeunes étudiants en transition parce qu’étant transsexuels. Finalement, pas mal de choses que l’on voit maintenant en France, mais qui ont émergé plus tôt disons.”
Est-ce que vous avez une œuvre, sur la société française en évolution, à recommander aux plus jeunes? Une œuvre qui vous a impacté ?
“ À la recherche du temps perdu” de Marcel Proust, oui, vraiment, c’est un chemin, une œuvre en effet très longue, de 3 600 pages, mais en 7 tomes. Je la recommanderais parce que c’est un des seuls chefs-d’œuvre au monde qui se finit bien. Proust prouve par cette œuvre que toute vie peut devenir une œuvre. Sa vie n’est pas en soi intéressante, mais la manière dont il la raconte, le regard qu’il porte aux autres, ça devient passionnant. Et puis aussi parce qu’il y a une élasticité du temps et de l’espace qui donne pas mal de liberté. Il a un regard profondément humain, parfois cruel, très drôle souvent, sur les autres, sur les hommes. On suit le chemin du narrateur et en même temps on se découvre soi-même un propre chemin initiatique en fait.”
Vous avez été narrateur sur France Inter, est-ce qu’une des nombreuses œuvres que vous avez contée vous a fait plonger, gamberger, vous a fait réfléchir plus que les autres ?
“ Tout me fait réfléchir, tout doit nous pousser à réfléchir, enfin, j’espère, j’attends ça : être dérangé, bousculé, depuis toujours et pas que grâce à France Inter. J’ai un gros penchant pour la littérature russe, Dostoïevski, Tolstoï, même Tourgueniev, Boulgakov. Après, la littérature américaine me plaît beaucoup, mais aussi à la littérature contemporaine. Avant j’étais peu au fait, je lisais vraiment les classiques et puis il y a quelque temps, je me suis mis à lire Laurent Gaudé, Leïla Slimani.”
Vous avez une audience internationale, est-ce que le public change en fonction du pays? Cela vous a-t-il marqué ?
“ Il est vrai que “ Les Garçons et Guillaume, à table ! ” s’est vendu dans pas mal de pays, mais j’ai pas forcément eu le temps d’aller présenter le film partout. Après oui l’accueil va varier, par exemple “Les Garçons et Guillaume, à table !” se joue en Italie. Un acteur italien a repris le flambeau. Ils se sont accaparé ce texte d’une manière assez loufoque, assez drôle, très italien, très haut en couleur. Mais oui, les publics sont différents, les cultures sont variées, mais il y a quand même un truc dans le théâtre qui nous unit. Il m’est arrivé d’aller voir des pièces allemandes, ou russes. Il y a quand même quelque chose qui unifie. C’est le besoin d’aller voir, d’aller dans une salle où on nous tend un miroir sur notre humanité, sur nos propres déformations, nos monstruosités, sur ce que l’on peut avoir de superbe, d’horrible et de terrible.
Donc on va au théâtre pour ça quand même. Et ça, dans n’importe quelle culture quand le miroir est bien tendu, parfois ça émeut. Surtout et avant tout, il faut que ça émeuve, parce que oui, il faut réfléchir, mais c’est surtout l’émotion, c’est ça qui marque. On peut faire les deux, regarder Shakespeare, mais il faut que ça émeuve, dans le rire, dans la tragédie dans ce que l’on veut. Mais il faut que ça soit physique, pas juste là dans la passivité.”
Votre film “Les Garçons et Guillaume, à table !” a été couronné de succès avec 4 césars, est-ce que ça a été un changement dans votre carrière ou vous êtes-vous tourné vers autre chose ?
“Je m’étais déjà diversifié vers le cinéma, j’avais déjà fait Saint-Laurent. Mais c’est vrai que ça a été particulier, ça a été un peu beaucoup, mais je ne me le suis jamais approprié. J’ai toujours considéré que c’était le film, c’est cette aventure qui a eu ces récompenses-là. Je ne me balade pas avec mes 4 césars, ils appartiennent à ce moment-là, à cette tranche de vie là, cette chose-là. Voilà, c’est fait, tant mieux, ça s’est super bien passé, mais c’est fait.”
Êtes-vous alors de ceux qui jouent pour vivre ou vivent pour jouer ?
“C’est mon métier, c’est un métier qui n’est pas loin du sacerdoce oui dans un sens, mais ma famille est ma priorité avant tout, je peux tout à fait ne pas jouer. En revanche, j’adore jouer, j’aime ça, c’est une passion. Et puis au bout de 25 ans de métier, c’est agréable, je m’encombre moins de choses inutiles donc ça, c’est pas mal.”
Qu’appelez-vous, des choses inutiles ?
“ Quand on est jeune, on se fourvoie un peu, on se pose parfois les mauvaises questions. À force d’avancer dans le métier, il y a des choses qui ne m’encombrent plus, ou moins.”
Alors, auriez-vous des conseils pour nos apprentis comédiens ou nos étudiants pour leurs apprentissages personnels ?
“Lire, vraiment lire. Aller au théâtre voir des pièces et des films au cinéma. Pas seulement par le téléphone, vivre l’expérience du grand écran. Être immergé dans une œuvre. Ne pas seulement aller voir des expos. Il faut être au courant de ce qu’il se fait artistiquement dans son temps, se poser. Qu’aimons-nous, qu’est-ce qui nous fait bouger ? Qu’est-ce que l’on déteste, qu’est-ce que l’on a envie d’imiter ? Voilà, c’est ça aussi être au courant artistiquement: voir ce qui se fait dans les opéras, en danse contemporaine, mais même classique. Connaître ses classiques, d’où ça vient. Aller voir des choses et voir ce qui nous passionne ou ce que l’on déteste, des choses inatteignables, aller voir le maximum de choses.”
En 2005, vous avez écrit votre premier ballet, quelle est la différence dans l’écriture avec une pièce ?
“L’écriture d’un ballet, c’est un argument, c’est comme le livret d’un opéra et encore il n’y a pas de dialogue donc c’est juste la trame, juste l’histoire que vous allez livrer au chorégraphe. C’est par scène, par lot, où on décrit l’histoire qui avance de telle ou telle façon. Par exemple pour Giselle : le prince part à la chasse, tout à coup Giselle sort, ils se rencontrent. Il tombe amoureux d’elle, elle est impressionnée, mais elle ne sait pas qui il est. Puis tout d’un coup elle comprend qui il est, puis elle va être effrayée. Lui, va vouloir la rassurer. Puis ils vont se promettre l’amour, tout à coup la mère du prince arrive avec la fiancée du prince. Là, Giselle comprend qu’il a une promise et qu’il va se marier avec quelqu’un d’autre.
Voilà un ballet, c’est ça. J’ai écrit sur Caligula donc c’était vraiment un autre sujet que Giselle. Il y a eu Caligula en 2005 puis je n’ai eu que de la dramaturgie.
Je viens d’écrire un nouveau ballet pour Alexei Ratmansky qui est un chorégraphe ukrainien qui travaille pour l’American Ballet Theatre de New York. Nous avons eu le temps de créer juste avant la pandémie. Là, il se donne enfin après deux ans d’interruption au MET ( Metropolitan Opera) le 20 juin, donc je pars pour le 12 au soir pour raconter au danseur ce que ça raconte.”
Avec votre expérience internationale, pensez-vous que le milieu artistique va se redécouvrir après la Covid ou va se replier ?
“Vous n’avez pas tort, il y a une menace de repli sur soi que l’on voit poindre depuis un moment déjà même avant la covid, l’élection de Trump l’avait montré. La pandémie est un accélérateur, un amplificateur de mouvement, donc ce mouvement-là s’intensifie un peu. Alors qu’en Europe, il est pour l’instant limité, l’Italie en est sortie plus ou moins, l’Espagne l’a par miracle évité, mais il y a la Hongrie et la Pologne.
La guerre en Ukraine change la donne aussi. Elle propose une unification de l’Europe, mais qui est empêtrée surtout par cette règle d’unanimité qui pèse beaucoup sur l’Europe. Mais elle propose une unification forte, il y a des propositions fortes comme des conflits forts. Je ne suis pas politologue, et j’ai arrêté l’Histoire en master, mais je continue de m’informer. Après, artistiquement, il se passe énormément de choses et on sait saisir ces choses-là pour les transformer en neuf. Après est-ce des œuvres qui dureront, qui marqueront l’humanité ? Je ne sais pas !”
Que pensez-vous de l’initiative jeune proposée par CSactu qui se rapproche des professionnels? Est-ce nécessaire d’amener les jeunes à s’ouvrir sur de nouvelles choses, ou est-ce que cela devrait rester dans le cadre professionnel ?
“Non l’idée d’aller voir comment ça se passe à l’extérieur, la réalité, c’est toujours bien. Comme les stages, c’est très important, ça donne un regard, ça effraie un peu. Mais c’est important, on passe par des émotions nécessaires pour plus tard. J’ai toujours mélangé les deux, j’ai toujours fait ça, travailler au contact.
Dès la première année au Cours Florent, je tournais. Je m’en souviens, j’avais fait une pub pour voir comment ça se passait. J’ai jamais aimé n’avoir qu’une étiquette, qu’un cadre. J’en ai toujours eu plusieurs, je suis très label, très fidèle, mais il me faut plusieurs cadres pour ne pas avoir l’impression d’être prisonnier de quelque chose. C’est pour ça que j’étais à la radio, au cinéma, et au théâtre. On me dit toujours que je suis dispersé, oui, je me disperse, mais c’est ma manière à moi de me centrer. On dit que 70 % se concentrent le plus lorsqu’ils n’ont qu’un sujet et 30 % au contraire, ils leur en faut plusieurs. Je fais définitivement partie des 30 %. Je me concentre réellement très bien lorsque j’ai plusieurs choses, je plonge dedans.”
Guillaume Gallienne donne du courage par sa forte volonté, il est un élément moteur de la société et du monde de la culture, autant française qu’internationale ! Que nous réserve-t-il pour l’avenir ?