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Guerre d’Ukraine : L’histoire d’une perte de temps

Ce lundi 18 novembre, le président des États-Unis d’Amérique Joe Biden a autorisé l’Ukraine à utiliser les missiles à longue portée américains ATACMS sur le territoire russe. Comme souvent depuis le début de la guerre, en février 2022, cette annonce arrive sans doute tardivement pour les Ukrainiens, qui connaissent depuis plusieurs mois une grande difficulté à contenir les efforts russes. Ainsi cette guerre pourrait-elle être surnommée « La Grande perte de temps », tant les annonces semblent toujours être effectuées à contretemps, et les objectifs demeurer flous.

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Les États-Unis autorisent l’Ukraine à utiliser les missiles à longue portée ATACMS sur le sol russe, sans doute trop tardivement pour modifier le cours de la guerre. © Drew Angerer/Getty Images

Dégradation de la situation pour l’Ukraine

Le ciel s’assombrit au-dessus de Kiev. Alors que le pays « fête » les 1 000 jours du début de son invasion par la Russie, la résistance faiblit sur le champ de bataille. Ces derniers mois, la Russie accumule les petites avancées sur les fronts Est et Sud-Est, en dépit de la spectaculaire offensive menée par l’Ukraine dans l’oblast de Koursk, qui conserve près de 800 km² de territoire. Mais cela peine à dissimuler les difficultés du front, qui a beaucoup de mal à contenir la multiplication des assauts russes.

Le terrain ukrainien se dégrade d’autant plus sur la scène internationale. La Corée du Nord s’engage directement dans le théâtre de guerre afin de prêter main forte à l’agresseur, dans la continuité du rapprochement russo-nord-coréen, notamment par le truchement du traité de défense mutuelle signé en juin 2024, et ratifié depuis. Dans le même temps, les États-Unis élisent Donald Trump à la future présidence du pays. Or, il ne porte pas l’Ukraine dans son cœur, et il est convenu que, sauf événement imprévu, les aides financières, militaires et diplomatiques américaines cesseront, au profit de la recherche d’un cessez-le-feu le plus rapide possible, quand bien même celui-ci serait inégal et défavorable envers le pays agressé.

Pendant ce temps-là, les États du bloc occidental semblent peu enclins à supporter le poids d’une aide plus massive à l’Ukraine, qu’elle soit économique ou militaire. Ainsi n’avons-nous pas vu le Chancelier Scholz, en difficulté dans la gestion des affaires de l’Allemagne, opérer un rapprochement solitaire avec Vladimir Poutine. Or, les États-Unis comptent pour un tiers de l’aide globale apportée à l’État ukrainien depuis le début de la guerre. Difficile d’imaginer l’Ukraine se passer de cette aide massive sans incidence sur la capacité du pays à soutenir son effort de guerre.

Une autorisation américaine tardive

Deux mois avant la fin de son mandat, Joe Biden a autorisé l’Ukraine à utiliser les missiles américains à longue portée ATACMS pour frapper directement le territoire russe, ce lundi 18 novembre. Les États-Unis fournissent ces missiles, d’une portée de 300 km, à l’Ukraine depuis octobre 2023, mais avaient toujours refusé qu’ils soient utilisés pour frapper en Russie. C’est désormais le cas. Alors que la candidate démocrate, Kamala Harris, vient de perdre les élections présidentielles et que Donald Trump va de nouveau s’installer dans le bureau ovale, cette décision vise à apporter un nouveau souffle à l’Ukraine.

L’Ukraine n’a pas perdu de temps avant de procéder à des frappes sur le territoire russe. Dès le lendemain de l’annonce du président Biden, l’Ukraine a fait usage des missiles ATACMS pour frapper un dépôt de munitions à Karachev, ville russe située à 115 km de la frontière. L’Ukraine a aussi employé, le 20 novembre, les missiles franco-britanniques à longue portée SCALP/Storm Shadows, pouvant frapper des cibles jusqu’à 250 km, pour frapper un poste de commandement russo-coréen, près de Koursk. Ceci est le fruit de l’autorisation du Royaume-Uni et de la France, qui ont fait suite à celle des États-Unis.

Des missiles américains frappent le sol russe. Ceci était encore inconcevable il y a de cela quelques mois et, à plus forte raison, plusieurs années auparavant. Qui aurait pu prédire cela en 1992, au moment où l’URSS venait de s’effondrer ? Bien que cette décision puisse sembler délirante, elle intervient pourtant trop tardivement. La portée de cette autorisation, si elle est symbolique d’un point de vue politique, n’est désormais que très limitée sur le plan militaire, puisque leur utilisation est soumise à l’approbation américaine et que la Russie a, en amont, déplacé ses infrastructures stratégiques en dehors du rayon d’action des missiles américains.

Volodymyr Zelensky, en compagnie des leaders occidentaux, lors de la réunion du G7 à Hiroshima, le 21 mai 2023. © Stefan Rousseau-WPA Pool/Getty Images

Les atermoiements des gouvernements occidentaux

La réaction massive et unie des États occidentaux avait été louée lorsque la guerre d’Ukraine avait été déclenchée par la Russie, le 24 février 2022. Pourtant, la matrice a rapidement évolué, pour faire place à la prudence et à la précaution, mais surtout à la perte de temps. Désormais, les livraisons d’armes occidentales sont effectuées au compte-goutte, en sus d’être décidées souvent très tardivement, eu égard aux besoins de l’Ukraine sur le champ de bataille. En outre, il est constaté un manque de soutien logistique, qui se traduit par une pénurie récurrente des pièces de rechange des appareils fournis et l’insuffisance de formation des techniciens ukrainiens.

Ainsi, a-t-il fallu attendre près d’un an, après de longues tergiversations de l’Allemagne, pour que les pays occidentaux se résolvent à livrer des chars d’assaut, qui plus est en quantité insuffisante pour peser sur le cours de la guerre. Il en va de même pour les avions de combat, réclamés par Kiev depuis le début de l’invasion. Cela a exigé un an et demi d’imploration pour que ce vœu soit exaucé, puis deux ans et demi pour que l’Ukraine reçoive ses premiers appareils, en juillet 2024. Encore une fois, il a fallu approcher les trois ans de guerre, et une situation périlleuse, pour que l’Ukraine acquiert le droit d’utiliser ses missiles balistiques sur la Russie.

Ces atermoiements sont le fait de la totalité des puissances occidentales. La France et l’Allemagne, en particulier, sont visées pour leur manque d’implication. La France, loin de tenir son rang, se situe à la dixième place des pays contributeurs, derrière le Danemark et la Suède notamment. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé que l’objectif de 3 milliards d’euros d’aide ne sera pas atteint pour l’année 2024. De son côté, l’Allemagne paie ses hésitations. D’abord, son retard de deux mois avant de prendre la décision de fournir des armes lourdes à l’Ukraine, puis son indécision quant à la livraison des chars Leopard, et enfin son refus persistant de fournir ses missiles à longue portée Taurus.

Redéfinir les objectifs pour cesser la perte de temps

Les États du bloc occidental, notamment européens, doivent redéfinir leurs intentions, pour que la guerre d’Ukraine ne se transforme pas en une grande perte de temps mortifère. Pour le moment, le soutien à l’Ukraine se cantonne à son maintien en vie, sans pour autant entrevoir la perspective d’une victoire. Cette philosophie est parfaitement illustrée par des propos souvent relayés, selon lesquels l’Ukraine « ne doit pas perdre », sans pour annoncer la volonté d’une défaite de la Russie. L’Occident semble parfois prêt à brader la souveraineté de l’Ukraine, pour éviter de s’engager massivement dans le conflit.

Si les États alliés considèrent que l’Ukraine doit l’emporter, donc que la Russie doit être défaite, il faut cesser la perte de temps dans l’alimentation de l’Ukraine en armes et équipements militaires. Il faut s’orienter vers un approvisionnement rapide et massif d’armements, et une formation de personnels conséquente, afin d’obtenir la défaite de la Russie. En revanche, s’il est considéré que l’Ukraine ne peut l’emporter et que la situation est vouée à se détériorer, il faut, sans perdre de temps, cesser ce grand massacre – jusqu’à près de 300 000 morts au total – et se diriger vers un cessez-le-feu.

L’entre-deux, entretenu pour le moment par les pays occidentaux, n’est profitable à personne. Que ce soit dans un sens ou l’autre, la perte de temps semble dominer cette guerre. Les États alliés permettent à l’Ukraine de survivre, lorsque sa capacité à se défendre atteint un point critique, mais ne permettent pas à Kiev d’entrevoir la perspective d’une fin de la guerre. Cette inconséquence est exposée par le ministre de la Défense de l’Estonie, Hanno Pevkur, qui affirme qu’« Il nous faut décider si nous voulons que l’Ukraine gagne — ou simplement qu’elle continue à se battre ».

Alors, est-ce que les martyrs de l’Ukraine seront la source de la victoire, ou les Ukrainiens seront-ils condamnés à subir la double peine – la désolation et la défaite ?

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