France-Palestine : entre diplomatie et réalpolitik

"Israël organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation, qui ne peut aller sans oppression, répression et expulsions." — Charles de Gaulle, 27 novembre 1967.

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Le président Abbas rencontre Emmanuel Macron au palais de l'Élysée à Paris. Photo : Francois Mori/AFP/Getty Images.
Le président Abbas rencontre Emmanuel Macron au palais de l'Élysée à Paris. Photo : Francois Mori/AFP/Getty Images.


Cette déclaration du général de Gaulle marque un tournant dans la politique étrangère française envers le conflit israélo-palestinien, en rompant avec un soutien inconditionnel à Israël pour promouvoir une approche plus équilibrée. Depuis, les relations franco-palestiniennes se sont façonnées autour de la reconnaissance progressive des droits palestiniens, mêlant diplomatie pragmatique et soutien politique. De la reconnaissance implicite de l’OLP sous Mitterrand à la défense de la solution à deux États par Macron, la France a cherché à jouer un rôle de médiateur tout en préservant ses intérêts stratégiques.

L’héritage gaulliste : de l’allié d’Israël au virage pro-arabe (1967-1974)

  • L’alliance franco-israélienne dans les années 1950-1960

Dans les années 1950 et 1960, la France est le principal allié d’Israël, une alliance forgée dans le contexte des guerres de décolonisation et des rivalités géopolitiques, notamment en Algérie. Unis par des intérêts communs face à l’Égypte de Nasser, Paris et Tel-Aviv renforcent leur coopération militaire, comme en témoigne la crise de Suez en 1956. Guy Mollet, alors président du Conseil, justifie l’intervention conjointe franco-britanno-israélienne en déclarant : « Israël n’a fait que se défendre face à l’hostilité arabe. » La France devient alors le principal fournisseur d’armement d’Israël, un soutien que David Ben Gourion qualifie de « plus fidèle des alliées ».

Cependant, le véritable tournant survient après la guerre des Six Jours en 1967, lorsque l’occupation israélienne de nouveaux territoires pousse la France à réévaluer sa politique.

  • La déclaration de De Gaulle : Une rupture avec Israël

Le 27 novembre 1967, lors d’une conférence de presse historique, De Gaulle, tout en reconnaissant Israël comme « un fait », critique son expansion et les injustices qui en découlent : « L’établissement d’un foyer juif en Palestine et ensuite l’extension qui a suivi ont été accompagnés d’oppressions et d’injustices. » Il ajoute, en des termes qui marquent une rupture nette : « Un peuple d’élite, sûr de lui et dominateur. » Cette déclaration est suivie par le refus de la France de livrer de nouvelles armes à Israël. En 1968, son conseiller diplomatique Michel Jobert enfonce le clou : « La France ne peut accepter une paix fondée sur l’occupation et l’humiliation d’un peuple. »

  • L’évolution de la position française : de l’alliance à la médiation active

Sous Georges Pompidou, la réorientation diplomatique se poursuit. La France adopte une position plus équilibrée au Moyen-Orient, et en 1974, Valéry Giscard d’Estaing va plus loin en déclarant : « La France soutient le droit des Palestiniens à disposer d’un État. » Ce soutien se renforce dans les années suivantes. En 1975, Jean Sauvagnargues, ministre des Affaires étrangères, précise : « La France reconnaît la légitimité de la lutte du peuple palestinien pour sa souveraineté. »

Ainsi, en l’espace de quelques années, la France passe d’un soutien militaire inconditionnel à Israël à un rôle de médiateur actif en faveur de la reconnaissance des droits palestiniens. Cette évolution, amorcée par De Gaulle et poursuivie par ses successeurs, constitue un tournant décisif dans la diplomatie française au Moyen-Orient.

Cette réorientation de la diplomatie française se poursuit dans les années 1980 et 1990, avec un soutien croissant à la reconnaissance des droits palestiniens et un engagement renforcé dans le processus de paix.

Les années 80-90 : Vers une reconnaissance accrue de la Palestine

  • Mitterrand et la cause palestinienne : un tournant diplomatique

L’élection de François Mitterrand en 1981 marque un tournant dans la diplomatie française au Moyen-Orient. Rompant avec la prudence de ses prédécesseurs, il assume une position plus audacieuse en faveur des Palestiniens. Dès 1982, lors d’un discours historique à la Knesset, il surprend son auditoire en déclarant : « Le droit à la sécurité pour Israël implique le droit à un État pour les Palestiniens. » Une déclaration forte qui, pour la première fois, place officiellement la question de la souveraineté palestinienne au cœur du discours français en Israël même.

Mitterrand ne se contente pas de paroles. En 1989, il devient le premier chef d’État occidental à recevoir Yasser Arafat à l’Élysée, un geste diplomatique qui fait grand bruit. Son explication est limpide : « La paix passe par la reconnaissance mutuelle et le dialogue avec ceux qui représentent les aspirations légitimes d’un peuple. » Cette rencontre légitime l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) sur la scène internationale. Après cet échange, il renforce encore sa position en affirmant : « L’OLP est un interlocuteur incontournable pour parvenir à une paix juste et durable au Moyen-Orient.»

Sous son mandat, la France devient l’un des principaux acteurs européens à plaider pour une solution négociée au conflit israélo-palestinien, jetant ainsi les bases du rôle que Paris continuera d’assumer dans les années suivantes.

La dynamique de reconnaissance amorcée dans les années 1980 trouve son aboutissement en 1993 avec la signature des Accords d’Oslo entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sous l’égide des États-Unis. François Mitterrand salue cet événement en affirmant : « La paix entre Israël et la Palestine est une nécessité. La France appuiera tous les efforts allant dans ce sens. »

Cette position est réaffirmée par son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, en 1994 : « L’avenir du Moyen-Orient passe par la reconnaissance d’un État palestinien viable, aux côtés d’Israël. »

  • Chirac et la Palestine : un soutien affirmé

L’arrivée de Jacques Chirac à l’Élysée en 1995 ne modifie pas la posture française, mais la renforce sur le terrain diplomatique. En octobre 1996, son voyage officiel en Israël et en Palestine marque les esprits. Lors de sa visite dans la vieille ville de Jérusalem, il se heurte à la sécurité israélienne, qui tente de restreindre ses interactions avec les Palestiniens. Excédé, il lance aux agents israéliens cette phrase cinglante : « Ce n’est pas une méthode ! Est-ce que vous voulez que je remonte dans mon avion ? »

Ce coup d’éclat médiatique illustre la volonté française de ne pas se laisser dicter sa conduite par Israël et d’afficher un soutien plus marqué aux Palestiniens. Quelques heures plus tard, lors d’une rencontre avec des responsables palestiniens, il enfonce le clou : « Jérusalem doit être la capitale de deux peuples et de trois religions. »

À la fin de son mandat, en 2002, Chirac réaffirme la position de la France en pleine Seconde Intifada : « La paix ne se construira que sur le respect du droit international et la reconnaissance mutuelle entre Israël et la Palestine. »

Ces deux décennies marquent donc un engagement plus fort de la France en faveur de la reconnaissance des droits palestiniens. Si Paris continue d’entretenir des relations avec Israël, elle assume désormais pleinement son rôle de médiateur, refusant toute ambiguïté sur la nécessité d’un État palestinien.

Si la France a, au fil des décennies, soutenu la reconnaissance des droits palestiniens, l’équilibre diplomatique se fait aujourd’hui dans un contexte de tensions croissantes. La position de la France demeure une combinaison complexe de fermeté sur la solution à deux États et de prudence vis-à-vis de la reconnaissance unilatérale de l’État palestinien.

De nos jours : entre prudence et contradictions

  • Gilbert Roger et la reconnaissance palestinienne

Le 2 décembre 2014, le Parlement français adopte une résolution invitant le gouvernement à reconnaître l’État palestinien pour favoriser un règlement du conflit israélo-palestinien. Bien que soutenue par l’Assemblée nationale et le Sénat, la proposition est modérée par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, qui insiste sur un « règlement global et définitif » avant toute reconnaissance.

Gilbert Roger, sénateur socialiste et ancien président du groupe d’amitié France-Palestine, joue un rôle essentiel en 2014 dans la défense de la reconnaissance de l’État palestinien. Tout au long de l’année, il intervient régulièrement au Parlement pour faire pression sur l’exécutif et souligner que cette reconnaissance pourrait être un levier diplomatique crucial pour relancer les négociations de paix. En tant que fervent défenseur des droits palestiniens, il insiste sur le fait que la reconnaissance ne compromet pas les efforts de paix, mais au contraire pourrait encourager une solution négociée et contribuer à mettre fin à l’occupation israélienne. Dans un contexte diplomatique partagé entre prudence et soutien, Gilbert Roger continue de plaider avec conviction pour une position claire et une reconnaissance officielle de l’État palestinien, renforçant ainsi le rôle de la France en tant qu’acteur de la paix internationale.

  • Macron, Gaza et la solution des deux états

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, la France continue de soutenir la solution des deux États tout en adoptant une approche plus nuancée face aux événements récents. En 2024, Macron réaffirme cet engagement lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations unies, soulignant la nécessité d’une mission internationale pour faire avancer la paix. Cependant, il précise également que la reconnaissance de l’État palestinien « n’est pas un tabou », insistant sur l’importance d’une solution négociée.

La guerre à Gaza en 2024 met à l’épreuve cette diplomatie. Alors que la violence s’intensifie, la France appelle à un cessez-le-feu immédiat, rejoignant l’Égypte et la Jordanie dans un appel à la fin des hostilités. Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, rappelle la position française : « La paix ne viendra pas par le terrorisme ou la guerre, mais par la solution des deux États. » Face à ce contexte, Macron annonce en 2024 une conférence en 2025 pour relancer les discussions sur la création d’un État palestinien, soulignant ainsi l’engagement constant de la France à œuvrer pour une paix durable et une solution diplomatique au conflit.

La France a progressivement adopté une diplomatie plus équilibrée dans le conflit israélo-palestinien, soutenant la solution à deux États tout en défendant les droits palestiniens. Malgré l’absence de reconnaissance unilatérale de l’État palestinien, elle reste un acteur clé de la paix au Moyen-Orient, privilégiant les initiatives diplomatiques multilatérales et le dialogue. L’engagement de sénateurs comme Gilbert Roger a joué un rôle crucial en maintenant la question palestinienne au cœur du débat politique français et en exerçant une pression continue sur l’exécutif.

Aujourd’hui, alors que le processus de paix semble au point mort et que les tensions persistent, la France doit-elle réévaluer sa position et envisager une reconnaissance officielle de l’État palestinien pour relancer les négociations ?

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