Les relations diplomatiques entre l’Algérie et la France battent de l’aile. Ce n’est pas la première fois que des différends sont observés mais plusieurs évènements au cours de l’année 2024 ont envenimé les tensions entre ces deux pays au passé colonial lourd. Pourquoi les désaccords se ravivent-ils à chaque contact entre les deux pays ?
« Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. » Ce sont les mots du président algérien Abdelmadjid Tebboune dans une tribune au journal L’Opinion le 2 février. Il évoque une « séparation qui pourrait devenir irréparable » entre la France et l’Algérie.
Un passé colonial qui fait débat
Il est vrai, l’Algérie a été pendant plus d’un siècle une colonie française, de 1830 à 1962. Des français s’y sont installés et bénéficiaient d’avantages par rapport à la population locale, ils étaient appelés les « pieds noirs ». En 1954 débute une guerre qui durera jusqu’à l’indépendance du pays en 1962. Ce conflit a été très meurtrier, le bilan humain est estimé à 500 000 morts. Des soldats et civils français et algériens ont été tués et torturés.
En mars 1962, le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne signent les accords d’Évian, qui aboutissent à l’indépendance de l’Algérie en juillet. Ces accords donnent la base d’une coopération, entre les deux États : la France accorde une aide financière pour aider au développement de l’Algérie et en échange, le pays lui donne un accès privilégié aux hydrocarbures du Sahara algérien.
Enfin, en 1968, un accord définissant les conditions de circulation, emploi et de séjour des Algériens en France a été signé pour « limiter » l’immigration. Si les accords d’Évian prévoyaient une libre circulation, cet accord définit une limite de 35000 travailleurs annuels. Jusque-là, les relations entre les deux pays sont en dent de scie, mais l’année 2024 a vraiment marqué un tournant dans la réapparition des tensions.
2024 : une résurgence des tensions
« On a atteint avec l’Algérie un seuil extrêmement inquiétant » a estimé le ministre de l’Intérieur vendredi 10 janvier. Toutefois, comment les deux pays en sont arrivés à des relations aussi perturbées ?
Par la suite, lors de l’été 2024, une lettre adressée au roi du Maroc Mohamed VI est rendue publique. Elle contient une vraie bombe géopolitique car Emmanuel Macron y acte la reconnaissance par la France de la « souveraineté marocaine » sur le Sahara occidental. Cependant, ce territoire désertique, au statut indéfini est sujet à de nombreuses tensions depuis des décennies. Contrôlé à 80% par le Maroc, les 20% restants, entre les mains du Front Polisario, soutenu par l’Algérie, qui milite pour son indépendance. La France considère désormais le plan marocain d’autonomie comme « la seule base » permettant de résoudre le conflit. Ces propos ont déclenché la colère de l’Algérie.
Par conséquent, un autre incident est survenu peu de temps après, l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal en novembre 2024. L’écrivain de 75 ans est la vraie bête noire du gouvernement algérien. Connu pour ses écrits contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme, il « est poursuivi sur la base de l’article 87 bis du code pénal [algérien], qui réprime les atteintes à la sûreté de l’État« , a fait savoir son avocat, François Zimera. Âgé et malade, Emmanuel Macron a fait pression sur l’Algérie pour que l’écrivain soit libéré. Le 30 décembre, le président algérien Abdelmadjid Tebboune, avait qualifié Boualem Sansal « d’imposteur« . Le 6 janvier, le chef de l’État français a affirmé que « l’Algérie se déshonore, à empêcher un homme gravement malade de se soigner. Ce n’est pas à la hauteur de ce qu’elle est« . Il est toujours détenu en Algérie.
Une crise qui s’envenime à chaque altercation
Une fois de plus, l’année 2025 a également débuté par de vives tensions entre les deux pays à propos d’influenceurs algériens. Depuis début janvier, six influenceurs algériens sont poursuivis par la justice française pour apologie de la violence avec des propos haineux visant le plus souvent des opposants au gouvernement algérien. En effet, l’un d’eux, un homme de 59 ans prénommé « Doualemn » sur les réseaux sociaux, est accusé d’avoir publié une vidéo dans laquelle il appelait à « donner une sévère correction à un homme semblant résider en Algérie« , selon le parquet de Montpellier. Suite à cela, Doualemn a été renvoyé en Algérie, son pays d’origine, par la France. Il a immédiatement été renvoyé par les autorités algériennes précisant qu’il était « interdit de territoire en Algérie« . Ce retour a été qualifié « d’humiliation » par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Mais la justice estime que la procédure d’urgence utilisée par le ministre de l’Intérieur n’était selon lui pas justifiée. Le président Algérien assure quant à lui que « Bruno Retailleau a voulu faire un coup politique en forçant l’expulsion de l’influenceur algérien Doualemn » et reproche à Paris de donner « la nationalité ou le droit d’asile à des criminels algériens en col blanc et subversifs« . Doualemn sera jugé le 24 février en France pour « provocation à commettre un crime ou un délit« .
« Ne pas aimer la France devient un sujet de politique intérieure » en Algérie, a déploré le ministre des armées Sébastien Lecornu le 21 janvier estimant « qu’il faut qu’on arrive à se sortir de cela« . La suite sera à définir entre les deux pays.
Anaïs Binghinotto