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ENTRETIEN : Rodrigo Arenas, « L’école publique est otage du déclinisme » 

Rodrigo Arenas, député La France Insoumise de la dixième circonscription de Paris revient dans cet entretien sur l'état actuel de l’éducation en France et nous donne sa vision des choses.  

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Rodrigo Arenas est député La France Insoumise de la dixième circonscription de Paris ainsi que co-président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), première association de parents d'élèves, de 2018 à 2021

Rodrigo Arenas est député La France Insoumise de la dixième circonscription de Paris ainsi qu’ancien co-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), première association de parents d’élèves, de 2018 à 2021. Celui qui a écrit en 2020 « Dessine-moi un avenir: Plaidoyer pour faire entrer le 21ème siècle dans l’école » revient dans cet entretien sur l’état actuel de l’éducation en France et nous donne sa vision des choses.  

CSactu: Selon une enquête Harris Interactive pour Challenges, 60 % des Français estiment que la situation de l’éducation en France est en déclin. Qu’est-ce que ce chiffre vous inspire ?

Rodrigo Arenas : Ce que cela m’inspire ? D’abord, une grande méfiance. Parce que ce genre de chiffres repose souvent sur une idée fausse : celle que les enfants d’aujourd’hui seraient moins bons, moins instruits, moins bien élevés que ceux d’hier. Mais regardons les choses en face : les enfants d’aujourd’hui ont des connaissances que leurs parents n’avaient pas au même âge. Ils maîtrisent des outils, des technologies, un rapport au monde complètement différent. On ne peut pas à la fois déplorer leur niveau, et constater qu’ils sont capables d’utiliser un smartphone, une tablette, de comprendre des enjeux planétaires à l’échelle mondiale. Ce déclin, ce n’est pas celui des élèves. C’est celui d’un système éducatif qui n’a pas su évoluer.

CSactu: Vous remettez donc en question l’idée même d’un déclin de l’éducation ?

RG : Totalement. Et je dirais même plus : cette idée, elle trahit un profond mépris pour les jeunes. C’est toujours la même histoire. Depuis Cicéron, on entend les adultes dire que les jeunes sont moins bien qu’eux : moins polis, moins travailleurs, moins respectueux. C’est une vieille rengaine. L’école publique est otage du déclinisme. Mais aujourd’hui, ce discours est d’autant plus problématique qu’il dédouane les adultes de leur responsabilité. Qui a construit l’école dans laquelle ces enfants évoluent ? Qui a défini les programmes, les méthodes, les moyens ? Ce sont les adultes. Si l’école ne marche plus, c’est parce qu’elle est restée bloquée au XXe siècle, voire au XIXe. Il est temps de faire entrer le XXIe siècle dans l’école.

CSactu: Mais certaines préoccupations sont bien réelles. On parle par exemple d’une augmentation de la violence dans les établissements scolaires. Peut-on vraiment nier cela ?

RG : Je ne nie pas qu’il y ait de la violence. Mais il faut se demander d’où elle vient. Aujourd’hui, beaucoup d’établissements sont eux-mêmes des lieux de violence. Je parle de violence institutionnelle : des classes surchargées, des adultes en sous-nombre, des enseignants non remplacés, des élèves à besoins particuliers non accompagnés. Quand on met un jeune dans un environnement qui ne répond pas à ses besoins, où il est catalogué, marginalisé, où il ne trouve ni sens ni soutien… alors oui, tout explose. C’est inévitable. Le lycée professionnel en est l’exemple parfait. En France, on n’y va pas pour apprendre un métier par passion. On y est envoyé parce qu’on a été considéré comme un mauvais élève, parce qu’on ne rentre pas dans le moule académique. C’est un tri social, et c’est profondément injuste. Et les jeunes le ressentent. Ils comprennent qu’on les met là parce qu’on ne sait pas quoi faire d’eux. Ce n’est pas étonnant que cela crée de la colère.

CSactu: Vous parliez de classes surchargées : c’est aussi une forme de violence selon vous ?

RG: Évidemment. Quand vous avez 35 ou 40 élèves dans une classe, ce n’est pas gérable. Ni pour l’enseignant, ni pour les élèves. L’enseignant ne peut pas faire son métier correctement. Et les élèves, surtout ceux qui ont des besoins particuliers, se retrouvent noyés, invisibilisés. Résultat : personne n’avance. Et à la fin, ce sont toujours les mêmes qui sont sanctionnés par les évaluations, les examens… On parle d’égalité des chances, mais on organise l’échec.

CSactu: Le manque d’enseignants est aussi un problème majeur. Le gouvernement a tenté d’y répondre par une réforme : permettre de devenir professeur des écoles avec une licence, donc à Bac +3. Est-ce une piste viable ?

RG: Non, pas si on balance les étudiants dans les classes sans formation. Il s’agit d’un réel mépris pour la profession. Ce qu’il faut, ce n’est pas seulement abaisser le niveau de diplôme. C’est repenser complètement la manière de former les enseignants. Je plaide pour un retour à des écoles normales, pas celles d’hier, mais adaptées au XXIe siècle. Une formation solide, ancrée dans la pédagogie, accessible socialement. Il faut ouvrir ce métier à des jeunes issus de tous les milieux, en particulier les plus précaires. Et leur donner envie d’enseigner. Aujourd’hui, on les décourage : salaires bas, conditions difficiles, harcèlement institutionnel. Quel message envoie-t-on ?

CSactu: Est-ce que, selon vous, l’un des problèmes majeurs aujourd’hui pour faire avancer l’Éducation nationale, c’est le manque de stabilité politique ? Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, on a quand même connu pas moins de sept ministres de l’Éducation nationale…

RG : Oui, c’est sûr, cette instabilité n’aide pas. Mais vous savez, ce n’est pas vraiment le cœur du problème. Le vrai nœud, c’est idéologique. C’est une question de vision de l’école. Et cette vision, elle vient d’en haut, du sommet de l’État, du président lui-même, mais aussi, disons-le, de Brigitte Macron. C’est une vision rétrograde de l’école, à l’ancienne. Une école de dame patronnesse, pour le dire clairement. Une école figée dans un imaginaire du passé, nourri par le déclinisme. Vous savez, ce discours qui dit qu’on ne sait plus lire, plus écrire, plus compter… Et on en revient presque à parler de « ministère de l’Instruction nationale ». Sauf que ce ministère, il n’existe plus depuis les années 1930. On parle d’Éducation nationale, parce que l’école ne fait pas que transmettre des savoirs. Elle éduque. Elle forme des citoyens.

CSactu: Et selon vous, cette dimension éducative est aujourd’hui négligée ?

RG: Totalement. On confond l’autorité avec le pouvoir. L’autorité d’un enseignant, ce n’est pas de faire taire une classe ou d’imposer son statut, c’est sa capacité à faire grandir les élèves. Or, ce qu’on nous propose, c’est une autorité fondée sur la domination. Une autorité verticale, rigide, presque militaire. Forcément cela ne marche pas et ne marchera jamais. Il faut repenser l’école en fonction de notre époque. Prenons le numérique, par exemple. Il faut l’intégrer pleinement. Aujourd’hui, on organise un darwinisme scolaire à travers un darwinisme technologique. Les élèves issus de familles aisées ont un accès fluide à la technologie. Les autres en sont exclus, voire stigmatisés. Et on répond à cette fracture par l’interdiction. On interdit les téléphones, les écrans, les réseaux sociaux. Mais on n’éduque pas à leur usage.

CSactu: Donc pour vous, il faut enseigner le numérique comme une langue ?

RG: Oui, exactement. Le code, c’est un langage. On peut l’apprendre dès le collège, comme on apprend le français. Mais pas pour faire des enfants de simples consommateurs. Il faut leur donner les moyens de transformer la technologie en outil d’émancipation. Comme on l’a fait autrefois avec l’écriture.

CSactu: Autres sujets brûlants, les polémiques sur la laïcité, comme celle autour de l’abaya. Comment en sortir ? Ces débats semblent revenir en boucle…

RG: Parce qu’ils sont instrumentalisés. On ne parle pas de vêtements. On parle de religion. Et plus précisément de l’islam. Il faut avoir le courage de dire les choses : derrière ces polémiques, il y a souvent une islamophobie latente. On utilise la laïcité comme un prétexte.

CSactu: Pourtant, la loi est claire, non ?

Invité : Elle l’est. La loi de 2004 interdit les signes ostensibles. Une croix massive, une kippa, une abaya utilisée comme marqueur religieux : c’est interdit. Point. Mais cette loi, elle doit être appliquée avec discernement. Si une jeune fille porte une robe longue comme un vêtement de la vie de tous les jours, on ne va pas faire un scandale. Par contre si une jeune fille porte l’abaya, signe clair d’une appartenance religieuse alors oui, c’est contraire à la loi.

CSactu: Donc il faut à la fois appliquer la loi, et éduquer à ce qu’est la laïcité ?

RG: Exactement. Moi, à 50 ans, je n’ai jamais eu de cours de laïcité à l’école. Et pourtant, c’est fondamental. Il faut enseigner ce que dit vraiment la laïcité : tu as le droit de croire ou de ne pas croire. Mais à l’école publique, on ne fait pas état de sa religion. C’est un espace neutre, commun, qui garantit à chacun de vivre ensemble.

CSactu: Parlons maintenant d’un autre défi auquel l’école doit faire face : le changement climatique. Certaines classes ferment à cause de la chaleur. Comment l’école peut-elle s’adapter à cette nouvelle donne ?

RG : D’abord, il faut changer la grammaire de l’école. L’école n’enseigne toujours pas l’écologie, ni le numérique, ni la lutte contre les discriminations. Or, ce sont les trois grandes révolutions de notre époque. L’éducation à l’écologie, c’est fondamental. Mais ce que vous soulevez, c’est aussi la question du bâti scolaire.Il faut arrêter de rénover l’irrénovable. Certaines écoles ne seront jamais adaptées au climat futur, tout comme elles ne sont pas adaptées aux élèves en fauteuil roulant. Il faut avoir le courage de faire une croix sur certains bâtiments. Ce n’est pas manquer de respect à l’histoire : on peut préserver la mémoire tout en construisant du neuf. C’est ce qu’on fait avec des vestiges à Paris. Gardons la mémoire, mais arrêtons de faire souffrir élèves et enseignants pour un morceau de pierre.

CSactu: Est-ce que l’Union Européenne peut jouer un rôle dans cette transition ?

RG : Elle doit jouer un rôle. Parce que seul, aucun pays n’y arrivera. L’Europe permet de mutualiser les moyens, mais aussi une vision, un destin commun. Le problème, c’est que les politiques agricoles ou climatiques européennes actuelles ne vont pas dans le bon sens. On soutient une agriculture agressive, dépendante des fertilisants venus du Maroc, du soja transgénique du Brésil… Ce n’est pas une vision d’avenir.

CSactu: Dernière question. Si vous étiez ministre de l’Éducation, quelle serait votre toute première réforme ?

RG : D’abord, revaloriser les enseignants. Il faut les payer correctement, les respecter. Aujourd’hui, ils sont maltraités. Ensuite, instaurer un lycée unique. Arrêter de séparer la tête et les mains. Tous les élèves doivent apprendre aussi bien les savoirs académiques que les savoirs pratiques. Il n’y a pas de savoirs nobles et de savoirs sales. L’avenir, c’est d’avoir une tête bien faite et des mains compétentes.

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