C.F: Pourriez-vous vous présenter?
M.R: Je m’appelle Muriel Rouyer, je suis professeure de science politique à l’Université de Nantes. J’ai vécu aux Etats-Unis pendant un certain temps, dont les années Trump, j’ai notamment assisté à l’élection de Trump.
C.F: Tout d’abord, si vous aviez un mot pour décrire la campagne des élections américaines jusqu’ici quel serait-il et pourquoi ?
M.R: “Suspens”, par contraste avec l’élection de 2016, où il n’y avait aucun suspens, où l’on pensait tous que Hillary Clinton allait gagner. Et le lendemain, c’était vraiment la catastrophe. Donc, on apprend de nos erreurs.
C.F: Aujourd’hui, dans quel état est la relation entre l’Union Européenne, ses membres, et les Etats-Unis? Est-ce que l’on peut dire que la confiance règne entre les alliés transatlantiques ?
M.R: Historiquement, c’est tout de même une relation assez solide, qui a d’ailleurs survécu à Trump. On a bien vu que sous Trump, il y avait des choses qui devaient se passer qui n’ont finalement pas eu lieu. Il y avait quand même des forces américaines en Pologne. Je ne pense pas que sur le long terme, il n’y ait de doutes sur la confiance transatlantique. Mais, évidemment les Européens ont très peur que Trump soit élu et les laissent tomber comme il l’a toujours annoncé. Quand Trump disait : “ you’ve got to share the burden” (il faut partager les charges), certains des ambassadeurs, comme Nicolas Burn, disaient qu’on ne pouvait s’adresser comme cela aux alliés. Mais en même temps, il n’avait pas tort : en effet, les Européens ont vécu sous parapluie américain sans en payer le coût. C’est aussi grâce à cela qu’ils ont pu développer des Etats-Providences très généreux.
C.F: On va séparer les 2 scénarios. Dans le cas où Kamala Harris est élue présidente des Etats-Unis. Quelles seraient les conséquences pour les relations diplomatiques entre l’UE et les Etats-Unis?
M.R: Grand soulagement, bien sûr. On ne pourrait s’empêcher de dire c’est la première femme Présidente des Etats-Unis. Ce serait une victoire symbolique pour les femmes, et l’Europe est quand même un continent qui met les droits des femmes en avant. C’est sans doute en Europe que les droits des femmes sont les plus avancés : droit des mères, des retraitées, des filles. L’Etat social est plus avancé. Ce serait aussi célébré pour la continuité des grandes tendances.
Cela poserait tout de même des questions, il se trouve que Kamala Harris fait partie d’un gouvernement ferme à l’égard de la Chine, alors que l’Europe s’en rapproche notamment pour le marché des voitures électriques. Kamala Harris ne dit pas trop de choses, elle ne peut pas trop en dire, elle est liée par le fait qu’elle appartient à l’équipe gouvernementale. Elle sera tenue responsable du mandat précédent. Elle n’a pas non plus un agenda révolutionnaire.
Ce qui est certain, c’est que si les élections tournent en faveur des démocrates, les Etats-Unis et l’Europe pourront agir pour le climat. Aux Etats-Unis, le cadrage du changement climatique n’est pas encore évident, on ne voit pas forcément de lien de cause à effet entre le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles. Certaines actions climatiques américaines ne paraîtront pas très écologiques en Europe, puisqu’aux Etats-Unis on parle plus de croissance verte, ou de capitalisme vert. L’écologie passe par la modernisation écologique. Il pense que grâce à la technologie, on peut découpler les émissions de carbone mais ils sont toujours axé sur le pouvoir d’achat. Ça reste un agenda très matérialiste. Quand les démocrates s’étaient engagés sur un agenda qui visait à réduire les émissions des centrales électriques, les Républicains et les lobbies de l’énergie fossile s’étaient mobilisés et avaient fait échouer le projet. Ce ne se reproduira pas mais tant que les lobbys industriels continuent de corrompre la démocratie américaine, un agenda écologique trop audacieux créerait un “backlash” (retour de bâton). Démocrates comme Républicains dépendent toujours des grands donateurs.
C.F: Même question mais pour Donald Trump?
M.R: Avec Trump, un des problèmes majeurs serait son point de vue sur le conflit au Proche-Orient. Il s’engagerait encore plus du côté de la droite israélienne, cela poserait un problème pour l’Europe même si l’Europe est toujours pro-israélienne. Il n’y aurait pas de rupture totale mais cela flatterait les courants de droite européens. Ça serait gênant, car cela renforcerait une politique de guerre. C’est d’ailleurs ce qui pourrait stopper l’élection de Trump puisque les Américains ne veulent plus de guerre. C’est pour cela que Biden avait retiré les troupes américains en Afghanistan. Au vu de ces actions passées : déplacement de l’ambassade à Jérusalem, cela n’augurent pas d’un tournant d’apaisement. Trump est très provocateur, puis il laisse ses sbires négociés.
C.F: Sur l’OTAN, Trump a déjà menacé plusieurs fois les Européens. Lors d’une interview, il a notamment assuré : “En fait, je les encouragerai à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos factures”. Concrètement, les Etats-Unis peuvent retirer tout leur soutien militaire s’ il le souhaite. Y’a-t-il des limites juridiques ? Le parapluie nucléaire pourrait-il vraiment céder ?
M.R: Je ne pense pas qu’on pourrait en arriver là. Ce qu’il pourrait faire, par rapport à l’Ukraine, on ne sait toujours pas la nature des relations financières entre Trump et Poutine. On supposait que Poutine avait des éléments pour faire du chantage sur Trump. Donc, cela pose la question de la dépense pour soutenir l’Ukraine. Sur la clause d’assistance mutuelle, on ne sait toujours pas si elle jouera vis-à-vis de l’Ukraine, si elle rentre dans l’OTAN. Le scénario le plus probable serait que les Etats-Unis forcent l’Ukraine à faire une paix déshonorante.
C.F: Sur le sujet du climat, il y a 4 ans Trump s’était retiré de l’accord de Paris. L’Union Européenne se veut leader en termes de politique climatique. Quel impact le changement de politique des Etats-Unis concernant le climat pourrait avoir sur les objectifs de l’Accord de Paris ?
M.R: Il ne faut jamais dire jamais. Trump étant un grand businessman, il pourrait faire du greenwashing à tous les étages, c’est-à-dire soutenir des actions écologiques qui ne le sont pas, un marché carbone par exemple. Pour instaurer un marché carbone, il faut que cela soit extrêmement bien régulé, il ne faut pas que cela devienne un permis de polluer. C’est un instrument discutable qui peut être manipulé. Il y a aussi des versions du capitalisme vert qui proposent d’inonder le marché de Tesla, elles posent aussi d’autres problèmes qui ne seraient pas pris en compte, comme le marché des métaux rares.
Avec Elon Musk, il pourrait aussi s’entendre pour faire des grands projets dans l’espace sans réfléchir à notre modèle de développement économique. Ce serait une course technologique en avant qui finalement peut produire des avancées écologiques, mais elle a un coût sur l’environnement. Ce serait le scénario dans lequel Trump n’essaie pas d’arrêter les transitions justes. Il y a une manière capitaliste de faire de l’action climatique, et elle est dans l’Accord de Paris.
C.F: Actuellement, le climat en Europe est de plus en plus favorable à Donald Trump. Les élections européennes ont donné une large majorité à la droite, et des groupes d’extrême droite de plus en plus conséquents. Est-ce que Donald Trump peut compter sur plus d’alliés en Europe ? Quels sont-ils ?
M.R: Les partis populistes de droite sont plutôt favorables à une rhétorique d’identité, de suprématie blanche, de racisme et de xénophobie. Sous la précédente administration Trump, il y avait un lien fort entre les Etats-Unis et la Pologne au moment où la Pologne était de droite populiste. Malgré que Trump souhaitait se retirer d’Europe, il s’était rendu en Pologne et avait de grands discours. La Pologne est traditionnellement très atlantiste. Mais, elle a aujourd’hui changé de majorité politique. Aujourd’hui, les pays de l’Est de l’Europe se rapprochent de l’Union Européenne suite à la guerre en Ukraine. Donc, certains pays pourraient avoir des ententes au niveau sécuritaire.
Il faut aussi prendre en compte les migrations, l’Europe voit arriver des millions de réfugiés et migrants. Si jamais la zone s’embrase, c’est l’Europe qui va voir les flux migratoires grimpés. Mais, l’Europe n’a pas attendu le retour de Trump pour prendre un virage sur les politiques migratoires. Il ne faut pas remettre toute la faute sur Donald Trump.