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Entretien avec Madame DJANGALA FALL

Merci beaucoup d'avoir accepté cette interview et d'avoir répondu à nos questions. CSACTU est honoré de pouvoir refléter votre histoire inspirante et votre travail crucial pour promouvoir l'égalité des sexes et lutter contre les violences basées sur le genre à nos jeunes lecteurs. Nous vous félicitons une fois de plus pour avoir remporté le Prix Simone Veil 2024 le 8 mars dernier à Paris.

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Madame DJANGALA FALL receiving the Simone Veil price / photo given by Mme DJANGALA FALL
Madame DJANGALA FALL receiving the Simone Veil price / photo given by Mme DJANGALA FALL

Tout d’abord, pourriez-vous vous présenter brièvement et nous parler de votre travail avant de passer à notre première question ?

Je suis Miryam Diane Ella DJANGALA – FALL. Je suis une Centrafricaine, survivante du viol sexuel lié aux conflits armés, célibataire, avec un enfant issu de viol, et actuellement Coordonnatrice Nationale du Mouvement des Survivant.es en Centrafrique (MOSUCA). J’ai été promue au grade de Commandeur dans l’Ordre du Mérite Centrafricain et récemment honorée du Prix Simone Veil 2024 en France. Je suis également le point focal du projet de mesure réparatrice intérimaire dans la Ville de Dékoa, une région de la Centrafrique ayant connu des cas récurrents des VSBG

Qu’est-ce que MOSUCA et quel est son domaine d’activité ? Quels ont été les raisons qui vous ont inspiré à le créer et à former une communauté de soutien et d’activisme ?

Mosuca est une plate-forme qui regroupe dix associations de femmes, d’hommes et d’enfants issus du viol. Elle a été créée en 2018 avec appui de la Fondation Dr Dénis MUKWEGE et fait partie du réseau Mondial des Survivant.es (SEMA). Au niveau national, MOSUCA fait partie du Comité Stratégique des Experts en matière de VSBG auprès du Gouvernement de la République Centrafricaine. MOSUCA intervient dans les domaines de la prévention, de la sensibilisation, de l’identification, du plaidoyer, de la formation, du référencement et de la réinsertion socioéconomique à travers des activités génératrices de revenus.

MOSUCA a été créé pour plsuieurs raisons : 

  • Le nombre d’atrocités commises envers les femmes, les enfants et les hommes victimes des cas de viol sexuel ont augmenté. 
  • Les survivant.es sont abandonnés à leurs tristes sorts. Il y a un silence absolu face à ces problèmes. 
  • Les survivants du sexe masculins ont de la honte à parler de leur cas, ils sont silencieux. Beaucoup d’enfants nés du viol sexuel sont rejetés au sein de la communauté et font l’objet de multitude cas de discrimination. 
  • Les femmes survivantes sont rejetées par leurs maris, d’autres par la communauté. La pauvreté les affectant ne leur permet pas de s’auto prendre en charge. 
  • Il n’y a pas de justice pour les survivant.es, les bourreaux et les complices ne font pas l’objet d’une arrestation par la justice. 
  • Certaines Associations de survivant.es qui ont eu l’idée d’assister les survivant.es, voient leurs moyens limités. Certaines activistes ont fait l’objet de menaces et représailles. Il y a un mutisme et un silence absolus sur les questions des VSBG. Même certaines ONG humanitaires n’œuvrent pas totalement pour apporter assistance selon les besoins des survivant.es. 

D’où la nécessité d’avoir une organisation capable de répondre d’une manière efficace aux besoins des survivant.es des VSBG. C’est en partant de ces constats que MOSUCA a vu le jour.

Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés ?

  • Il n’y pas de textes ou lois protégeant formellement les survivant.es du VSBG au niveau national, bien que l’Etat centrafricain ait souscrit les législations en vigueur au niveau international. Certaines décisions prises par l’Etat sur appui de certaines ONG humanitaires pour réprimer les auteurs et co-auteurs ou encore les bourreaux ne sont pas suivis.
    • Au niveau de la justice, il y a des cas de disparition des dossiers des victimes pour des raisons qu’on ignore et que personne ne veut dénoncer. Également, le coût pour les survivant.es d’avoir accès à un avocat pour defender leur cause est très élevé.
    • Il y a aussi la honte de briser le silence et dénoncer les bourreaux.
    • Les ressources des associations défenseuses de droit des victimes de VSBG pour apporter assistances aux survitant.es sont limités. La prise en charge holistique des survivant.es est également limitée, faute de moyens financiers et de la politique de l’Etat.
    • Il n’y a pas de structure formelle pour la protection des données des victimes au niveau du pays. Or, les besoins sont énormes.
    • MOSUCA n’a pas les moyens pour se rendre dans toutes les régions de la RCA pour apporter aide et assistance aux survivant.es.
    • Certaines communautés sont réfractaires à dénoncer les cas des VSBG et sont aussi loin de protéger les survivant.es à cause des pesanteurs sociaux (coutumes).
    • Les survivant.es vivent avec leurs bourreaux car la justice n’effectue pas son travail, malgré les cas de dénonciation auprès des instances juridiques.
    • Certains activistes font l’objet de menaces et de représailles de la part des bourreaux ou de leurs complices.

    Vous avez reçu le Prix Simone Veil de la République française pour l’égalité entre les femmes et les hommes cette année par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné qui vous a remis le prix lors d’un événement émouvant à Paris, retransmis en direct à Bangui. Que représente ce prix pour vous et pour MOSUCA?

    En ce qui me concerne, c’est le fruit du combat que j’ai toujours mené pour briser le silence et parler de mon histoire en tant que survivante, ainsi que celle de mes pairs qui n’ont pas la voix de s’exprimer et également en mémoire d’autres qui ont perdu la vie. Ce prix représente pour moi, en toute humilité, une reconnaissance au niveau international des actions que j’ai eu à mener pour parler des cas de VSBG afin que la voix des surivant.es soit entendue. 

    Pour MOSUCA, ce prix renforce notre visibilité à l’international et permet d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les actions pour la lutte contre les VSBG en RCA. Ceci permet aussi aux autorités de la République centrafricaine de reconnaître les efforts des activistes pour la lutte contre les VSBG au niveau du pays et ainsi de susciter leur engagement pour y contribuer.

    Vous avez également reçu une récompense de 100 000 euros. Comment prévoyez-vous d’investir cet argent pour contribuer à votre travail ?

    Cette récompense va permettre la construction d’un Siège National de MOSUCA, le renforcement de notre capacité en équipements et fournitures bureautiques, l’appui à un projet de Collectif Mémoire « Briser le silence » pour une période d’un an et la rédaction un livre de plaidoyer intitulé « Ma force » avec résumé « transformer toutes les souffrances en force ».

    Vous collaborez également avec des institutions des Nations Unies telles que l’UNFPA et ONU Femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets avec l’ONU et comment ils peuvent soutenir votre mouvement ?

    Nous avions des projets en cours avec l’UNFPA, pour lesquels nous sommes en attente de validation. Avec ONUFEMMES, nous avons été appuyés dans la réalisation de plusieurs activités, notamment l’autonomisation des survivantes de MOSUCA, des formations sur la gestion des cas, des dotations en véhicules de transport, ainsi qu’un projet de trois ans pour le renforcement des capacités.  L’UNFPA nous a appuyé en kits de dignité tandis que ONUFEMMES nous a appuyé en kits de couture et nous a promis de financer la formation de 25 survivantes. 

    Pensez-vous qu’il y ait un lien naturel entre le fait de devenir le représentant et la voix de personnes qui comme vous ont été opprimées et réduites au silence ? Est-ce une mission que vous réalisez souvent auprès des survivants ?

    Oui, j’avoue qu’il y a un lien naturel. En tant que survivante avec un enfant né dans le cas de viol sexuel, et victime de fistule lié aux viols pendant sept ans avant de briser le silence, j’étais victime d’une dépression. C’est une situation que vivent nombreux de mes pairs. Je porte en moi les blessures, les problèmes, les difficultés les conséquences de cette situation. C’est pour cette raison que j’ai pris l’engagement de défendre le droit de mes pairs en brisant le silence, en parlant tout haut ce qui se dit tout bas, pour que les survivant.es bénéficient d’une réparation qui s’inscrit dans leur droit à vivre comme tout citoyen. En effet, dans la constitution de notre pays, la République centrafricaine, il est stipulé que « tout citoyen nait libre et est égal devant la loi ». Tel a été mon combat de tous les jours pour apporter aide et assistance aux survivant.es.

    Quels types de stigmatisation et de discrimination existent dans votre communauté et dans les endroits que vous visitez, en particulier pour les femmes et les groupes minoritaires tels que les personnes souffrant de troubles de santé mentale, la communauté LGBTQIA+, les personnes atteintes de maladies infectieuses et de troubles génétiques dans votre région ?

    Le rejet de la communauté et des familles ; les représailles des bourreaux après un témoignage d’un survivant ; la peur de s’ouvrir aux autres de peur d’être stigmatisé ; la honte ; l’agression physique, verbale, psychologique, et morale.

    Comment pensez-vous que nous pouvons changer la mentalité à l’égard des victimes de violence basée sur le genre, en particulier la violence sexuelle, en termes de stigmatisation ? Pensez-vous que l’éducation et la sensibilisation peuvent guérir la misogynie ?

    Oui, tout à fait, à travers l’éducation et la sensibilisation, les choses peuvent changer. Cependant, il faut encore aller de l’avant pour amener ces survivant.es à briser le silence et parler de leurs histoires, pour être prise en charge par des soins holistiques, pour que l’opinion international puisse savoir ce dont ils ou elles subissent afin de susciter les autorités à jouer pleinement leur rôle dans la protection des citoyens et de prendre des mesures positives en faveur des victimes. Par exemple, en reconnaissant le droit des victimes, et en consacrant des lois et politiques en leur faveur. Aussi, il faut toujours attirer l’attention des gouvernants sur des possibles sanctions liées au non-respect des droit des victimes de violences sexuelles.

    Pouvez-vous nous parler un peu du processus de réhabilitation à la suite de ces crimes? Quelles sont les étapes importantes, les phases par lesquelles passent les victimes et leurs familles, le rythme du processus ? Chaque cas a-t-il sa propre dynamique nécessitant un plan de réhabilitation différent ?

    Le processus de réhabilitation est intimement lié aux 10 principes directeurs de prise en charge des survivant.es.

    Quel est le rôle de la communauté pendant ces processus pour s’assurer que les victimes de violence basée sur le genre ne soient pas isolées de la communauté ?

    La communauté joue le rôle d’accompagnateur et de sensibilisation des membres de la communauté.

    Les Mutilations Génitales Féminines (MGF) sont criminalisées dans le Code pénal de la RCA. Cependant, plus de 20 % des femmes et des filles sont encore excisées. Environ 60% des cas d’excision dans le monde, entre 15 et 49 ans se trouvent en Afrique selon l’UNICEF. Quelles sont les actions de votre mouvement à ce sujet et comment interprétez-vous la persistance de cet acte criminel contre l’humanité ?

    Face à ce sujet, nous avions mis 20 points focaux, formés et dissimulés dans les provinces de la RCA. Ceux-ci ont pour tâche de conscientiser la communauté en présentant l’état des problèmes, et donner la latitude à la communauté elle-même de formuler des mesures d’atténuation de ces problèmes.

    La persistance de cet acte criminel contre l’humanité est due aux coutumes qui demeurent la stricte règle à observer au sein de la communauté ainsi qu’au laxisme des gouvernants à réprimer d’une manière forte ces situations qui violent les droits humains.

    Comment positionnez-vous l’effet de la politique sur les atrocités commises par plusieurs groupes ? Pensez-vous que c’est un outil utilisé par les auteurs de ces actes pour justifier des crimes contre l’humanité ?

    A mon avis, c’est l’ignorance du respect des droits humains qui ont amené les groupes à commettre ces crimes odieux. Aussi, le comportement laxiste de l’État a fortement contribué au développement de ces actes odieux.

    Les religions et les croyances font-elles partie des tensions politiques en tant que méthode fractionnée qui contribue également aux atrocités ?

    Dans le cadre de la Centrafrique, la religion n’a pas contribué aux atrocités. Au contraire, les leaders religieux font partie des ceux qui ont toujours brisé le silence pour dénoncer les actes odieux. Par ailleurs, les politiques se sont cachés derrière la religion pour commettre leur bavure, chose qui est contraire à la réalité vécue dans les communautés.

    Vous faites partie du comité stratégique de lutte contre la violence basée sur le genre en RCA. Pensez-vous que les efforts de votre gouvernement sont suffisants ? 

    Le gouvernement a fait un pas, mais les besoins sont encore énormes et le gouvernement doit effectuer un accompagnement des partenaires pour l’application totale des efforts dans la lutte contre les VSBG.

    Sur quels domaines politiques et d’action aimeriez-vous voir plus de progrès?

    Que des lois soient instaurées et favorables dans l’intérêt des survivant.es.

    Les mercenaires et les groupes paramilitaires sont connus pour attiser les tensions dans les régions en utilisant des divisions ethniques et religieuses. Cela vous préoccupe-t-il concernant l’avenir de votre pays ?

    Oui, c’est une préoccupation majeure, dont la communauté internationale doit attirer l’attention pour que les droits humains soient respectés.

    Pensez-vous que des institutions étatiques faibles servent les auteurs de ces actes qui comptent sur l’inaction des autorités étatiques et le manque de responsabilité en raison du mécanisme juridique ?

    Oui, et c’est pourquoi nous avions toujours plaidé pour le renforcement de l’état de droit en RCA.

    Vous recevez des éloges et des admirations de Bangui à Paris et au-delà, mais y a-t-il des réactions négatives ou des déclarations négatives que vous recevez en raison de votre mouvement ? Cela dérange-t-il certains groupes ou cercles selon vous ?

    Oui, certains de nos compatriotes, même au sein du gouvernement, n’ont pas compris l’intérêt des actions que nous menions pour le respect des droits humains en Centrafrique et du droit des victimes des cas de VSBG en particulier.

    Enfin, quels sont vos espoirs et vos rêves pour les générations futures ? Hommes ou femmes, enfants ou adultes, quelles sont vos aspirations et le message que vous souhaitez transmettre ? 

    Mes aspirations sont de rassembler toutes les souffrances des victimes et les transformer en force. Que chaque survivant.es puisse vivre dignement comme tous les autres citoyens de la Centrafrique. Ensemble, c’est possible de redonner l’espoir de vivre aux survivant.es des cas de VSBG.

    « Rien pour nous, sans nous. Ce qu’on fait sans nous est contre nous. »

    Madame DJANGALA FALL

    Autrement dit, les survivant.es doivent être impliqués dans le processus d’aide et assistance sur la base de leur consentement.

    Photo given by Madame DJANGALA FALL

    Nous remercions beaucoup Madame DJANGALA FALL d’avoir accepté l’ invitation de CSACTU et d’avoir partagé ses perspectives et son expertise avec nos jeunes lecteurs ! Nous lui souhaitons une bonne continuation et nous garderons un œil sur son travail.

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