La dissolution de l’Assemblée nationale, décidée par Emmanuel Macron au soir de la débâcle de son camp aux élections européennes, n’aura pas eu l’effet escompté. En effet, alors que le président de la République justifiait la dissolution par une volonté de clarification, la République semble désormais fragilisée, puisque aucune force ne semble capable de réunir une majorité stable à l’Assemblée, capable d’appliquer son programme. Cette situation est une première dans l’histoire de la Ve République. Aucune des cinq précédentes dissolutions n’avaient abouti à un tel résultat.
La Ve République a connu cette année la sixième dissolution de son histoire. Auparavant, le dispositif avait été utilisé par deux fois par le général de Gaulle, en 1962 et en 1968, de même que par François Mitterrand, en 1981 et en 1988, tandis que Jacques Chirac y a eu recours une fois seulement, en 1997. Ces anciennes dissolutions avaient produit des majorités claires, donc à la nomination rapide d’un Premier ministre et de son gouvernement. Cette perspective est aujourd’hui à exclure, tant aucun des groupes ne peut prétendre exercer le pouvoir sans être renversé
De Gaulle, la dissolution comme outil pour conforter son pouvoir
Le 4 octobre 1962, une motion de censure est adoptée contre le gouvernement Pompidou, la seule de l’histoire de la République pour le moment, pour contester le projet du président Charles de Gaulle d’instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel, porté par le gouvernement. Le 9 octobre, le président de la République décide la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives les 18 et 25 novembre.
Cette décision portera ses fruits. Les gaullistes remportent la majorité absolue à l’Assemblée, le Premier ministre Georges Pompidou est rappelé à ses fonctions et le pouvoir de l’exécutif, en particulier du chef de l’État, est conforté. Le projet d’élection au suffrage universel direct du président de la République est adopté entre-temps par référendum constitutionnel, le 28 octobre 1962.
En 1968, la France connaît la plus grande révolte de son histoire. Ce sont les évènements de Mai 68. Le pouvoir de l’exécutif, en particulier du président, est contesté comme jamais il ne le fut auparavant. Le pays est paralysé par des millions de manifestants. Bien que le camp gaulliste possède une majorité parlementaire confortable, le président de la République dissout l’Assemblée nationale le 30 juin 1968 et convoque de nouvelles élections législatives, les 23 et 30 juin. De cette manière, il utilise l’arme de la dissolution comme un outil de résolution de la crise politique, en appelant les Français à s’exprimer sur la situation.
Le camp gaulliste en ressort une nouvelle fois vainqueur. Il s’agit d’un véritable triomphe, un plébiscite populaire en faveur du président et de son gouvernement, puisque la majorité présidentielle obtient 72,7% des sièges de l’Assemblée nationale, soit 354 des 487 sièges qui la composaient. Maurice Couve de Murville est nommé Premier ministre, jusqu’à la démission de Charles de Gaulle, 10 mois plus tard.
Mitterrand, la dissolution pour se doter d’une majorité
Les deux années ayant vu François Mitterrand accéder, puis être confirmé président de la République, 1981 et 1988, l’Assemblée nationale était composée d’une majorité de députés de droite. Cette situation trouve son origine dans le découplage des élections présidentielle et législatives, en vigueur à l’époque. La première était convoquée tous les 7 ans, tandis que les secondes étaient convoquées tous les 5 ans. Dans cette situation, le président Miterrand aurait été dans l’incapacité de mettre en oeuvre son programme, sans user de l’arme de la dissolution.
Ainsi, les élections législatives ayant eu lieu en 1978, la VIe légilature devait prendre fin en 1983. Il en va de même en 1988. Les élections législatives de 1986 ayant donné la droite gagnante, la VIIIelégislature devait durer jusqu’en 1991. Les deux dissolutions auront rendu un résultat favorable, avec une très confortable majorité absolue en 1981, même si la majorité présidentielle ne fut que relative en 1988.
Chirac, la malheureuse dissolution
Le 21 avril 1997, un an seulement avant les élections législatives, qui devaient avoir lieu en 1998, le président de la République Jacques Chirac annonce, dans une allocution surprise, la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections légilslatives les 25 mai et 1er juin. Si les précédentes dissolutions étaient motivées par un contexte le justifiant, celle-ci semble avoir été décidée par intérêt exclusif de l’exécutif, alors que la côte de popularité du camp de droite diminuait depuis la prise de fonctions du président de la République, en 1995.
Les résultats ont sonné comme une déconvenue pour l’exécutif. La gauche plurielle, emmenée par Lionel Jospin, remporte la majorité absolue des sièges de l’Assemblée, avec 319 députés élus. Une cohabitation de cinq années s’intalle au sommet de l’État, la plus longue qu’ait connue la France, et la seule résultant d’une dissolution, jusqu’à l’éventuelle nomination d’un nouveau gouvernement par Emmanuel Macron. L’aventure de la dissolution ne sera plus tentée par aucun président, à partir de 1997, devant la déconvenue qu’elle a représentée pour le pouvoir, jusqu’à ce 9 juin 2024 et l’annonce d’Emmanuel Macron. Les résultats, une nouvelle fois plutôt défavorables à l’exécutif, ne devraient pas encourager la pratique dans les années à venir.
Une pratique exclue des IIIeet IVe Républiques
Revenons quelques temps en arrière. Lors des IIIe et IVe Républiques, le recours à la dissolution n’a eu lieu qu’à une reprise chacune, tant la pratique était impopulaire. En 1877, le président de la République monarchiste Patrice de Mac Mahon, en conflit avec la majorité républicaine de la Chambre des Députés. Une majorité républicaine sera confirmée par le vote. Un pari raté pour le président de la République. La dissolution devient, à ce moment-là, une pratique honnie, qui ne sera plus mise en œuvre pendant près de 80 ans.
En 1955, la France vit sous le régime de la IVe République. Régime le plus instable qu’ait connu le pays, les gouvernements se suivent, entre nominations et renversements. Le président Edgar Faure décide la dissolution de l’Assemblée nationale devant la succession des crises gouvernementales. Cela n’empêchera pas l’instabilité gouvernementale de perdurer, jursqu’en 1958. Avec la Ve République, la dissolution est devenue une pratique participant à la stabilité politique de la France, comme l’ont démontré les différentes dissolutions prononcées avant 1997.
Vers une instabilité politique prolongée ?
La dissolution de 2024 est de fait la première dont la conséquence semble devoir être une instabilité politique, comme la France ne l’a plus connu depuis 1958. En effet, aucun bloc ne se détache franchement des autres, en l’absence de coalition formelle. Le premier groupe à l’Assemblée, le Nouveau Front Populaire (NFP), fort de 180 à 190 députés ne devrait pas être en capacité de gouverner, face à près de 400 députés d’opposition qui lui sont hostiles. L’Assemblée nationale semble n’être composée que de minorités absolues, de force plus ou moins similaire. En réalité, avec environ 180 députés pour le NFP, 160 députés pour le camp présidentiel et 140 députés pour le RN, les trois forces politiques se trouvent dans un mouchoir de poche.
Alors que la Ve République avait été mise en place pour garantir une stabilité politique, via l’installation d’un bipartisme, en rupture avec l’instabilité des précédentes décénnies, la France se retrouve aujourd’hui avec trois blocs, peu ou prou égaux en rapport de force dans une espèce de résurrection de la IVe République. La question se pose de la capacité d’adaptation à ce nouveau tripartisme, de la part d’institutions qui ont su, depuis 1958, résister au temps et aux évènements.