Avec l’émergence du mouvement #Metoo en 2017 à la suite de l’affaire Weinstein, de nombreuses accusations ont déferlées sur des personnalités, les victimes décidant de ne plus se taire. Des stars hollywoodiennes certes, mais pas seulement. En effet, le 7 décembre dernier, la France entière découvrait avec horreur les propos sexistes de Gérard Depardieu dans le complément d’enquête qui lui est consacré. Considéré comme le dernier monstre sacré du cinéma français, l’acteur de 75 ans s’est vu retirer sa couronne, le monde de la culture jugeant ses propos inacceptables. Mais pour autant, si son image semble à jamais ternie, faudrait-il arrêter de regarder ses films et oublier quel immense acteur il est ? Cette question donne lieu à de nombreuses divergences.
Une question devenue débat de société
Nous sommes partis à la rencontre de plusieurs personnes d’horizons et de tranches d’âges différentes pour leur demander leur avis sur la question. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la population illustre parfaitement la difficulté à prendre position sur un sujet aussi sensible, d’autant plus que les partis pris sont divers et ne se limitent pas à une réponse directe.
Pour Anne-Marie, tout juste retraitée, on peut continuer à donner du crédit à une œuvre tout en désapprouvant les écarts de son auteur : « Il est évident que je condamne les actes, mais je ne vais pas m’empêcher d’apprécier un livre ou un film à cause du comportement aussi inacceptable soit-il de l’artiste ». Dans certains cas, la subjectivité de la personne entre totalement en jeu, et la question devient alors plus délicate, comme l’affirme Théo, étudiant en droit : « Je pense que cela dépend de l’artiste. Personnellement, si je ne connais pas ses œuvres, je ne pourrai pas essayer de découvrir si je sais que l’auteur a été condamné. Dans le cas où je connaîtrais et j’apprécie déjà son travail avant les condamnations, difficile d’aller à l’encontre de mes goûts ».
À l’inverse, si l’on part du principe qu’un artiste s’inspire de son expérience et introduit un peu de soi dans son œuvre, il paraît donc insensé de séparer l’auteur de sa création et d’en faire deux entités différentes. C’est l’argument qu’avance Isabelle pour justifier le boycott des œuvres : « Pourquoi donner de la valeur à des travaux dont les actes de son auteur sont condamnables ? » , s’insurge-t-elle.
Ainsi, la société illustre parfaitement ce débat déjà présent dans le cercle artistique.
Des artistes qui prennent eux-mêmes position
Comme le disait Arthur Rimbaud à Paul Démény en 1871 dans la lettre dite du voyant, « Je est un autre », c’est-à-dire que la personnalité n’est pas unique, mais peut se dissocier, d’une part l’homme, de l’autre l’artiste. Le poète sous-entendrait ainsi qu’il n’y a pas une entité, mais bien plusieurs, il faudrait ainsi les séparer.
Cette idée sera corroborée par Marcel Proust qui affirme que « l’être qui écrit est foncièrement différent de la personne qui vit dans le monde réel ».
À ces deux figures littéraires, s’oppose l’écrivain Mallarmé qui soutient que « L’artiste tire son œuvre de sa propre substance comme l’araignée sa toile ». Pour la philosophe et nommée au prix Nobel de la paix Zarina Khan, impossible de distinguer deux entités : « Lorsque je découvre l’histoire personnelle d’un auteur, et qu’y transparaissent des actes ou des positions inacceptables, je ne peux plus lire l’œuvre sans y reconnaître la souillure de l’esprit. L’artiste a une immense responsabilité. Il influence, marque les esprits quelques fois pendant des millénaires. Certains disent qu’on peut profiter de l’œuvre tout en condamnant l’artiste. Je ne sais pas le faire. Je ne veux pas le faire. Je ne « sais » pas lire Céline…comme si à travers ses mots, un poison subtil pouvait se déverser dans ma pensée ».
Néanmoins, la « Cancel culture » qui consiste à dénoncer publiquement une personne en raison de ses paroles et de ses actes réels ou supposés, reste tout aussi dangereuse selon l’écrivaine qui qualifie cette pratique comme « un moyen de mettre des auteurs « Au pilori » pour servir des raisons souvent politiques, idéologiques ». La sphère artistique est donc tout aussi indécise, timorée, sur cette question qui semble prendre de plus en plus de place au sein de la société actuelle.