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Crise agricole : Vers une reprise du mouvement des agriculteurs ?

Les agriculteurs ont laissé exploser leur colère mi-janvier, dans un mouvement qui a duré plusieurs semaines dans toute la France. Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre les mesures nécessaires attendues, mais face à la relative lenteur de leur mise en application, le mouvement pourrait reprendre avec l’ouverture du Salon de l’agriculture, le 24 février.

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Les agriculteurs français ont exprimé leur courroux dans un mouvement d’ampleur fin janvier. © PIXABAY
Les agriculteurs français ont exprimé leur courroux dans un mouvement d’ampleur fin janvier. © PIXABAY

Une crise qui couvait depuis plusieurs mois

Si la crise agricole s’est manifestée aux yeux du public mi-janvier, la crise couvait déjà depuis plusieurs mois. Dès mi-novembre 2023, le syndicat des Jeunes Agriculteurs menait, dans toute la France, l’opération « On marche sur la tête », une campagne de retournement des panneaux de signalisation d’entrée et de sortie des villes, afin de manifester leurs mécontentements et leurs oppositions aux politiques agricoles françaises et européennes. Ils évoquent notamment la superposition abusive de normes, parfois contradictoires, dans le droit, handicapant considérablement leur travail. Mais encore, la stratégie Farm to Fork de l’UE, qui suit une logique décroissante dangereuse, selon eux, pour la survie de l’agriculture européenne.

La crise s’est véritablement révélée à la population lorsqu’en Occitanie, sous l’impulsion de l’éleveur Jérôme Bayle, les agriculteurs bloquent l’autoroute A64, au niveau de Carbonne, le 18 janvier, avant de rejoindre la place du Capitole, à Toulouse. Le mouvement s’est ensuite propagé comme une traînée de poudre à travers toute la France, comme si la profession n’attendait qu’un feu vert pour laisser éclater sa colère.

Une forte mobilisation des agriculteurs

La contestation s’est structurée autour des principaux syndicats du secteur, à savoir l’alliance FNSEA-Jeunes Agriculteurs, d’orientation libérale, la Confédération paysanne, classée à gauche et la Coordination rurale, située à l’extrême-droite, proche du Rassemblement national. Le mode d’action consistait, entre autres, en un blocage des voies rapides permettant l’accès aux grandes villes, notamment Lyon, Rennes, Toulouse. Et surtout Paris. 

En effet, les agriculteurs, ayant pour objectif d’asphyxier économiquement le pays pour faire valoir leurs revendications, ont souhaité bloquer les axes vers la capitale, faire « le siège de Paris ». Plusieurs cortèges de tracteurs, partant de nombreux points de la France, notamment de l’origine de la contestation, le Lot-et-Garonne, devaient converger vers le marché de Rungis, le plus grand marché agricole du monde. Le blocage devait pousser le gouvernement à parvenir aux revendications des agriculteurs. À l’arrivée, plusieurs dizaines de milliers d’agriculteurs ont participé à ce puissant mouvement de contestation.

La colère des agriculteurs ne s’est pas exprimée qu’à travers le blocage, plutôt pacifique, des autoroutes. Dans toute la France, des agriculteurs se sont réunis dans les grands centres urbains pour faire valoir leurs exigences. À cette occasion, du lisier, liquide contenant les déjections des animaux, a été projeté sur des bâtiments tels que des préfectures, comme à Nantes ou Agen, sur des centres commerciaux ou encore sur des restaurants fast-food, pour protester contre ce qui est ressenti comme un mauvais traitement de la part de ces établissements.

De même, de la marchandise d’origine étrangère a pu être détruite ou redistribuée, afin de contester un libre-échange parfois jugé inégal au détriment des agriculteurs français. Les agriculteurs ont, durant la période de manifestation, exprimé un ostensible rejet de l’accord commercial UE-Mercosur. Cet accord est négocié actuellement par Bruxelles avec les pays de la zone sud-américaine. La conséquence serait, en l’état actuel, une concurrence déloyale en défaveur des agriculteurs européens, en raison de normes non-homogènes avantageuses pour les produits sud-américains. 

Un gouvernement actif pour répondre à la crise

Le tout nouveau gouvernement du Premier ministre Gabriel Attal a été particulièrement actif durant la période de contestation. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a été omniprésent dans les médias pour répondre à la colère des agriculteurs. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a été confronté sur le plan sécuritaire à cette mobilisation. S’il invitait à la clémence et à la retenue au début du mouvement, il a dû se résoudre à déployer la force pour empêcher le blocage de Paris et du marché de Rungis, qui a conduit à l’arrestation de 79 manifestants.

Le Premier ministre, qui vivait sa première grande crise depuis sa prise de fonction, s’est lui-même démené pour parvenir à calmer la colère. L’ex-ministre de l’Éducation nationale a multiplié les tentatives pour apaiser les tensions, entre les réunions: avec les syndicats, avec le gouvernement et des prises de paroles. A l’instar de sa déclaration de politique générale le 30 janvier ou d’une conférence de presse le 1 février, dans lesquelles, il s’est exprimé sur le sujet agricole. Il a surtout cherché à convaincre en allant à la rencontre de ces français en colère. Sur le barrage de Carbonne, à la rencontre de Jérôme Bayle, l’instigateur du mouvement et à Montastruc-de-Salies le 26 janvier, à Parçay-Meslay le 28 janvier, Gabriel Attal est allé se confronter à ceux qui attendaient de lui des actions concrètes. 

Les annonces du gouvernement

Le Premier ministre a effectué plusieurs annonces par le truchement de ces différents moyens de communications, afin de répondre aux préoccupations et doléances du monde agricole. D’abord, un « choc de simplification », visant à répondre à la surtransposition de normes parfois contradictoires au niveau national ou européen et à la surcharge administrative conséquente à cela, de même qu’aux recours judiciaires abusifs subis par les agriculteurs. Le plan Écophyto, qui prévoit une réduction de 50% de l’utilisation des pesticides, est lui mis en pause.

Sur le plan économique, le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures, notamment l’abandon de la hausse progressive de la taxe sur le GNR, la mise en place de fonds et d’aides d’urgence pour un total de 400 millions d’euros, le versement des aides de la PAC d’ici le 15 mars, le classement du secteur agricole comme « un secteur de métiers en tensions », face au manque répété de main d’œuvre, ou encore le renforcement des lois Egalim, qui visent à protéger le revenu des agriculteurs lors des négociations avec les acteurs du secteur agroalimentaire. L’objectif de souveraineté alimentaire, en danger face à l’augmentation des exportations de produits étrangers, sera inscrit dans la loi.

Au niveau européen, le gouvernement a fait savoir son opposition au traité UE-Mercosur car « Cet accord Mercosur, tel qu’il est, il n’est pas bon pour nos éleveurs », dixit le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. L’opposition du gouvernement porte aussi sur l’obligation de mise en jachère de 4% des terres arables des exploitations, afin de préserver la biodiversité.

Le gouvernement annonce la mise en place d’une « clause de sauvegarde » sur les volailles importées d’Ukraine, qui inondent le marché européen. L’objectif de ces mesures est de garantir la souveraineté alimentaire face à une dépendance toujours plus accrue aux importations de produits étrangers.

Une réaction mitigée des syndicats

Les annonces du gouvernement Attal ont eu l’effet escompté. Le 1er février, à la suite de la conférence de presse tenue à Matignon, en compagnie des ministres Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Marc Fesneau, durant laquelle de nouvelles mesures étaient annoncées, Arnaud Rousseau, président de la FNSEA et Arnaud Gaillot, président des Jeunes Agriculteurs, ont appelé à la levée des blocages en France, ce qui a été suivi d’effet.

La Coordination rurale a emboîté le pas et a appelé à son tour à la levée des barrages et au retour des convois de tracteurs en passe d’arriver au marché de Rungis. Seule la Confédération paysanne a appelé au maintien de la mobilisation, prenant le contre-pied des deux autres forces syndicales. La Confédération considère ne pas avoir été entendue dans ses revendications sur la sortie du libre-échange, sur la protection du revenu des agriculteurs avec, en prime, un recul sur les questions environnementales que les militants contestent.

Si le mouvement de contestation a été interrompu, les syndicats maintiennent la pression sur le gouvernement en agitant la menace de la reprise du mouvement si les mesures promises ne sont pas prises rapidement, à savoir avant l’ouverture du salon de l’agriculture le 24 février. Or, alors que le gouvernement avait annoncé la mise en place rapide de ces mesures, notamment avec le « mois de la simplification » jusqu’au salon de l’agriculture, les syndicats s’impatientent face à la lenteur de cette mise en place.

Un Salon de l’agriculture sous haute-tension

L’exécutif reste, de ce fait, attentif à la situation. Le 13 février, Gabriel Attal a reçu à Matignon la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. Ce fut l’occasion pour les deux syndicats majoritaires de mettre la pression sur le gouvernement afin d’obtenir l’accélération de la mise en place des mesures promises. Le Premier ministre continue ses visites dans les fermes, auprès des agriculteurs, comme à Janvilliers, le 15 février.

Le président de la République Emmanuel Macron, qui reçoit traditionnellement les syndicats agricoles avant le Salon de l’agriculture, a rencontré la Coordination rurale et la Confédération paysanne à l’Élysée le 14 février, puis la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs le 20 février. Des réunions opportunes pour évoquer la crise et l’application concrète des mesures qui ont été garanties, ainsi que répondre aux exigences de ces syndicats qui demeurent. Notamment en ce qui concerne le revenu des agriculteurs, pour ainsi éviter la reprise d’un mouvement d’ampleur, comme a pu l’être celui de janvier.

Il demeure donc une épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’exécutif. Les syndicats ont prévenu : si les mesures garanties n’ont pas vu le jour d’ici l’ouverture du Salon de l’agriculture, le mouvement reprendra. La question est désormais de savoir si le gouvernement a su répondre aux attentes des agriculteurs. La tenue du Salon International de l’agriculture à Paris, du 24 février au 3 mars, sera l’occasion, pour tous, de faire le point sur la crise agricole.

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