Comment la désinformation manipule-t-elle notre cerveau ? 

La désinformation ébranle les fondements démocratiques de nos sociétés et menace la sécurité. Ses effets psychologiques permettent d’expliquer pourquoi nous y sommes vulnérables, pourquoi la corriger est si difficile et comment la prévenir. 

Partagez ce post

1,5 milliards de fausses informations sont publiées chaque jour sur les réseaux sociaux selon ID Crypt Global, société spécialisée en identité numérique. Crédit : Pixabay
1,5 milliards de fausses informations sont publiées chaque jour sur les réseaux sociaux selon ID Crypt Global, société spécialisée en identité numérique. Crédit : Pixabay

Le groupe Meta, regroupant Facebook, Instagram et WhatsApp, a annoncé mardi 7 janvier la suppression de son service de fact-checking (vérification de l’information) aux Etats-Unis. Une décision inquiétante alors qu’1,5 milliard de fausses informations sont publiées chaque jour sur les réseaux sociaux selon ID Crypt Global, société spécialisée en identité numérique. Mais quels procédés psychologiques se cachent derrière la désinformation ? 

“Certains sont plus vulnérables que d’autres à la désinformation”

La désinformation, d’après Le Robert, désigne l’utilisation des techniques de l’information de masse pour induire en erreur, cacher ou travestir les faits. Nous sommes tous, à différentes échelles, vulnérables à ce phénomène. “La désinformation, vise certaines personnes en particulier pour atteindre son objectif, car certains sont plus vulnérables que d’autres”, explique Carole Grimaud, doctorante en sciences de l’information et de la communication. Cette vulnérabilité peut s’expliquer de deux façons différentes : la simplicité et la croyance.

Le plus souvent, lorsqu’il est question de réfléchir, juger ou résoudre un problème, nous choisissons la manière la plus directe de le faire. Cette manière de fonctionner fait de nous des “avares cognitifs”. C’est-à-dire que nous privilégions une façon de penser automatique, qui nous demande peu d’efforts, au lieu d’un processus analytique et contraignant.  

Carole Grimaud détaille : “Par nature, notre cerveau est paresseux, il n’a pas envie de dépenser de l’énergie pour réfléchir trop longtemps”. Cet aspect est problématique étant donné qu’il réduit notre propension à s’interroger sur la véracité des contenus que nous trouvons en ligne. Plus l’information est facile à traiter, plus elle est jugée comme étant véridique par son lecteur. Thomas Huchon, journaliste spécialisé dans la lutte contre la désinformation, va même plus loin : “ Au fond, notre cerveau à un peu envie de croire à ces mensonges, c’est pour cela que la désinformation fonctionne”

Cette facilité avec laquelle l’information est traitée est la raison pour laquelle la répétition des fausses nouvelles est si fluide. Elle les rend familières et par conséquent, plus crédibles. Et de fil en aiguille, plus la croyance est répétée, plus sa plausibilité s’accentue explique la doctorante en science de l’information : “Une fois que le cerveau a intégré un cycle par rapport à une information, il le répète pour d’autres informations”. 

Ces mêmes croyances peuvent même nous inciter à rejeter certaines informations crédibles, car elles entrent en contradiction avec ces dernières. On parle de « biais de confirmation ». “Quand on croit à quelque chose, on a plus tendance à renforcer nos croyances avec des informations qu’à les remettre en cause”, explique le journaliste spécialisé dans la lutte contre la désinformation.

Des outils de lutte pouvant tromper notre cerveau

Le fact-checking n’est pas toujours efficace. Utilisé depuis la fin du XXe siècle, ce dernier a pour mission, comme son nom l’indique, de corriger les fausses informations. A condition de savoir s’en servir, car il n’est pas sans danger. Notre propension à réfléchir de manière directe évoquée juste avant, peut faire en sorte que nous nous souvenons d’une information, tout en oubliant qu’elle a été corrigée. Thomas Huchon rajoute : “Quand vous êtes face à quelqu’un qui est dans une croyance très très ancrée, vous avez beau vérifier les informations pour lui, dans la plupart des cas, il ne change pas d’avis”

Attention également à l’utiliser de manière raisonnable. L’effet inverse pouvant produire le risque de créer une méfiance généralisée qui amène les gens à douter de tout ce qu’ils voient en ligne, y compris sur des sites fiables. On parle dans ce cas-là, “d’effet de vérité contaminée”. 

De même, sur les réseaux sociaux, les informations erronées sont parfois étiquetées ; quand elles ne le sont pas, nous sommes amenés à penser qu’elles sont correctes. Ce phénomène risque de bondir aux Etats-Unis suite à la surpression du fact-checking par Meta.

“Lutter contre la désinformation est très difficile”

Mieux vaut prévenir que guérir. La meilleure manière de prévenir la désinformation semble être la prévention. Plusieurs processus psychologiques peuvent nous aider sur ce point-ci même si “lutter contre la désinformation est très difficile”, d’après Carole Grimaud et “présente des obstacles”. Il faut du temps et des moyens, mais chacun peut y contribuer à son échelle.

La réflexion analytique, autrement dit, préférer une évaluation réfléchie aux jugements rapides et intuitifs peut s’avérer efficace pour prévenir la désinformation. C’est la raison pour laquelle l’éducation aux médias a été mise en place en 2013. Elle concerne les élèves du CP à la terminale. L’objectif est de leur donner des clés pour exercer leur esprit critique et de leur apprendre à maîtriser les codes et les usages médiatiques et numériques. 

Cette éducation est nécessaire dans la lutte contre la désinformation. Pourtant, elle présente des limites, car l’ensemble des personnes ne faisant pas partie d’un cursus scolaire ne sont pas en mesure d’en bénéficier. De ce fait, chacun doit apprendre à cultiver un certain scepticisme afin d’être en mesure de mettre en doute les informations non-vérifiées.

Enfin, tout individu doit être conscient que la manipulation peut s’opérer au travers de nos émotions. De façon générale, les fausses nouvelles parviendraient à se répandre plus largement en exploitant des émotions fortes. La peur, le dégoût ou la haine en font partie selon une étude du Massachusetts Institute of Technology publiée dans la revue Science en 2018. De même, le fait de croire aux fausses nouvelles engendrerait de l’anxiété chez les individus. On a pu s’en rendre compte au moment du Covid-19. Carole Grimaud d’en conclure : “ C’est l’émotion qui est la porte d’entrée de tout savoir, de toute information, de toute connaissance. L’information sera manipulée par nos émotions. Il faut apprendre à les contrôler”.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Total
0
Share

CSMAG, votre point actu’ mensuel !

Nous souhaitons faire de ce magazine le reflet de l’esprit de CSactu, en y intégrant toute nos nouveautés : articles de fond, podcasts, émissions sur Twitch, conférences et bien plus encore. 

Chaque mois, nous nous engageons à vous offrir un magazine qui, tout en valorisant le travail de notre rédaction, mettra en lumière l’ensemble des initiatives portées par CSactu.