Il est bientôt 23h au Stade Olembé de Yaoundé, au Cameroun. Sadio Mané vient d’offrir d’un tir au but vainqueur la première Coupe d’Afrique des Nations de son histoire au Sénégal. En face, c’est l’Egypte, pays le plus titré d’Afrique qui s’effondre après 120 minutes de combat. Mohamed Salah, leader des Pharaons et auteur d’un début de saison tonitruant avec Liverpool, voit son premier titre international lui échapper aux tirs au buts. Sans même se placer au point de penalty.
Capitaine et star incontestée de son équipe, l’ailier des Reds a pourtant laissé Mohamed Abdelmonem et Mohanad Lasheen – défenseur et milieu de terrain évoluants tous deux en championnat égyptien – tirer avant lui. Les échecs des inexpérimentés égyptiens (23 et 25 ans) ont permis aux Lions de la Teranga de s’approprier le titre avant même de voir Salah s’élancer face à Edouard Mendy. La volonté de devenir le héros de sa nation vient de retomber terriblement sur le dos d’un leader. Et c’est loin d’être le premier.
Un ordre de tir pas si évident
L’image peut pourtant paraître facile à comprendre. Le cinquième tireur est le plus décisif. Il peut donner la victoire aux siens, ou bien faire durer la séance en offrant un répit à son équipe. Ces deux scénarios sont très fréquents. Nombreuses sont les séances où ce dernier tireur crucifie le portier adverse, entraînant scènes de liesses et d’euphorie générale. Cristiano Ronaldo en est évidemment le symbole. Son tir victorieux en finale de Ligue des Champions face à l’Atlético de Madrid en 2016 en témoigne. Pourtant, les situations dans lesquelles ces stars se seraient bien abstenues de vouloir endosser ce costume de héros ne manquent pas.
Le premier scénario est évidemment la situation que redoute le cinquième tireur : celle où il ne peut échouer. Il se voit alors dans une tout autre position escomptée. Il peut devenir, aux yeux de tous, la cause de la défaite. Kylian Mbappé en a fait les frais durant l’Euro 2020 face à la Suisse, à l’instar de nombreuses stars avant lui : Roberto Baggio, sauveur de la nazionale durant la Coupe du Monde 1994 manque son tir et offre le titre aux brésiliens. Shevchenko en finale de Ligue des Champions 2005 également. Ces tireurs malheureux ont malgré tout eu l’occasion de prendre leurs responsabilités. Mais comment réagir dans le cas inverse ?
Seuls les trois premiers tireurs d’une séance sont absolument assurés de pouvoir frapper. Depuis 2018, plus de 47% des séance de tirs aux buts de grandes compétitions s’achèvent avant que tous les tireurs désignés prennent leur élan[1]. Dans une finale de CAN, un tireur comme Mohamed Salah peut-il se permettre de mettre en danger son équipe en ne prenant potentiellement pas un des tirs au buts ? Le Pharaon avait pourtant pris cette option deux fois durant la compétition. La première, contre la Côte-d’Ivoire, l’a élevé en messie, offrant la victoire. Dans la seconde, en demi-finale face au Cameroun, son équipe était qualifiée avant son tour. C’est à la troisième séance, en finale, que Salah fut puni.
Un risque qui peut coûter très cher
Alors le leader technique de l’équipe, ou meilleur frappeur doit-il être inscrit parmi les trois premiers dans la liste ? L’importance du premier tireur est fondamentale dans l’approche d’un dénouement aussi important. C’est même souvent le capitaine qui s’élance afin de montrer la voie : Koulibaly pour le Sénégal durant cette finale ou Philipp Lahm avec le Bayern de Munich en 2012. Un manqué dès l’entame d’une séance plonge l’équipe au plus bas, qui tremblera forcément dès la prise de balle de second tireur. Placer les joueurs les plus fiables au début de la séance ressemble donc à une mesure de sécurité. La perspective de placer un potentiel tir vainqueur dans les pieds d’un joueur inexpérimenté sème le doute. Mais celle de voir une munition très fiable gâchée, car inutilisée, peut faire reculer certains.
Si le public se tourne naturellement vers les tireurs en échec après la défaite. Le leader qui n’a pas pris ses responsabilités est tout autant fautif, voire plus. En 2012, Cristiano Ronaldo avait ainsi laissé Bruno Alves, défenseur du Zénith frapper avant lui. Décision tragique lorsque ce dernier envoie son tir au but sur la barre et laisse Ronaldo, impuissant, voir l’Espagne filer en finale de l’Euro. Cité plus tôt pour être l’image même du tireur victorieux, le portugais s’en était alors mordu les doigts.
Il est évidemment plus simple d’écrire ces lignes plusieurs semaines après un match. Le cinquième tireur représente malgré tout une posture de responsabilité. Surtout ne pas trembler pour offrir la victoire d’un tir au but n’est pas une mince affaire. Si refaire l’histoire d’une séance de tirs au but de changera pas son résultat, s’appuyer dessus semble plus pertinent. Dans un effectif dans lequel on trouve de nombreux joueurs qui ont l’expérience de matchs importants, le choix de placer une star en dernier semble parfaitement acceptable. Shevchenko prenait par exemple la suite de Pirlo ou Kakà en 2005.
La stature qu’occupe Mohamed Salah en Egypte est tout à fait différente. La frustration de ne pas voir le Pharaon tenter sa chance semble au moins aussi grande qu’aurait été la satisfaction de le voir offrir le titre à son pays. Tenter d’offrir un tir au but décisif au risque d’avoir des remords éternels, pas sûr que le jeu en vaille la chandelle.
[1] Sur les 21 séances de tirs aux buts effectuées depuis 2018 en Coupe du Monde, Euro, CAN, Copa America et Ligue des Champions
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