Quelle place pour les femmes des sociétés est-asiatiques?
Pour aborder ce sujet, trois spécialistes sont intervenues: Camille-Victoire Laruelle, doctorante à l’université de Rennes et spécialiste de la question féministe en Chine ; Isabelle Konuma, professeure de droit japonais à l’Inalco et spécialiste du droit de la famille et des politiques de la reproduction au Japon et Marion Gilbert, docteure en sociologie et spécialiste de la Corée du Sud.
Les intervenantes ont fait état des différents mouvements de lutte féministes naissants dans ces régions et qui remettent en question les injonctions faites aux femmes. En effet, en Asie, où les sociétés sont encore profondément patriarcales et conservatrices, l’émancipation des femmes d’un système contraignant et toxique constitue un combat encore plus significatif.
Les sociétés chinoises, japonaises et sud-coréennes sont encore régies par des traditions antiques qui établissent un schéma familial très strict, désignant d’office l’homme comme le chef de famille et reléguant la femme à une « sous-position ». Ces codes sociaux régissant les rapports hommes-femmes pèsent encore plus lourd que dans les sociétés occidentales, mais sont surtout bien moins évolutifs.
Le post #MeToo
Le mouvement MeToo, officiellement né en 2016, a signé le début d’une ère de revendications féministes, atteignant même les pays les plus fermés et les plus hostiles à des changements radicaux de lois et de hiérarchies.
En Corée, des mouvements se créèrent dès le XXe siècle œuvrant contre l’idéal de chasteté, l’amour libre, et pour l’accès au travail. Bien que ne se caractérisant pas encore comme féministes, ils marquèrent un point de départ pour de futures revendications. Cependant, le « féminisme » coréen apparut surtout grâce à des mouvements nés dans les départements d’études réservées aux femmes à partir des années 70 (recherche sur le viol, le divorce…). Ces dernières années, cet activisme se manifeste plus largement par de grandes protestations devant les universités et l’utilisation massive des réseaux sociaux par la nouvelle génération qui réclame des changements de loi (l’avortement étant par ailleurs en bonne voie d’être dépénalisé).
La Chine du XXe siècle prônait, elle, un féminisme « d’État », puisque l’amélioration de la condition des femmes était extrêmement liée à l’État qui se fit le porte-parole de ces mouvements (discours d’égalité entre les sexes, généralisation de l’avortement et contraception, intégration professionnelle des femmes). Mme Laruelle affirme cependant qu’il serait compliqué de parler d’un vrai mouvement féministe alors celui-ci était porté par un parti très largement constitué d’hommes. Le climat politique de la Chine étant aujourd’hui en effet quelque peu autoritaire, ces mouvements féministes en quête d’indépendance se retrouvent souvent limités voire censurés malgré une société poussant pour donner plus de visibilité à ces débats.
Enfin au Japon, dont le féminisme fut également caractérisé d’État, prirent place de nombreux mouvements de libération des femmes dans les années 1960-70. Cependant, selon Mme Konuma, les mouvements actuels ne cherchent plus à être qualifiés d’activistes, afin d’éviter que le féminisme soit associé à un mouvement révolutionnaire. Il s’agit de déconstruire l’idée que le féminisme est égal à la destruction du régime.
Les mouvements féministes des pays est-asiatiques ne prirent donc pas la même ampleur que dans les pays européens, et ont toujours (eu) du mal à s’épanouir dans des sociétés qui s’emploient encore trop souvent à les réprimer.
Un rejet du modèle familial traditionnel
Ce refus de certaines femmes d’être épouses et mères parvient à être de plus en plus banalisé dans les pays occidentaux, mais dans les sociétés asiatiques où le poids de la tradition pèse encore si lourd, il est difficilement acceptable qu’une femme refuse le rôle qui lui serait à priori accordé.
Dans ces pays, ce rejet de l’idée de construire une famille pourrait se traduire par un taux de natalité très faible, notamment en Corée mais aussi en Chine et ce malgré l’arrêt de la politique de l’enfant unique. Ce refus d’un deuxième enfant chez les couples chinois peut s’expliquer par d’importantes pressions économiques (coûts très élevés notamment pour les familles urbaines) mais aussi professionnelles et sociales. Ces choix ne relèveraient alors pas tant de féminisme mais plutôt d’un confort de vie personnel.
Mme Marion Gilbert décrit les femmes coréennes qui rejettent cette figure de la mère qui ne peut, selon le système établi, être cheffe de sa famille. Elles revendiquent à la place la liberté de choisir pour elles-mêmes d’avoir ou non des enfants. Bien que la société coréenne soit plus « moderne » que la société chinoise, ces mouvements sont toujours perçus comme de réelles problématiques familiales et sociales.
Ce sujet du familial est très complexe, puisque celles demandant une liberté qui devrait être évidente sont encore blâmées et accusées d’être trop exigeantes. Pourtant, il est clair que les féministes d’aujourd’hui ne prêtent plus la même attention aux attentes qui pèsent sur elles.
Ces mouvements féministes, symptomatiques d’un système archaïque répressif, provoquent des débats houleux aux quatre coins du monde puisqu’il remettent en question des milliers d’années de domination qui ont ancré en nous des comportements violents et réactionnaires. Sociétés traditionnalistes ou non, il est impossible de continuer à fermer les yeux sur ces rapports de force inégalitaires entre les genres.
Crédit de la photo: Garam