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« Carnet de campagne » – L’Ukraine au cœur des débats dans la perspective des élections européennes

Entre perspective malheureuse pour l’Ukraine et bienheureuse pour la Russie, le sujet de la guerre en Ukraine s’est invité dans le débat politique national, en particulier depuis les prises de positions offensives d’Emmanuel Macron à l’égard de la Russie. La récurrence de la question ukrainienne revêt un enjeu stratégique dans l’optique des élections européennes du 9 juin 2024.

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Manifestation de soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe. ©Pixabay
Manifestation de soutien à l’Ukraine face à l’invasion russe. ©Pixabay

La situation est tendue sur le front ukrainien, à la fois pour la Russie et l’Ukraine. Cette dernière est en difficulté, alors que les États-Unis s’effacent peu à peu, de même que l’aide militaire fournie par, jusqu’alors, le premier contributeur à la défense ukrainienne depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022. L’Ukraine se trouve désormais dans une situation qui semble, à plusieurs égards, critique. En proie à une forte pénurie de munitions, le front ne tient plus et recule, comme le montre la perte d’une ville comptant parmi les symboles de la résistance ukrainienne, Avdiivka, le 17 février dernier. Le danger d’une percée militaire russe, de l’effondrement de la ligne de défense ukrainienne est indéniable et les événements à venir seront vitaux pour la survie de l’Ukraine.

De son côté, la Russie ne se porte guère mieux depuis l’attentat de Moscou du 22 mars, dont le bilan s’élève à au moins 144 morts. Si le pouvoir pointe une responsabilité ukrainienne, bienvenue pour alimenter le récit russe quant à la légitimité de l’« opération spéciale », cette attaque terroriste semble plutôt devoir être le témoignage d’une défaillance du renseignement russe. Malgré cet événement, meurtrissant pour la population russe qui a reçu un soutien unanime de la communauté internationale, la situation semble meilleure en Russie.

Le pouvoir politique de Vladimir Poutine a été renforcé, d’abord par le décès de son principal opposant Alexeï Navalny le 16 février, en dépit des quelques remous que cela a provoqué au sein de la population. Puis, par sa triomphale réélection le 17 mars, dès le premier tour avec 87% des voix exprimées, un véritable plébiscite en sa faveur. Bien que tout ait été mis en œuvre par le pouvoir pour arriver à un tel résultat. De la même manière, la situation sur le front est favorable à la Russie, dont les moyens militaires sont supérieurs à ceux de son adversaire, dont l’économie est plus résiliente et qui peut espérer la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis qui leur permettrait d’avoir l’occasion d’achever l’Ukraine.

Emmanuel Macron, nouveau chef de meute du soutien à l’Ukraine

Depuis peu, Emmanuel Macron est un homme changé. Au revoir le pacifisme du début de la guerre, les très controversés appels au maître du Kremlin, la retenue sur une victoire ukrainienne, la rengaine selon laquelle « il ne faut pas humilier la Russie ». Bonjour les positions offensives envers la Russie, le soutien ferme et sans équivoque à l’Ukraine. Depuis plusieurs semaines, le ton monte entre Paris et Moscou. Le progressif retrait des États-Unis du soutien à l’Ukraine a provoqué un sursaut en Europe et éveillé la prise de conscience de la nécessité d’un leadership européen. Emmanuel Macron s’inscrit dans cette logique de leadership, qu’il semble vouloir incarner. 

Les actions du président pour le soutien à l’Ukraine se multiplient et s’intensifient. Le 16 février, l’accord de coopération et de sécurité entre la France et l’Ukraine a été signé à l’Élysée par le président français et le président ukrainien, garantissant un soutien militaire et humanitaire de la France à l’Ukraine pour les 10 prochaines années, avec en premier lieu une aide financière de 3 milliards d’euros pour 2024. 10 jours plus tard, le 26 février, alors qu’il réunissait les chefs d’État ou de gouvernement de 27 pays alliés de l’Ukraine, dans le but d’approfondir le soutien occidental à l’Ukraine, Emmanuel Macron s’est montré singulièrement incisif, en particulier lorsqu’il a affirmé, concernant l’envoi de troupes sur le territoire ukrainien, que « rien ne doit être exclu ».

Si cette position a été tempérée devant la vigueur des oppositions, à la fois nationales et internationales, qui se sont exprimées. Emmanuel Macron a ultérieurement confirmé son « ambiguïté stratégique », notamment à Prague, le 5 mars, en indiquant que « Si chaque jour, nous expliquons quelles sont nos limites face à quelqu’un qui n’en a aucune, je peux déjà vous dire que l’esprit de défaite est là qui rôde ». 

Devant cette situation, une réponse de la part du pouvoir russe était attendue, elle a effectivement eu lieu. Dans les jours suivants, Vladimir Poutine a réagi de manière agressive aux propos du président Macron, brandissant par là même la menace d’une guerre nucléaire. Plus généralement, la France est devenue la cible de toutes les attaques depuis lors, émises par des personnalités du régime poutinien, à l’instar de Dmitri Medvedev, ex-président de la Fédération de Russie, Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma ou autres. Il faut replacer tout cela dans un contexte plus global, qui existe au-delà de la question ukrainienne, de tensions, concurrence entre la France et la Russie, que ce soit en Afrique, où l’influence russe a supplanté l’influence française ou dans l’ancienne aire d’influence russe, où une dynamique inverse est à l’œuvre en faveur de la France, notamment en Arménie, mais aussi en Asie centrale.

Le sujet de l’Ukraine est instrumentalisé pour les élections européennes. ©Pixabay

En France, entre désapprobation et soutien à l’Ukraine

Les positions adoptées par le président de la République ont été accueillies avec critiques par les oppositions. En dehors de la majorité présidentielle, tous les partis ont manifesté un désaccord généralisé, allant parfois vers une indignation, vis-à-vis de l’envoi de troupes françaises sur le sol ukrainien, et ce, en particulier à la suite de la réunion, tenue à l’Élysée, rassemblant le président et tous les chefs des partis d’opposition, le 7 mars. La nouvelle ambiguïté stratégique d’Emmanuel Macron est interprétée comme une position belliqueuse, qui pourrait conduire la France à devenir co-belligérante du conflit, donc à un affrontement direct avec la Russie, puissance nucléaire. 

Malgré l’opposition unanime à l’envoi de troupes en Ukraine, il demeure en France une adhésion à la cause ukrainienne de la part des responsables politiques. Les 12 et 13 mars, l’Assemblée nationale et le Sénat étaient appelés à se prononcer quant à l’accord bilatéral de sécurité entre la France et l’Ukraine. Il en est ressorti un soutien prononcé à l’Ukraine des parlementaires, avec une majorité de 372 contre 99 à l’Assemblée nationale et une majorité de 293 contre 29 au Sénat, en faveur de l’accord. Alors que Les Républicains, le Parti socialiste, Les Écologistes et la coalition présidentielle ont voté pour l’accord, La France insoumise et le Parti communiste français ont voté contre, arguant le danger de confrontation directe avec la Russie que représentait un soutien si prononcé à l’Ukraine, particulièrement l’adhésion du pays à l’UE ou à l’OTAN. Le Rassemblement National, déstabilisé par les soupçons de collusion avec le pouvoir russe, s’est abstenu.

La guerre en Ukraine instrumentalisée pour les élections européennes 

Pourquoi la résurgence de ce sujet ? Pourquoi maintenant ? D’abord, la situation d’urgence dans laquelle se trouve l’Ukraine, comme évoqué précédemment, nécessite une réponse de la part des dirigeants européens, ce à quoi le président de la République a répondu présent. Si les circonstances permettent d’expliquer en partie le retour sur le devant de la scène de la question ukrainienne, il est en revanche à noter qu’on ne peut occulter le rôle que celle-ci jouera lors des élections européennes. 

Sur la guerre en Ukraine, la majorité des Français éprouvent de la sympathie pour le pays agressé. Selon le dernier sondage Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, 58% des Français interrogés possèdent une bonne opinion de l’Ukraine, contre 18% pour la Russie. Devant la relative faiblesse de la liste Renaissance pour les élections européennes, créditée à seulement 18% des intentions de vote dans le dernier sondage Ipsos pour Euronews, la coalition présidentielle pourrait être tentée de capitaliser sur l’empathie de la population pour l’Ukraine, afin de remonter la pente. Instrumentaliser ce sujet, plutôt rassembleur pour les Français, pourrait leur permettre d’engranger un certain nombre de voix. C’est dans cette voie que s’inscrit Valérie Hayer, tête de liste Renaissance, assez agressive concernant le conflit, en particulier à l’encontre du RN, et qui a été reçue par le président ukrainien, le 28 mars, pour lui assurer de son soutien à l’intégration du pays au sein de l’UE.

Largement en tête dans les sondages, crédité de près de 31% des intentions de vote, le Rassemblement National est au centre des attaques. D’abord par la coalition présidentielle, principal opposant dans ces élections, mais désormais largement relégué, dont les attaques se concentrent sur les liens opaques entre le RN et le pouvoir russe, notamment épinglés par le Washington Post début janvier, et le soutien tacite qui en résulte. Le RN, dans sa stratégie de normalisation, tente d’afficher un éloignement avec la Russie et un soutien à la cause ukrainienne, tout en prônant un pacifisme qui serait défavorable aux intérêts de l’Ukraine. Cette approche vise à rassembler le plus de voix possibles, car en conjuguant le soutien à l’Ukraine largement partagé au sein de la population et le rejet d’une guerre dont personne ne veut, le RN est sûr de parvenir à un certain consensus chez les électeurs. 

La France insoumise a aussi le RN dans son viseur à propos de la guerre en Ukraine, lui reprochant son abstention à l’Assemblée nationale le 12 mars, un reproche exprimé par le député LFI Manuel Bompard, lors d’un débat contre le député RN Sébastien Chenu, le 24 mars. Le RN ne serait pas assez conséquent sur le sujet, ne s’opposerait pas assez vigoureusement au rapprochement entre l’Ukraine et les institutions occidentales, à savoir l’OTAN et l’UE, et à la perspective d’une entrée en guerre qui pourrait, à l’avenir, se dessiner. Le comble quand on connaît le tropisme russe dont le RN est accusé ! LFI, de même que le PCF, assume une position hostile au rapprochement avec l’Ukraine, une position plus extrême que le RN sur la question, en se positionnant comme « LE camp de la paix ».
Chaque parti politique cherche donc à instrumentaliser à son bénéfice la guerre, afin de trouver la position la plus favorable, à la fois pour conserver son électorat, mais aussi pour élargir celui-ci, dans l’optique des élections européennes. La guerre en Ukraine est un sujet central, c’est sur cela, entre autres, que se jouera le scrutin à venir.

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