Pour débuter cet entretien avec toi Valentin Pasquier, tu es journaliste et dessinateur judiciaire pour France Inter, Le Parisien et Ouest France. Pourquoi as-tu fait le choix de transmettre l’information par le dessin ?
Valentin Pasquier : Je suis venu au dessin car, au sein des tribunaux, lorsqu’un procès commence, il est interdit de prendre en photo ou de capturer des images et du son. Donc, on fait appel à des dessinateurs pour contourner cette interdiction qui date des années 1960.
J’aime bien dessiner depuis pas mal de temps et on m’a proposé, un jour, de couvrir un procès en tant que journaliste. Je me suis mis à dessiner et suite à cela, on m’a offert la possibilité de m’engager pour faire du dessin d’audience. Grâce à cette méthode journalistique, j’ai couvert plusieurs audiences telles que celles du procès Daval ou du procès Lelandais, pour ne citer que les plus connues du grand public.
Pour passer la parole à Azzeddine Ahmed-Chaouch, tu es journaliste pour l’émission d’info-divertissement Quotidien diffusée sur TMC depuis les débuts de cette émission. En quoi le divertissement peut-il être, selon toi, un bon moyen de transmettre l’information ?
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Alors, je ne dirais pas que le divertissement transmet l’information. C’est une émission dans laquelle on tourne les pages comme un journal. Autrement dit, tu vas prendre Le Parisien par exemple, pages 2 et 3, tu as les faits du jour sur une affaire importante, page 4, tu as l’économie, page 5, tu as la politique et puis à la fin tu vas avoir les pages sport, les pages people, les mots fléchées, l’horoscope… Eh bien, Quotidien, c’est un peu ça sauf que, comme c’est à la télé, on ne s’en rend pas forcément compte.
Il y a donc des moments où l’on rit, où des humoristes viennent faire des sketchs et puis il y a des moments très sérieux, parfois durs. On fait également du reportage et on est parfois les seuls à aller dans des endroits. On décrypte également l’actualité et on essaye de le faire de manière parfois différente. On va également à l’étranger. On traite la politique de manière presque parfois obsessionnelle même puisqu’on prend un sujet et on le retourne sous tous les angles.
Donc c’est plutôt comme cela que j’envisage les choses, c’est-à-dire qu’il y a du divertissement, mais ce n’est pas informer par le divertissement. On rit, c’est un chose, mais on informe et parfois effectivement, là où je peux te rejoindre, c’est que dans cette information, on peut mettre du sourire et de la bonne humeur, et cela ne fait pas de mal !
Aujourd’hui, nous vous interviewons tous les deux dans le cadre de la sortie de votre livre intitulé Dossier V13. Comment vous êtes vous rencontrés et comment est né ce projet ?
Valentin Pasquier : Azzeddine avait l’idée, un projet de livre. Suivant pour Quotidien le procès, il avait l’idée d’ écrire un livre. On travaillait chacun pour des rédactions différentes afin couvrir le procès. À titre personnel, je travaillais pour France Inter. Azzeddine avait l’idée de faire un livre, il a contacté les éditions Plon et finalement, ils sont tous les deux venus me voir car ils avaient envie d’illustrations. J’ai donc rejoint le projet de par ce biais-là. Tout a eu lieu rapidement car je crois que cela a commencé fin septembre ou début octobre 2021, donc très peu de temps avant le début de procès.
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Avec l’éditeur Plon, on s’est mis d’accord pour retranscrire ce procès et en faire un livre. L’idée a vite immergé d’ajouter au texte des images. Mais, comme pour le procès nous n’avions pas le droit de prendre des photos, nous devons passer obligatoirement par le dessin pour pouvoir les illustrer. Ainsi, quand j’ai vu les dessins de Valentin, ce que j’ai aimé, c’était le réalisme de ses dessins. Dessins que je voyais tous les jours parce que je lisais Le Parisien et que je regardais les comptes rendus de France Inter.
Contrairement à d’autres dessins judiciaires, il n’avait pas la retenue de mettre des vrais couleurs, qui sont parfois même des couleurs chaleureuses, alors qu’il y avait comme une habitude. Lorsque l’on regarde les dessins judiciaires, à un tendance naturelle, lorsque l’on dessine des procès d’assises, souvent tristes par définition puisque l’on parle de crimes, d’assassinats, de meurtres, eh bien d’avoir un dessin assez terne, parfois en noir et blanc, parfois sombre. Cela rend les méchants toujours méchants, et ce n’est pas toujours le cas dans un procès puisqu’il peut y avoir un accusé qui est un jour joyeux, un jour bien habillé, et cela veut dire des choses.
Donc, pour moi, ce réalisme total que je retrouvais dans ses dessins correspondait évidemment à ma vision d’une retranscription exacte. C’est-à-dire, un texte précis mais avec des images, une visualisation forte.
Pour rebondir sur votre propos, il y a deux questions qui me viennent. Comment avez-vous réussi à convaincre un éditeur comme Plon de publier cet ouvrage ? En quoi ce livre a un caractère inédit par rapport à la retranscription des faits ?
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Pour convaincre Plon, cela a été assez simple. Plon a vite compris qu’il y avait un événement historique, que l’on présentait partout comme historique, qui était en train de se dérouler mais qui était traité de manière quotidienne, factuelle, Hard News comme on dit.
En tant qu’éditeurs, ils se sont dit : « Comment garder de cet événement une trace ? ». La trace la plus évidente, c’est un livre, et c’est encore plus évident pour un éditeur. Donc cette idée d’avoir un document, c’est comme ça qu’on a commencé la discussion qui est par ailleurs allée assez vite, un document par le livre s’est imposée naturellement. J’imagine que quand on est éditeur, ce qu’on apprécie, ce sont des objets qui restent, et l’idée de graver ce procès sur papier correspondait évidemment à cette attente.
Valentin Pasquier : Oui, ce livre a un côté patrimonial finalement.
Sur la quatrième de couverture de votre livre, vous dédiez ce livre « au nom de notre histoire, de notre démocratie, de notre combat contre le terrorisme. » Espérez-vous qu’il contribue aux travaux des historiens et au devoir de mémoire ?
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Pour ce qui est des historiens, je ne vais pas avoir cette prétention de dire que je me substitue en historien. En revanche, oui, un certain devoir de mémoire pour les personnes qui ne veulent surtout pas oublier ce qu’il s’est passé, veulent comprendre d’une manière assez didactique, pédagogique, journalistique ce qu’il s’est déroulé. Rien ne remplacera jamais le travail d’un historien.
Notre regard de l’intérieur, de manière factuelle, imagée, nous paraît participer modestement à un devoir de mémoire. Parfois, aussi, comme on est des journalistes, on est des êtres humains qui ont aussi été attristés par ce qu’il s’est passé, on met quelques fois du personnel, de l’analyse liée aussi à notre histoire à chacun. Je n’ai pas la même analyse que d’autres journalistes. On n’a pas toujours la même sensibilité avec Valentin et c’est d’ailleurs pour cela qu’il met parfois des dessins et des informations de texte apposées à ceux-ci, que personnellement, je n’ai pas forcément mis en avant dans mon texte. C’est ce qui fait la force de notre ouvrage !
C’est un regard parmi d’autres. C’est notre regard et si les gens veulent connaître notre regard que l’on pense être assez objectif et bien ils n’ont qu’à acheter Dossier V13 !
Comment votre œuvre a été perçue par les personnes qui ont eu un rapport avec le procès des attentats du 13 novembre 2015 ?
Valentin Pasquier : Personnellement, j’ai eu quelques retours de victimes, surtout des personnes qui avaient été touchées au Bataclan. J’en ai eu peu mais j’ai eu des bons retours. Après, je n’ai pas eu de retours d’avocats, de professionnels pour l’instant.
Azzeddine Ahmed-Chaouch : J’ai quelques retours d’avocats qui ont apprécié, parties civiles également. Après, depuis le verdict, c’est vrai que l’on est pas forcément resté en contact avec les parties civiles. Ce procès était aussi une manière pour elles de mettre « un point final », même si c’est difficile à dire, ou alors de tourner la page. C’est l’épilogue d’un drame, c’est l’épilogue d’un massacre terrible et comme tout épilogue, et je pense que pour ces personnes qui veulent se reconstruire, elles veulent passer à autre chose. En tout cas, j’ai eu des retours surtout de professionnels comme des magistrats, des policiers, des avocats et j’ai l’impression qu’elles ont trouvé que c’était fidèle à ce qu’il s’est passé pendant ces 10 mois.
Selon vous, qu’est ce que la société a retenu de ce procès ? Ne pensez-vous pas que l’on a tourné la page un peu trop vite au vu de la rapidité de l’information, entre autres, et par conséquent, n’avez vous pas peur que ces faits tombent dans l’oubli ?
Valentin Pasquier : Dans l’oubli, non je pense pas car cela restera une première et un événement. C’est un petit peu le sens d’une de tes questions sur le côté historique de ce procès. J’ai plus peur que cela deviennent habituel en fait. Pas de l’oubli mais que finalement, bon, on a le procès de Nice, d’autres procès sur le terrorisme et j’ai peur peut-être qu’à l’image des actes de terrorisme qui se déroulent de temps à autre en France, que finalement, on trouve cela plutôt ordinaire.
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Pour moi, il y a toujours une crainte de l’oubli. Quand on prend le point de comparaison dans notre histoire contemporaine qui est la Seconde Guerre Mondiale, on a aujourd’hui des générations qui remettent presque en question ce qu’il s’est passé, qui remettent en question l’existence des chambres à gaz. Donc, je pense que, malheureusement, quand l’émotion s’estompe, quand elle retombe, il y a toujours ce risque.
Ce livre tente et tentera avec ses petits moyens de faire perdurer cette mémoire. Néanmoins, pour moi, il existe un défi plus global qui se joue à l’école. Nous devons et avons le devoir de réaliser des commémorations fortes et de rappeler ce qu’il s’est passé ! Et ce, car j’ai peur que, dans quelques années, certaines personnes malintentionnées trouvent les accusés « romantiques ». C’est même sûr que cela arrivera, car nous l’avons constaté dans tous les drames. C’est l’une des raison pour lesquelles j’ai voulu écrire ce livre avec Valentin. Comme nous avons vécu ça, on est de cette génération. Cela s’est passé dans nos quartiers. Pour ma part, ces événements ont eu lieu non loin de chez moi puisque j’ai vécu dans le XIème arrondissement de Paris, à 100 mètres de La Belle Equipe, je passais mon temps au bar Le Carillon. J’ai même un de mes meilleurs potes qui était au Bataclan. Évidemment, j’ai vécu cela donc je suis imprégné par ça ! Mais il y a beaucoup de gens qui n’ont pas ressenti ça. Donc oui, notre devoir à tous, c’est de tout faire pour que cette mémoire perdure au maximum afin d’éviter aux générations futures de tomber dans le piège du révisionnisme et du négationnisme !
En quoi votre livre Dossier V13 peut-il concerner la jeunesse et en quoi s’adresse-t-il à elle ?
Valentin Pasquier : Il peut concerner et s’adresse à la jeunesse car je pense c’est un ouvrage grand public avant tout. Ce n’est pas un ouvrage dédié pour les spécialistes. Je pense qu’il permet de se plonger dans un monde judiciaire. Monde judiciaire où, justement, en ce moment même, le ministre de la Justice veut plus de transparence, veut que ce soit beaucoup plus adapté au regard des Français, au regard de tous les Français. C’est un monde où les choses sont très protocolaires. C’est un monde fait de beaucoup de règles, de termes que l’on peut peut-être trouver ronflants. Mais, malgré cela, c’était la volonté de la maison d’édition et de nous deux, de faire quelque chose qui parle à tout le monde. Mine de rien, le fait que le texte soit coupé aussi avec pas mal d’illustrations permet de rendre peut-être la chose judiciaire plus accessible et peut-être aussi car on lit le dessin plus rapidement.
Azzeddine Ahmed-Chaouch : Ce procès est quand même celui de jeunes Européens, un peu de Français mais surtout des Belges, qui ont voulu frapper leur pays ou leur pays voisin, en tout cas l’Europe alors qu’ils étaient des enfants de ces pays, des Européens, des Occidentaux quand même. Donc c’est déjà aussi un questionnement sur notre jeunesse aussi, sur une faillite de l’intégration d’une certaine partie de notre jeunesse aussi. Cela, il ne faut pas l’oublier !
Ensuite, dans ce procès nous avons pu voir comment l’État Islamique, Daesh, un groupe terroriste a pu recruter sur des codes liés à ce qu’il y a de plus moderne. Donc, en reprenant des codes de la pop culture, du rap, des films hollywoodiens, et c’est en ça que l’on voit que c’est la jeunesse qui était au cœur de ce procès.
Et puis, les terroristes ont frappé un vendredi soir, sur des terrasses où il y avait des gens qui prenaient un apéro, qui étaient au concert des Eagles of Death Metal et ça, pour moi, c’est ce qui semble représenter le plus une société qui vit, une société jeune ! En tout cas, quand on est jeune, on va à des concerts, on va prendre des pintes et on va voir un match de foot, et c’est exactement ce qu’ont visé les terroristes.
Pour conclure cette interview, quel message souhaiteriez-vous adresser à la jeunesse ?
Azzeddine Ahmed Chaouch : Le message que je souhaite adresser est en lien avec le devoir de mémoire et la transmission à la jeunesse. Mon message sera en lien avec ma crainte vis-à-vis de la profusion des théories relativistes, complotistes, les fakes news et une partie des adolescents, des collégiens, des lycéens qui s’informent mal via des médias non journalistiques ou qui se revendiquent, selon eux, comme « alternatifs ». Le conseil que je peux donner est donc d’être très vigilant quant à sa source d’informations. Savoir quand on reprend une info, d’où elle vient, de quel média, comment elle est traitée et de ne pas se contenter d’une vidéo Facebook, de messages relayés. Il s’agit du mal moderne dans notre société parce que, sans cette vigilance, on va s’entretuer parce qu’on aura l’impression que son voisin est le plus méchant, qu’on nous veut du mal et puis, on va croire à n’importe quoi.
Valentin Pasquier : Je ne sais pas si je suis légitime pour adresser un message à la jeunesse. Néanmoins, je suis d’accord avec ce que Azzeddine vient de dire. Je suis aussi soucieux en tant que journaliste, et aussi soucieux qu’Azzeddine. Je pense qu’on est un peu tous, en tant que journaliste, soucieux vis-à-vis de tout ces canaux d’informations que l’on a à notre disposition aujourd’hui. Il y a de plus une défiance, que cela soit de la part des jeunes ou des moins jeunes, vis-à-vis des canaux traditionnels que représentaient les journaux, la télévision. Il y a sans doute eu des erreurs de la part de la profession mais il faut toujours recouper les informations, vérifier par soi-même, lire, et avoir plusieurs sources d’informations. C’est ce que je préconise, si je puis dire.