Le processus de nomination, une garantie démocratique essentielle ?
Tout d’abord, les auditions des commissaires européens, débutées le 4 novembre, incarnent un moment fondamental dans la formation de la Commission européenne. Ce rituel, orchestré par le Parlement européen, a pour objectif de tester les compétences et la vision politique des 26 candidats sélectionnés, proposés par chaque État membre de l’Union européenne, pour intégrer cet exécutif central. Symbolisant un contrôle démocratique rare, ces auditions permettent aux eurodéputés d’évaluer, et de valider, les profils de ceux qui dirigeront les grands axes de la politique européenne.
Mais aussi, cette année, les critiques sont grandes. Derrière les discours rodés, beaucoup pointent du doigt un processus vidé de sa substance, donnant parfois l’impression d’une simple procédure légèrement théâtralisée.
Des nominations entachées par la politique
Par ailleurs, les interventions des commissaires désignés ont manqué de profondeur et d’audace. La prudence a été de mise : aucun risque, aucune annonce majeure. Stéphane Séjourné, par exemple, désigné vice-président exécutif à la Prospérité, a opté pour une posture neutre afin de convaincre les deux tiers des parlementaires nécessaires à sa validation.
De surcroît, les débats les plus vifs se sont concentrés autour du Hongrois Olivér Várhelyi, proposé pour un portefeuille sensible, celui de la santé et du bien-être animal. Proche de Viktor Orbán, Várhelyi a cristallisé les tensions en raison des politiques controversées de la Hongrie, notamment sur l’État de droit et la démocratie. Sa nomination, perçue comme un défi à ces principes fondamentaux, a poussé les groupes parlementaires de centre-gauche à retarder le vote sur sa candidature, soulignant leurs inquiétudes.
L’on peut évoquer le cas de l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew), ce dernier a exprimé des réserves, notamment en pointant les choix controversés de la Hongrie en matière de vaccins pendant la pandémie et son manque d’engagement sur les droits sexuels et reproductifs : « Nous ne voyons pas comment soutenir, pour être commissaire à la santé, quelqu’un nommé par un gouvernement qui a privilégié les vaccins russes et chinois« .
Un sentiment de gâchis partagé
Pour beaucoup, ces auditions ont laissé un goût amer. Bien qu’elles soient censées garantir un processus transparent et rigoureux, de nombreux eurodéputés et collaborateurs dénoncent une procédure qui semble quelque peu dénaturée de son sens. Un véritable sentiment de gâchis s’est installé, principalement à cause de la politisation excessive de ces évaluations. Les accords en coulisses entre les principaux groupes politiques : le PPE, les sociaux-démocrates et Renew ont pris le pas sur les discussions de fond. Cela a nourri la frustration, autant chez les parlementaires que chez les observateurs externes.
Les critiques sont nombreuses et virulentes. « Pourquoi avoir passé des dizaines d’heures à auditionner les commissaires européens si ça doit se terminer par des petites magouilles de couloir ? » s’est exclamée Manon Aubry. Ce constat est partagé par d’autres, qui soulignent que l’appartenance politique semble parfois primer sur les compétences réelles des candidats. Un autre membre de l’entourage d’un commissaire auditionné déplore que « des candidats passent pour leur affiliation politique et non pour leurs compétences« .
Ainsi, les attentes des participants présents ont été largement déçues. Plusieurs lobbyistes, espérant des débats plus concrets, ont quitté les séances en estimant que les échanges étaient largement insuffisants. L’absence de décisions claires et la prédominance des compromis tactiques ont mené certains à juger ces auditions comme un simple « spectacle pour divertir la bulle européenne« . Finalement, ce processus, censé renforcer la crédibilité et le poids du Parlement, semble avoir plutôt offert une image contraire.
Un processus conçu pour six membres, dépassé par 27
Le processus d’audition, pensé pour une Union européenne restreinte, montre ses limites face à l’élargissement et à la diversité des intérêts nationaux. Avec 27 États membres, chaque nomination devient un exercice très complexe, où il faut concilier les attentes géographiques, politiques et idéologiques. Cette réalité rend parfois difficile de maintenir l’objectif initial de garantir des profils compétents et indépendants.
De plus, les désaccords entre groupes politiques ou entre eurodéputés et gouvernements nationaux rallongent et compliquent ces validations. Par exemple, le report du vote pour certains candidats traduit ces tensions croissantes. Lors des auditions, les questions écrites ou les demandes de précisions supplémentaires se multiplient, peut être un signe d’un besoin d’évaluation plus approfondie. Cependant, ces retards peuvent fragiliser l’image de l’Union européenne, perçue comme incapable de dépasser les querelles internes pour avancer efficacement.
Dans ce contexte, certains observateurs appellent à moderniser le système pour éviter qu’il ne soit pris en otage par des divergences nationales. Francisco Roa Bastos, spécialiste des partis politiques européens, maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a notamment suggéré, que réduire le nombre de portefeuilles ou centraliser l’évaluation des candidats pourrait limiter les blocages et améliorer la transparence. Il ajoute, « L’Union doit adapter ses méthodes à sa nouvelle échelle, sinon elle risque de perdre en crédibilité auprès de ses citoyens.«
Quels enjeux pour la nouvelle Commission ?
Enfin, la Commission européenne, qui devrait entrer en fonction le 1er décembre, devra relever des défis de taille. La transition écologique, la souveraineté technologique ou encore les relations internationales sont autant de priorités urgentes dans un contexte de crises multiples.
Cependant, ces auditions, marquées par des compromis politiques et des critiques sur leur manque de transparence, risquent de peser sur la légitimité de cette nouvelle équipe dès ses débuts. Cela nous invite à réfléchir sur une question essentielle : comment restaurer la confiance d’une opinion publique déjà méfiante envers les institutions européennes ?