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Application Too Good To Go : quelle efficacité dans les boulangeries ?

Arrivée en France en 2016, l’application Too Good To Go permet de lutter contre le gaspillage alimentaire en proposant des paniers d’invendus à prix réduits. Elle est aujourd’hui utilisée par plus de 10 millions de Français.es. Quelle est son efficacité réelle ? Cette enquête se concentre sur la banlieue Sud de Paris, et plus particulièrement sur la ville de Vanves. Elle s’intéresse au cas des boulangeries, qui sont près de 28 000 en France à utiliser cette application.

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application Too Good To Go
Too Good To Go est une application permettant d'acheter des invendus à prix réduits.

La nuit est tombée depuis quelques heures sur la petite ville de Vanves. Les derniers travailleurs et travailleuses sortent de la station de métro pour retourner dans leur foyer, tandis que quelques jeunes prennent le chemin inverse. Quelques rues plus loin, une boulangerie s’apprête à baisser le rideau. Alors que les client.es hésitent face aux rares sandwiches ayant survécu, une étudiante entre dans la boutique, apportant avec elle un courant d’air glacial. « Bonsoir, je viens pour l’application Too Good To Go ». Quelques minutes plus tard, la voici qui repart avec un sac rempli de viennoiseries, baguettes de pain et autres produits. Le tout pour quelques euros.

Un principe nouveau pour faire face au gaspillage alimentaire

Too Good To Go est une application mobile récente. La société qui en est à l’origine a été créée au Danemark en 2015. Le principe de l’application est simple : lutter contre le gaspillage alimentaire. « Sauvez des repas. Aidez la planète », peut-on lire sur le site de la société. Celle-ci a rapidement fait ses preuves et s’est développée dans d’autres pays européens. Elle arrive en France dès 2016. On peut la trouver facilement sur téléphone mobile (App Store et Google Play) ou sur Internet. Parallèlement, la maison-mère poursuit son développement depuis le Danemark et dans ses différentes branches en Europe.

Elle a mis en place un projet d’investissement de 6 millions d’euros en 2019. Preuve de sa popularité, l’application compte aujourd’hui 10,6 millions d’utilisateur.ices en France (selon les chiffres du site).

« Sauvez des repas. Aidez la planète. »

Too Good To Go

Mais comment marche exactement Too Good To Go ? Cette application repose sur des contrats avec les commerces alimentaires. Ces derniers peuvent rejoindre le projet en nouant un accord avec la société. Ce sont souvent des boulangeries ou des supermarchés, mais on y retrouve aussi des restaurants, des marchands en plein air, et même des hôtels. Ils s’engagent alors à proposer leurs invendus à prix réduits sous forme de paniers. L’application leur permet alors d’être mis en relation avec une demande.

En tout, plus de 130 000 commerces en France utilisent cette application. Pour une boulangerie, les paniers sont habituellement d’une valeur de 12 € et vendus trois fois moins chers, à 4 €. Sur cette somme récoltée par le commerce, Too Good To Go en prélève une partie afin d’assurer son fonctionnement et son développement. L’application affiche en temps réel les paniers proposés par les différents commerces aux différents endroits. De leur côté, les consommateur.rices ont accès à cette offre et peuvent sélectionner à l’avance le panier qui les intéresse. L’application propose également un système de paiement à distance.

Une fois le panier choisi, iels doivent aller le récupérer auprès du commerçant sur la plage horaire affichée par l’application. Au final, le ou la consomateur.rice a un panier d’aliments bon marché, le ou la producteur.rice a vendu les produits de la journée qui n’avaient pas trouvé preneur et, ensemble, ils ont contribué à réduire le gaspillage alimentaire. Dans la théorie en tout cas.

Des utilisateurs et utilisatrices globalement satisfaits

Too Good To Go semble plaire aux consommateurs. En effet, le principe est attirant : manger à petit prix tout en s’engageant contre le gaspillage alimentaire. De par sa dimension exclusivement numérique, Too Good To Go semble attirer avant tout des jeunes, et particulièrement des étudiant.es. Cela peut s’expliquer par le fait que ces dernier.es recherchent plus que d’autres à manger à bas prix. Peut-être sont-ils aussi plus concernés par la cause environnementale que d’autres…

En tout cas, nous avons interrogé des étudiant.es de la banlieue de Vanves et les avis semblent unanimes. On retrouve globalement deux thématiques dans les discours des personnes interrogées : l’engagement écologique et l’avantage économique.

« C’est une appli super au niveau écologique, au niveau lutte contre le gaspillage, au niveau économique », résume cette étudiante en Master de droit pénal à Paris II. « C’est super pour le budget et le concept est top pour éviter le gaspillage, tout le monde est gagnant ! », complète Pauline, étudiante en soins infirmiers.

Un concept qui allie avantages économiques et enjeux écologiques.

Mais d’autres soulignent aussi le côté pratique de l’application, qui en plus de proposer des repas à bas prix, évite de cuisiner, une activité parfois appréhendée par les étudiant.es. « Le principal avantage c’est lorsque tu sens que tu as une grosse journée et que tu vas avoir la flemme de cuisiner le soir, tu peux réserver ton petit panier pendant le travail ou les cours et aller le récupérer avant de rentrer chez toi », explique Alexis avec une pointe d’humour.

« Il y a deux raisons pour lesquelles j’utilise Too Good To Go : économiquement, et tout simplement le gaspillage alimentaire. Je me dis que je paye un truc pas cher mais qu’en plus ça évite que ce soit jeté »,

une étudiante en marketing et communication de la culture et des arts.

« C’est super pour le budget et le concept est top pour éviter le gaspillage. Tout le monde est gagnant ! »

Pauline, étudiante en soins infirmiers

En somme, dans son principe Too Good To Go semble généralement faire des heureux. Bien sûr rien n’est parfait et certains paniers peuvent décevoir, d’autant plus que les commerçant.es les composent unliatéralement. Certain.es peuvent alors être déçu.es par ce qu’ils trouvent dans le panier qu’iels ont préalablement acheté. C’est notamment le cas pour celles et ceux qui ont certains régimes alimentaires.

Pauline a dû arrêter de l’utiliser car elle est végétarienne. « Le seul désavantage pour moi c’est que comme on ne sait pas sur quoi on va tomber quand on est seul, ça peut ne pas donner envie de prendre un pannier », explique une autre étudiante. Cette dernière pense qu’il est plus pratique d’utiliser l’application lorsqu’on est plusieurs personnes dans un foyer : « comme ça il y en aura toujours une pour manger ce qu’il y a dans le panier ».

Enfin, on peut aussi noter certaines situations où les produits sont proches d’être périmés. « Les dates de péremption peuvent être proches, surtout pour les boulangeries où ça ne se conserve pas longtemps ; donc il faut en avoir conscience », ajoute Pauline. Too Good To Go a donc quelques limites pour les consommateur.ices, avec notamment l’incertitude autour des produits achetés. Néanmoins, elle reste globalement un succès auprès de celles et ceux qui l’utilisent.

… mais des réactions variées chez les boulanger.ères

Du côté de producteur.rices, les avis sont différents. Nous avons interrogé les boulangeries situées à Vanves ou à proximité, qu’elles utilisent ou non Too Good To Go. De manière générale, aucune ne semble réellement conquise par cette application. En effet, les commerçant.es cherchent en premier lieu à vendre au prix le plus avantageux sans avoir d’invendus. Pour la plupart des boulanger.es interrogé.es, Too Good To Go semble alors être un complément « par défaut ».

L’ordonnance du 21 octobre 2019 :

Depuis l’ordonnance du 21 octobre 2019, la plupart des produteur.rices n’ont pas le droit de jeter les surplus alimentaires. L’Etat les incite à nouer des « conventions de don » avec des associations d’aide alimentaire. Les boulanger.es ont alors le choix entre donner leurs surplus ou le vendre à prix réduit.

Dans une logique commerçante, il est alors plus intéressant de vendre à prix réduit car cela limite les pertes. Too Good To Go constitue d’une certaine manière une aubaine pour les producteur.rices, ou du moins une alternative intéressante.

Cependant les choses ne sont pas si simples. Les boulanger.es interrogé.es ont souligné que l’application conduisait les clients à attendre le soir pour acheter leurs produits moins chers. Au final, non seulement cela réduit les ventes en journée, mais cela conduit aussi à faire baisser les revenus des commerçant.es puisque les client.es ont tendance à n’acheter les produits qu’une fois qu’ils sont à bas prix. Too Good To Go peut donc s’avérer contre-productif pour les commerces qui l’utilisent. Un boulanger situé à la limite du 15ème arrondissement de Paris nous a par exemple appris qu’il venait de se retirer de l’application pour les raisons précédemment évoquées ; il donne chaque matin ses invendus à des foyers caritatifs.

« Plus on produit, plus on pollue. »

Une boulangère à Vanves

Au-delà du simple intérêt économique des boulanger.es, les effets réels de Too Good To Go sur le gaspillage alimentaire sont à interroger. Selon une boulangère de Vanves, qui n’utilise pas l’application, certain.es collègues auraient tendance à pratiquer ce qu’elle appelle l’« habillage de boulangerie » : ils produisent des quantités trop importantes de pâtisseries et de viennoiseries, ce qui permet d’attirer le regard des clients … mais conduit à une surproduction inutile. Selon elle, Too Good To Go permet de renforcer cette pratique, puisque les boulanger.es concerné.es peuvent vendre une partie de ce surplus de production inutile par l’intermédiaire de l’application. On peut alors se demander si Too Good To Go ne conduirait pas les producteur.rices à cette logique assez paradoxale : produire plus pour gaspiller moins.

Toujours selon la boulangère vanvéenne, les producteur.rices peuvent aujourd’hui gérer leurs stocks efficacement grâce à des logiciels. Dans sa boulangerie, elle a fait le choix de « produire à la demande ». Par expérience et du fait des habitudes de consommation, elle sait ce qui se vend aux différents moments de la journée. Par exemple, elle est fière de montrer que le soir il ne lui reste aucun croissant car elle n’en produit que le matin en fonction de l’afflux de la demande. Pour elle, « plus on produit, plus on pollue ».

Too Good To Go conduirait les commerçant.es à ne pas faire d’efforts pour mieux contrôler leur production. Cependant, ces affirmations sont à nuancer car dans les autres boulangeries interrogées, aucune n’a semblé correspondre à l’« habillage de boulangerie ». Ce témoignage permet en tout cas de montrer qu’il peut être envisageable de limiter en premier lieu la surproduction : pas besoin de s’occuper de ses invendus si on arrive à bien gérer sa production. Too Good To Go est alors un atout de poids dans les situations où les commerces ont du mal à fixer leur production à la demande ; cependant ses effets réels sur cette surproduction peuvent interroger.

Une pratique à la croisée d’autres logiques

L’efficacité de Too Good To Go semble ainsi complexe à évaluer. Une chose est sûre : elle permet bien d’éliminer les surplus de production sans les gaspiller. Tout.es les boulanger.es interrogé.es affirment être concerné.es par cet enjeu et veulent réduire au minimum leurs stocks d’invendus. Too Good To Go semble alors être une pratique parmi d’autres dans la lutte contre le gaspillage alimentaire. Notons qu’elle n’est d’ailleurs pas la seule application reposant sur ce principe. Depuis quelques années, des applications concurrentes se sont développées en reprenant le modèle de Too Good To Go.

C’est le cas de Phenix, qui revendique 120 000 repas sauvés chaque jour. Au-delà de cela, il existe aussi d’autres manières de gérer les invendus alimentaires. L’alternative principale est le don. Par exemple, une boulangère a expliqué qu’elle préférait donner ses invendus à ses employé.es ou à sa famille. Il arrive aussi régulièrement que certaines boulangeries fassent cadeau de certains produits invendus aux derniers clients.

« Quand mes patrons ont découvert Too Good To Go, c’était de l’eau bénite pour eux. »

Une employée dans une sandwicherie

Quel impact peut alors avoir le développement d’applications comme Too Good To Go sur la pratique des dons alimentaires ? Pourraient-elles conduire les commerçant.es à substituer les dons aux associations par des ventes à bas prix ?

C’est ce que note cette employée dans une sandwicherie : « Avant (d’utiliser Too Good To Go, ndlr) on donnait aux SDF, mais on a arrêté car on avait peur des intoxications alimentaires ; donc quand mes patrons ont découvert l’application Too Good To Go c’était de l’eau bénite pour eux ». On retrouverait alors l’opposition traditionnelle entre logique commerciale et logique philanthropique. Notons qu’il peut y avoir un intérêt commercial au don à des associations alimentaires. Les donateurs bénéficient en effet d’une défiscalisation sur les produits concernés.

Ensuite, il semblerait que Too Good To Go ne nuise pas aux associations de récolte de produits alimentaires. Nous avons interrogé une employée de la Banque Alimentaire, une association qui organise des récoltes de produits alimentaires, les ramasse et les redistribue dans les associations de lutte contre la pauvreté.

Too Good To Go: quasiment aucun impact sur le fonctionnement de la Banque Alimentaire

En effet, celle-ci s’occupe des stocks importants de nourriture. Elle explique : « Si c’est pour repartir avec trois paquets de pâtes, ce n’est pas la peine ». La « ramasse » a un coût en temps et en essence. Les bénévoles s’intéressent avant tout aux gros stocks d’invendus dans la grande distribution.

Too Good To Go apparait donc comme un complément plutôt que comme un concurrent. Bien sûr, l’adoption de cette application par certains commerçant.es a forcément réduit les dons aux associations.

Cependant, il ne semble pas y avoir d’effet négatif perceptible pour celles-ci. Au final, difficile de donner à Too Good To Go l’image du « méchant qui vole aux pauvres pour donner aux riches ». D’autant plus qu’en 2019 il a mené une campagne de dons permettant le versement de près de 65 000 € aux Restos du Cœur.

L’application Too Good To Go en plein essor

On voit donc que Too Good To Go est une application en plein essor qui s’insère au sein du système complexe de la gestion des produits alimentaires. Si son combat contre le gaspillage motive ses utilisateurs, consommateurs comme producteurs, son utilisation par les commerces ainsi que ses effets réels sur la société méritent d’être mieux interrogés.

Plus d’informations sur : https://www.lejournaltoulousain.fr/societe/too-good-to-go-lance-paniers-anti-gaspillage-speciaux-fetes-139567/

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