L’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le bloc du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), négocié durant plus de vingt ans et conclu politiquement en juin 2019, ambitionne de créer l’une des plus vastes zones de libre-échange au monde. Son enjeu économique est considérable : ensemble, l’Union européenne et le Mercosur représentent plus de 780 millions de consommateurs et un volume d’échanges commerciaux dépassant les 80 milliards d’euros annuels. Malgré cette portée, la ratification définitive de l’accord peine à aboutir, freinée par d’importants débats internes à l’Union européenne sur l’impact environnemental et social du texte.
Un accord de taille historique pour l’Amérique latine ouvrant une concurrence à l’UE
Sur le plan économique, l’objectif est d’ouvrir davantage les marchés de part et d’autre de l’Atlantique Sud. Pour l’Union européenne, l’enjeu réside dans l’accès préférentiel à un marché dynamique pour ses biens manufacturés, automobiles, pharmaceutiques et chimiques, ainsi que pour ses services, tout en renforçant son influence réglementaire. Les entreprises européennes espèrent ainsi bénéficier d’une réduction significative des droits de douane, qui peuvent actuellement atteindre 35 % pour les produits industriels en Amérique du Sud.
Côté Mercosur, l’accès facilité au marché européen représente une opportunité de stimuler l’exportation de produits agricoles – viande bovine, sucre, éthanol, soja – secteurs clés pour la région. La suppression progressive des barrières tarifaires permettrait aux agriculteurs sud-américains de consolider leurs positions sur un marché européen solvable, et ainsi d’accroître la compétitivité de leurs filières à l’international.
Toutefois, l’ouverture accrue du marché européen aux produits agricoles du Mercosur suscite des inquiétudes au sein de l’Union européenne, notamment chez les agriculteurs et les éleveurs. Le risque de voir affluer des volumes importants de viande – principale production agricole de la zone économique – à des prix plus bas fait craindre une pression concurrentielle sur les exploitations européennes, déjà soumises à de nombreuses normes sanitaires et environnementales strictes. Il existe un risque de distorsion de concurrence, alimentant les tensions au sein de certains États membres, particulièrement en France, en Irlande ou en Belgique, où le secteur agricole demeure politiquement sensible.
Selon une simulation[1] l’Union européenne se retrouverait défavorisée dans la globalité de cet accord, les produits industriels exportés ne viendraient pas combler la différences avec les importations d’Amérique du Sud. Cependant, il faut comprendre que la tendance économique de l’Amérique latine est encore émergente. Elle fait croître une classe moyenne désireuse de consommer des produits moyen-haut de gamme que l’Europe a à exporter. Ainsi le pari du Mercosur sur les exports européens serait plutôt effectué sur le long terme et tourné fortement vers l’industrie.
Figure : Source : https://lemillenaire.org/accord-ue-mercosur-quelles-consequences-pour-leurope – Calculs de l’auteur
C’est ici qu’apparaît les distorsions européennes. La France n’étant plus une puissance industrielle, elle est vue comme « victime » directe de cet accord, son agriculture jugée haut de gamme et donc peu concurrentielle étant dans le viseur. L’Allemagne quant à elle est parmi les meilleurs exportateurs mondiaux et possède un patrimoine industriel de qualité. Le pays est donc pour la validation rapide de cet accord.
Des perspectives incertaines
Pour l’heure, l’accord Union européenne-Mercosur n’est pas encore ratifié et son entrée en vigueur demeure incertaine. Certains gouvernements européens, sous la pression de l’opinion publique et de plusieurs ONG environnementales, menacent de bloquer la ratification si des avancées concrètes en matière de développement durable ne sont pas obtenues. À l’inverse, le Mercosur s’impatiente et craint que la remise en cause de l’équilibre négocié ne conduise à un enlisement, voire à un échec, qui priverait les deux blocs des bénéfices économiques escomptés. De plus, le bloc du Mercosur subit lui aussi son agenda politique avec notamment une forte dualité entre Lula (Brésil) et Milei (Argentine) qui ont des objectifs parfois divergents pour le continent.
Au-delà de l’équation économique, l’un des principaux points de discorde concerne l’impact environnemental de l’accord. La hausse potentielle de la production agricole au Mercosur – notamment au Brésil – est associée à des risques de déforestation accrue en Amazonie, mettant en péril la biodiversité et contribuant au dérèglement climatique. Les critiques adressées à l’accord estiment que ce dernier ne comporte pas de garanties suffisantes pour prévenir la destruction des écosystèmes ou pour inciter les pays du Mercosur à respecter leurs engagements en matière de développement durable.
Face à ces critiques, la Commission européenne et plusieurs États membres de l’Union européenne cherchent à renforcer la dimension environnementale du texte. Des protocoles additionnels, des garanties renforcées ou des mécanismes de sanction en cas de manquement aux normes environnementales sont aujourd’hui discutés, mais l’exercice se révèle délicat. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre ouverture économique, impératifs climatiques et sociaux, sans remettre totalement en cause l’accord déjà négocié.
[1] https://lemillenaire.org/accord-ue-mercosur-quelles-consequences-pour-leurope