Comment les marques de tabac ont-elles permis l’essor de la Formule 1 ?

Sponsors d'écuries mythiques comme Ferrari, Williams ou encore McLaren, les marques de tabac ont longtemps été présentes sur les circuits de Formules 1. Entre recherche de visibilité des marques et besoins de financements des écuries, le mariage entre les industries s'est peu à peu consumé, au gré des évolutions législatives et sociales....

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La Honda RA106 floquée au couleur de Lucky Strike (Source : Facebook - Grand Prix Decals)

Une arrivée fracassante…

Lancé en 1950, le championnat du monde de Formule 1 n’a cessé de gagner en popularité. Après un lancement réussi, la F1 attire à partir des années 1970 de grands constructeurs accompagnés par de grands sponsors. Ainsi, le 1er janvier 1968, la Formule 1 voit sa première voiture sponsorisée par une marque de tabac lors du Grand Prix d’Afrique du Sud.

Ce changement rompt alors avec la tradition en place jusqu’alors où les écuries engageaient leurs voitures en respectant un code couleur propre à chaque pays. Les voitures italiennes couraient en rouges (donnant naissance au mythe Ferrari), celles françaises en bleu ou celles britanniques en noir. Seul le soutien financier par des sponsors commerciaux dont les produits étaient utilisés sur les circuits était autorisé. Ainsi, les fournisseurs en carburant, fabricants de pneumatiques et fournisseurs de pièces automobiles contribuaient aux frais de fonctionnement des équipes et à la rémunération des pilotes, conformément à des contrats préalablement établis.

En 1972, le groupe Philip Morris, spécialisé dans la fabrication de cigarettes, fait son entrée en F1 lors du Grand Prix de Monaco en apposant sa célèbre marque « Marlboro » sur les voitures de l’écurie British Racing Motors. L’arrivée du groupe Philip Morris, alors leader mondial du marché de la cigarette va pousser nombre d’autres marques à tenter l’aventure Formule 1 auprès des écuries sur la grille.

La tempête Marlboro…

L’année 1974 marque un tournant dans l’implantation des marques de tabac au sein du sport automobile, lorsque Marlboro devient le sponsor officiel de l’écurie McLaren, renommée pour l’occasion : Marlboro Team Texaco (jusqu’en 1975) puis Marlboro Team McLaren (à partir de la saison 1976). Ce partenariat de 22 saisons, en fait l’un des plus longs de l’histoire de la Formule 1 mais également l’un des plus victorieux. Entre 1974 et 1996, Marlboro et McLaren remportent pas moins de 9 titres pilotes et 7 titres constructeurs. La marque jouit également de l’images de célèbres pilotes passés au volant d’une McLaren comme Niki Lauda, Ayrton Senna, Alain Prost ou Mikka Hakkinen.

L’association entre McLaren et Marlboro en 1974 n’est pas sans conséquences pour les autres équipes de la grille de l’époque. Ce nouveau contrat entraîne une importante course au « sponsoring » provoquant une inflation jamais vue poussant les écuries a devoir débourser jusqu’à 600 000 dollars pour acquérir un seul sponsor. En parallèle de ses activités avec McLaren, Marlboro sponsorise également d’autres écuries aux expositions moins importantes comme : BMS Dallara (1988-1992) ; Onyx (1989-1990) ; Minardi (1995-1996) et d’autres…

A partir de 1993, le cigarettier devient sponsor de la Scuderia Ferrari, dont il deviendra le sponsor officiel dès 1997. Une association réussie, qui coïncide notamment avec l’arrivée de Michael Schumacher et le retour des titres pilotes et constructeurs pour l’écurie au cheval cabré. Les années Ferrari vont marquer un tournant pour Marlboro et le groupe Philip Morris, en effet, la marque connaît une recrudescence des ventes de ses produits avec les exploits du Baron Rouge sur les circuits. Mais les changements de réglementations vont alors avoir raison du partenariat en 2011, mettant fin à 18 ans d’association, 6 titres pilotes et 8 titres constructeurs. Mais ce partenariat est apparu problématique vis à vis de la vision du créateur de la marque : Enzo Ferrari. En effet, Enzo Ferrari s’était toujours opposé à apposer des cigarettiers sur ses voitures en déclarant : « Mes voitures ne fument pas » dans une période où il était impossible de passer à côté d’une publicité en faveur du tabac lors d’une course de Formule 1.

Le développement d’autres marques…

Face à l’engouement médiatique et financier lié à la Formule 1, d’autres cigarettiers vont tenter leur chance en tant que sponsor dans la catégorie reine du sport automobile. Présente entre 1972 et 1975, Lucky Strike fait une première irruption en F1. Après plusieurs rachats, la marque revient finalement sur les circuits en 1997 lorsque British American Racing rachète l’écurie Tyrell et fait de Lucky Strike son sponsor. British American Racing est finalement rachetée par Honda en 2006.

La marque Camel a également contribué aux grandes heures de la F1. Entre 1987 et 1993, la marque américaine a sponsorisé pas moins de 6 écuries ayant vu défiler des pilotes prestigieux comme Ayrton Senna, Nigel Mansell ou Michael Schumacher.

Des marques françaises ont également tenté l’aventure. Le cigarettier Gitanes s’est notamment associé à l’écurie Ligier entre 1976 et 1995, contribuant grandement à son développement de son image. De l’autre côté, le cigarettier Gauloises, s’associe quant à lui à l’écurie Prost, fondé par le quadruple champion du monde du même nom entre 1997 et 2000.

L’évolution des cadres législatifs marquant un coup d’arrêt…

Les années 1970 marque une importante prise de conscience des dangers liés au tabac. Dans ce sens, plusieurs pays vont prendre des mesures pour interdire la promotion des marques de tabac dans les lieux publics et dans les événements sportifs. Ce changement va alors durement impacter les cigarettiers, alors sponsors de nombreuses écuries.

La première loi anti-tabac est adoptée en Italie dès 1962, mais reste largement ignorée jusque dans les années 90. Seule la police locale venait infliger sur les circuits des amendes écuries sponsorisées par des marques de tabac. En 1976, l’Allemagne de l’Ouest interdit toute publicité liée au tabac sur les courses automobile, mais cette obligation est contournée à plusieurs reprises face aux importantes retombées économiques liées aux évènements automobiles courus sur le Nürburgring.

En 1991, la France adopte la loi Evin qui interdit toute publicité pour le tabac. Cette loi fait alors vivement réagir les organisateurs du Grand Prix de France 1992, qui refusent de se plier au nouveau cadre législatif. Le Comité National contre le Tabagisme saisit le tribunal de Quimper pour faire interdire les publicités sur le tracé de Magny-Cours. TF1 est alors prévenue par le tribunal, pour chaque image diffusée mettant en avant une marque de tabac, elle sera condamnée à une amende de 500 euros. Face à l’ampleur de la mesure, le groupe TF1 refuse de diffuser la course sur ses antennes, mais accepte finalement après de longues négociations.

En 1995, le Royaume-Uni interdit par son « Fourth such voluntary agreement » l’affichage de noms ou de marques sur les voitures, pilotes et membres d’équipes susceptibles d’entrer dans le champ des caméras de télévision. Face à cette nouvelle législation, Marlboro va être le premier à trouver la parade en remplacement sa marque en toutes lettres par des bandes sur les livrées. Ainsi, lors de l’interdiction des marques de tabac en F1 en 2006, Ferrari continue d’afficher son sponsor Marlboro au travers d’un code-barres blanc qui deviendra emblématique de ses livrées entre 2007 et 2011.

Entre temps, en 1997, les ministres européens de la santé s’étaient réunis pour interdire la publicité du tabac à l’échelle européenne. Face à cela, Max Mosley alors président de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) adresse une lettre aux ministres pour leur affirmer son opposition à cette interdiction. En effet, cette interdiction n’est pas sans conséquences pour la F1, la plupart des sponsors de l’époque étant des marques de cigarettes.

Mais en 2010, le Commissaire européen pour la santé publique John Dalli, déclare que le code-barres blanc sur la Ferrari constitue une forme de publicité subliminale faisant penser aux paquets de cigarettes Marlboro. Face à ces déclarations, Ferrari appuyé par le groupe Philip Morris (propriétaire de Marlboro) répond au commissaire en précisant que « le code barre fait partie de la livrée et non d’une campagne publicitaire subliminale ».

Ces interdictions successives ne seront pas sans conséquences pour les écuries. L’interdiction de courir en arborant leurs sponsors majeurs, va entraîner une coupe importante dans les différents budgets mettant certaines équipes en difficultés financières, comme le montre le graphique ci-dessous.

Graphique montrant l’évolution des budgets des équipes de F1 sponsorisées par des marques de tabac entre 1950 et 2014 (Source : F1Metric via Franceracing.fr)

Des partenariats pas tout à fait terminés…

Si les législations successives ont entraîné une interdiction des marques de tabac sur les circuits et écuries de Formule 1, d’autres marchés se sont emparés de cette vitrine exceptionnelle. En effet, les cigarettiers se sont vus remplacés par les marques de boissons alcoolisées, ne faisant pas encore l’objet d’interdiction dans le sport automobile.

Mais en réalité, les marques de cigarettes n’ont jamais réellement disparu de la Formule 1. La première écurie à avoir été épinglé pour le maintien de son partenariat avec l’industrie du tabac n’est autre que la Scuderia Ferrari. L’écurie de Maranello renouvelle secrètement son contrat avec Marlboro en 2011, 2015 puis 2018, mais le cigarettier est forcé de dissimuler sa présence.

Mais lors de la saison 2019, Ferrari s’engage sous l’appellation « Mission Winnow Scuderia Ferrari » marquant l’apparition d’un nouveau sponsor. Mission Winnow, projet fondé sur l’innovation s’avère être un partenaire de choix pour l’écurie au cheval, sauf que le projet s’avère être à l’origine du groupe Philip Morris, propriétaire de Marlboro. Suite à ces révélations, une polémique éclate dénonçant à nouveau la publicité dissimulée faite par la présence de ce nouveau sponsor.

D’autres écuries comme McLaren ont renouvelé leurs partenariats avec des marques de tabacs, en précisant toujours que ces associations ont avant tout pour but de mettre en avant la diversité, l’inclusion ainsi que l’innovation. Ces renouvellements successifs témoignent alors de la présence toujours tangibles de l’industrie du tabac dans la catégorie rein du sport automobile.

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