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ENTRETIEN: Etienne Blanc, « La France est submergée par un tsunami blanc »

Dans ce nouvel entretien, Etienne Blanc, Sénateur LR du Rhône, revient sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. De la commission d'enquête, à une proposition transpartisane, le texte sera soumis à un ultime vote le 28 avril au Sénat et le 29 avril à l'Assemblée Nationale. Qualifiée de victoire pour le gouvernement, de liberticide pour certaines associations, le texte pourrait donner de nouveaux moyens aux forces de police et au pouvoir judiciaire.

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Etienne Blanc, sénateur du Rhône © Sénat/Sonia Kerlidou/Cécilia Lerouge
Etienne Blanc, sénateur du Rhône © Sénat/Sonia Kerlidou/Cécilia Lerouge
CSactu: Tout d’abord, pourquoi avez-vous décidé de vous emparer de ce sujet durant votre mandat ? Avez-vous été interpellé par des habitants de votre territoire, par des professionnels ? 

Etienne Blanc: Alors, moi je constate en lisant la presse que la situation s’aggrave depuis une ou deux années. Je le constate: avec les crimes, les assassinats, les tirs à la kalachnikov dans les rues. Les narcotrafiquants se tuent entre eux, mais aussi avec des dégâts collatéraux, comme à Dijon, une jeune femme qui a été tuée dans son appartement.

C’est dans ces circonstances que 2 sénateurs Les Républicains de Marseille, Stéphane le Rudulier, et Valérie Boyer, au regard de la cinquantaine de morts en 2023 à Marseille, ont demandé au président du groupe Les Républicains du Sénat, à l’époque Bruno Retailleau, de lancer une commission d’enquête. Il se trouve que puisque je suis sénateur métropolitain, le président du groupe m’a demandé de devenir rapporteur de cette commission d’enquête.

CSactu: Qu’est-ce qui vous permet d’ouvrir une commission d’enquête : un évènement spécial, ou le constat alarmant était une raison suffisante ? 

E.B: On peut ouvrir une commission d’enquête sur n’importe quel sujet, mais évidemment, il faut choisir des sujets d’importance, parce qu’on ne crée pas des commissions d’enquête à tort et à travers. Les groupes politiques ont un droit de tirage, il n’y a en a pas énormément de ces commissions d’enquête. Et le narcotrafic, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est un sujet d’importance.

Prenez l’exemple de ce qu’il s’est passé dans la nuit du 14 avril sur les prisons françaises. Si c’est le narcotrafic, mais moi c’est ce que je pense, à partir du moment où l’on s’en prend au système carcéral, il y a un certain nombre d’indices qui laissent penser que cela pourrait être les actions de narcotrafiquants. Cela prend des proportions importantes donc ça justifie parfaitement la création d’une commission d’enquête, évidemment.

CSactu: Quels ont été les résultats de cette commission d’enquête ? 

E.B: On a rédigé un rapport de 600 pages. Il est extrêmement complet. La ligne directrice c’est de dire attention, la France est aujourd’hui submergée par un tsunami blanc. On a délibérément choisi d’utiliser ces termes de submersion et de tsunami blanc.

CSactu: Les résultats de la commission d’enquête vous ont donc poussé à déposer une proposition de loi ? Sur quels processus législatif, vous êtes vous appuyé pour cette proposition de loi ? Par quels moyens avez-vous pu la mettre à l’ordre du jour ?

E.B: On a statué sur le fait qu’il y avait des lacunes. Nous avons décidé de faire face à ces lacunes en rédigeant une proposition de loi avec Jérôme Durain, sénateur socialiste. Jérôme Durain est socialiste, moi je suis LR. Il était président de la commission et moi je suis rapporteur. Il se trouve que l’on a réussi à se mettre d’accord sur un texte. Nous nous sommes donc appuyés sur le rapport de la commission d’enquête pour rédiger cette proposition de loi.

CSactu: Pourriez-vous revenir sur 3 mesures phares de cette PPL ? Et quels changements majeurs ces mesures vont-elles apporter ?

E.B: Première mesure phare pour moi, c’est le changement du statut des repentis. On s’inspire du système italien. Dans le droit avant notre réforme, un repenti qui a commis des crimes de sang ne peut pas disposer du système du repenti. Donc, on a changé profondément le système des repentis.

Deuxième réforme importante: c’est ce que l’on appelle les infiltrés civils. Vous pouvez infiltrer un régime de narcotrafic mais la sécurité juridique, c’est de le faire infiltrer par un policier. Vous comprendrez que c’est difficile, parce qu’il faut qu’il change de nom, parce qu’il faut que l’on protège sa famille… Le meilleur système, c’est d’aller voir dans le narcotrafic qui sont les points faibles qui peuvent accepter de collaborer avec la justice.

Dans l’ancien droit, c’est extrêmement difficile. Pourquoi ? Parce que la police n’est pas faite pour instrumentaliser un informateur, elle est faite pour arrêter l’infraction. Le fait de ne pas arrêter l’infraction de la laisser se perpétuer, pour ensuite sanctionner ceux qui la commettent. Juridiquement, ça pouvait être qualifié de complicité, de co-action ou même d’incitation à l’infraction. On a clarifié cette situation. Ça veut dire qu’aujourd’hui, les forces de police peuvent plus facilement rentrer dans un système de narcotrafic.

Et troisième élément important: la drogue des narcotrafics, c’est fait pour gagner de l’argent. Ce que nous avons décidé, c’est de renforcer considérablement les moyens de saisie de l’argent sale.

CSactu: Récemment, 2 députés Antoine Léaument et Ludovic Mendes ont proposé à la suite d’une mission d’information de légaliser la consommation récréative du cannabis. Cette proposition va à l’encontre du travail que vous menez. Pensez-vous que la répression soit la meilleure solution pour lutter contre le narcotrafic?

E.B: Il y a 2 choses. D’abord, notre boulot a été de travailler sur le narcotrafic, c’est-à-dire l’entreprise criminelle et comment la détruire. Alors évidemment, quand on travaille sur le sujet, à un moment on se dit que s’il n’y a pas de consommateur, il n’y a pas de drogue. Au même titre que s’il n’y a pas de recelleurs, il n’y a pas de voleurs. Mais on a dit que ça, on n’a pas été plus loin. Nous, notre sujet c’était l’entreprise de narcotrafic.

Alors ensuite, il y a ce rapport Léaument. Ce rapport ne porte pas que sur le cannabis. Ils estiment que pour moins de 3 grammes de cocaïne, on ne poursuit plus: c’est de la folie ! Quand on sait les ravages que font le cannabis ou la cocaïne, c’est de la folie que d’être permissif et d’aller vers de la légalisation. Et dernier point, la consommation crée des dégâts irréversibles aux cellules nerveuses, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a énormément de personnes qui sont en état de schizophrénie, qui ont des troubles graves à cause de leur consommation de cannabis. Donc légaliser, c’est inciter. On peut dire, oui mais on mettra peu de taux de toxicité. Non, légaliser, c’est inciter.

Et puis surtout, ça ne détruit pas l’entreprise criminelle, vous allez commercialiser, mais l’Etat il ne sait pas commercialiser de la drogue. Qui va commercialiser ? Les narcotrafiquants, ils savent faire c’est leur métier. Ils vont prendre le marché légal. C’est ce qu’il se passe en Belgique, aux Etats-Unis, en Hollande, en Allemagne, à côté du marché légal, ils vont garder le marché illégal. Ils vendent donc un produit pas chère, sans taxe, quand vous êtes dans l’illégalité vous ne payez pas de taxe. C’est comme le tabac, aujourd’hui un paquet de cigarette coûte 10 euros, dans la rue vous l’aurez pour 3 euros. En plus, pour rendre la drogue attractive, au lieu de mettre peu de taux de toxicité, on mettra des taux élevés.

En revanche, ce n’est pas pour cette raison qu’il faut s’empêcher d’accompagner les personnes qui sont addictes, et développer le système hospitalier. Je pense même qu’il faut une loi d’accompagnement, une loi nouvelle, des dispositifs nouveaux.

CSactu: Que répondez-vous aux critiques de plusieurs associations qui qualifient ce texte de liberticide? Notamment par rapport aux renforcements des possibilités de renseignements dans le cas d’une criminalité organisée.

E.B: Je leur dis: regardez ce qu’il s’est passé cette nuit dans 7 ou 8 prisons françaises. Maintenant, on tire à l’arme lourde sur les agents de la pénitentiaire. Donc, si vous pensez que aller les rechercher, rentrer dans leur téléphone, rentrer dans leur système informatique, contrôler leur communication, c’est attentatoire aux libertés: aller l’expliquer aux agents qui ont entendu siffler les balles de kalachnikov. Il faut maintenant que l’on se saisisse de ce dossier à bras le corps et que l’on traque partout les trafiquants avec tous les moyens de techniques modernes.

CSactu: La PPL a été examinée à l’Assemblée Nationale et adoptée assez largement. Alors quelle est la prochaine étape dans le processus législatif ? La version adoptée par la CMP vous convient-t-elle?

E.B: Le texte est sorti d’une commission mixte paritaire, il sera voté par l’Assemblée et le Sénat dans une version définitive. Alors, j’aurais aimé bien sûr sur toute une série de sujet que ça aille plus loin. J’aurais aimé que l’on garde par exemple le système des backdoors, c’est-à-dire la porte dérobée qui permet de rentrer dans les systèmes de communication protégés. Ils ont estimé que c’était trop attentatoire. Et puis surtout, ils ont supprimé l’injonction pour ressources exprimées, on peut le faire en matière fiscale, mais j’aurais aimé que cela se fasse en matière judiciaire. Il faudra remettre l’ouvrage sur ces sujets le moment venu.

CSactu: Enfin, pensez-vous que cette loi pourra durablement endiguer la progression du narcotrafic en France ? 

E.B: Cette loi donne des moyens supplémentaires à la police, son efficacité ce sera ceux qu’en fera l’Etat, le Ministère de l’Intérieur et le Ministère de la Justice. Je pense qu’ils ont compris le risque pour la société française, donc je pense qu’ils feront le nécessaire en tout cas, je le souhaite ardemment.

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