Conséquence indéniable du changement climatique, la montée des eaux laisse place à de nombreuses spéculations. Laurent Labeyrie, ancien chercheur pour le GIEC, nous donne les cartes pour essayer d’y voir plus clair.
CSactu : quel est le lien entre le mouvement des sols et la montée des eaux ?
Laurent Labeyrie : La surface de la Terre, ce sont des plaques qui se baladent lentement et qui se rentrent les unes dans les autres. En permanence, la bordure de ces plaques est flexible. Il faut imaginer un radeau sur lequel on marche. Si on rajoute du poids dessus, elles s’enfoncent. Si on en enlève, elle monte. En fait, ça bouge même à chaque marée, mais ça ne bouge que de quelques millimètres. Ce qui se passe, c’est que comme l’eau monte tout le long de nos côtes, ça fait plus de poids. Chaque marée est un peu plus haute. Donc, ça s’enfonce un peu plus vite.
CSactu : Justement, est-ce que le changement climatique a un impact sur tous ces mouvements ?
L.L : Déjà, le premier impact, c’est le changement climatique à l’échelle des milliers d’années. Parce que les grands mouvements à long terme, c’est lié au fait qu’il y a des moments où le poids des glaces enfonce le magma en dessous vers d’autres régions. Et maintenant, on s’aperçoit que le niveau de la mer est monté de 20 à 30 centimètres depuis le début du XXe siècle. Et ces centimètres, ça rajoute 200 à 300 kilos par mètre carré, ce qui fait que la croûte a tendance à s’enfoncer. Donc, le changement climatique joue par le fait que l’océan, quand il monte, ça appuie sur les bords du continent et les endroits qui sont les plus fragiles descendent un peu plus.
CSactu : Finalement, il va y avoir une double incidence qui va amplifier l’effet…
L.L : Absolument. La montée, elle se fait partout alors que l’affaissement, il se fait dans les endroits qui naturellement ont tendance à descendre, qui sont les plaines et toutes les zones qui sont proches de l’eau. C’est pour ça que la Hollande, par exemple, qui est un grand pays au niveau de la mer, s’enfonce plus vite.
CSactu : Cette montée des eaux et ce mouvement des sols, vont-ils aussi avoir un impact sur la biodiversité ?
L.L : Tous les champs qui sont en bordure de l’eau deviennent de plus en plus salés. Et si les dunes qui protègent la rentrée de l’eau de mer cèdent avec une tempête, ça veut dire qu’elle rentre dedans et là, ça devient vraiment un marais salé. Donc, un endroit où on pouvait mettre des vaches avant, maintenant, on ne peut plus. Sans que ce soit submergé, il y a des territoires qui ne sont plus exploitables par ces modifications. Les herbes meurent, toute la faune dans les sols meurt et toutes les bêtes qui mangent les herbes meurent aussi ou vont manger ailleurs. Comme la flore meurt, quand il y a une grosse pluie ou une tempête, ça gratte la terre et ça s’approfondit. On a un champ avec un pré-salé et on se retrouve avec une vasière.
CSactu : Ces modifications du territoire sont seulement progressives ?
L.L : Le problème avec la montée des eaux, c’est que le progressif, on ne l’aperçoit pas. C’est très dangereux de commencer à mettre des digues le long des côtes, parce que tant que la digue est là, on se croit protégé de l’autre côté. On va construire, on va aménager, et puis, petit à petit, la digue, elle est fouillée par les tempêtes, elle n’est plus stable. Comme ça coûte très cher, on ne surveille pas au détail. Puis, un beau jour, il y a une tempête, la digue cède et derrière, brusquement, on s’aperçoit qu’on est inondé. Il y a des tas de villes portuaires qui sont inondables.
CSactu : Alors quels sont les autres moyens pour lutter contre cette montée des eaux ?
L.L : Résister, c’est trompeur, ça veut dire que constamment, il faut revenir dessus et qu’il faut réaménager pour être sûr qu’à la tempête prochaine, ça tiendra. La deuxième optique qui est prônée, c’est ce qui s’appelle l’adaptation. On décide, par exemple, qu’il n’y aura pas d’électricité au rez-de-chaussée. On peut aussi mettre des volets étanches, etc. Et la troisième option, c’est le recul.
Il y a une autre partie qui va arriver, on ne sait pas quand, et ça, ça va être trois à cinq mètres en plus.
CSactu : Face au danger, peut-on prévoir la montée des eaux en chiffres ?
L.L : On sait que ça va au minimum se réchauffer de deux à trois degrés pour la fin du siècle. Je crois qu’on va plutôt se réchauffer vers quatre ou cinq degrés, parce que plus ça va, plus on consomme d’énergie. En France, on va tout préparer pour être capable de s’adapter à un réchauffement de quatre degrés sur le territoire. L’enjeu, c’est que plus on chauffe plus il y a des catastrophes. On sait que ça va chauffer pendant au moins trois mois au-delà de 0°C en surface des calottes glaciaires. Donc, pendant ce temps, elles vont fondre en surface et on peut calculer combien de temps ça met.
En revanche, ce qu’on connaît beaucoup moins, c’est que tous ces glaciers en Antarctique, ils sont sur un terrain qui n’est pas plat et dès qu’on chauffe en surface, il y a de l’eau qui coule dans les crevasses et qui vient aider la base à fondre. On n’a pas assez de connaissances, pour savoir à quelle vitesse fond la base et on ne peut pas le prévoir. Ce qu’on sait prévoir, c’est que ça montera de 60 à 80 centimètres en fin de siècle pour trois degrés avec une incertitude de l’ordre de vingt centimètres. Mais il y a une autre partie qui va arriver, on ne sait pas quand, et ça, ça va être trois à cinq mètres. À cette hauteur-là, toutes nos villes portuaires et côtières, comme Bordeaux, sont condamnées.
CSactu : Avec ce scénario, quelles sont les réactions des élus ?
L.L : En France, la grande politique, c’est ne pas faire peur. Pour ne pas faire peur, il est mieux de se cacher les yeux. En revanche, il y a quand même des élus locaux qui essaient de regarder. Pour vous donner un exemple, en Normandie, il y avait un grand schéma pour construire en arrière du port à Caen, Rouen, au Havre, etc. Les scientifiques ont essayé de dire « Mais attention, vous êtes fous. Peut-être qu’à peine vous aurez fini vos constructions, dans vingt ans, il y aura une tempête. Vous aurez un mètre d’eau dans tous les bâtiments. Comment vous gérez les déplacements, les secours pour l’hôpital, etc. ? »
Du coup, ils ont interdit de construire. Il y a des endroits où, cependant, ils refusent de regarder ces problèmes-là. Ils restent avec les règles du jeu qui ont été fixées par le gouvernement en 2011. On va essayer de dire qu’au minimum ça va monter à 60 centimètres. Donc on ne construit pas en dessous de 60 centimètres au-dessus des hautes mers.
CSactu : Vous pensez que les pouvoirs publics ne sont pas prêts à s’adapter ?
L.L : Le pouvoir public est quand même sous la pression des scientifiques. On a sorti ce schéma pour une France à plus de quatre degrés, il y a quelques mois, et quand vous regardez les textes, vous ne voyez rien sur le niveau de la mer. Donc, actuellement, ils sont en train de décider à quel niveau on va fixer. Il y a des scientifiques qui préconisent plus de 80 centimètres par rapport à maintenant, pour être plus tranquille. Mais pour les gens des villes, c’est la panique, puisqu’on ne va plus pouvoir construire près des côtes.
CSactu : Face à ce mutisme des pouvoirs publics, comment on implique les citoyens dans cette adaptation ?
L.L : La grande discussion actuellement, c’est à quel niveau on fixe les choix. Est-ce qu’on est prudent ou pas et on dit aux gens : adaptez-vous, prenez vos risques. Mais l’ennui, c’est que d’ici peu, on n’arrivera plus à payer les dégâts du changement climatique, les assurances commencent à le dire.
CSactu : Les citoyens peuvent-ils s’appuyer sur les cartes de prévisions qui circulent ?
L.L : Un certain nombre de cartes sont simplement là pour inquiéter gratuitement. Typiquement, la carte qui montre si toutes les glaces fondaient, avec 70 ou 80 mètres en plus. C’est un non-sens parce que ça va prendre 1000 ans ou plus, donc ça ne correspond à rien. La vie sera tellement différente à ce moment-là. Les cartes importantes, ce sont celles d’un ou deux mètres, où l’on sait que ça va arriver.