Ce drame, loin d’être un accident isolé, révèle les conséquences tragiques de décennies de désengagement
politique, de pénuries chroniques de financement et d’abandon institutionnel. Le Tchad, pays sahélien au cœur d’un continent tiraillé entre défis sécuritaires, climatiques et économiques, voit ainsi ses promesses d’avenir s’éroder sous le poids de l’indifférence.
Une matinée qui tourne au cauchemar
Le 3 avril, il était un peu plus de dix heures du matin lorsqu’un fracas brutal a déchiré le calme d’une cour d’école poussiéreuse, dans un village du Moyen-Chari. Des cris d’enfants, d’abord étouffés par les décombres, ont laissé place à une panique sourde, à une détresse collective que nul ne pourra oublier. Le toit en tôle ondulée, soutenu par des piliers de fortune, s’est écroulé sans avertissement sur une salle de classe bondée. Huit enfants sont morts sur le coup, quinze ont été blessés ; certains grièvement. Les secours, rudimentaires, sont arrivés tard, armés de pelles et de mains nues. Il n’y avait ni ambulance, ni poste de
santé à proximité, et les familles ont dû improviser, encore une fois, dans un environnement qui ne leur offre aucune garantie de survie. Ce n’est pas une tragédie naturelle, c’est une tragédie politique.
Une infrastructure en ruine
Ce drame est loin d’être un cas isolé. Il s’inscrit dans une réalité bien plus vaste, celle d’un pays où, selon les données de l’UNESCO et de l’UNICEF, plus de la moitié des établissements scolaires sont construits avec des matériaux précaires : murs en banco (terre crue), toitures de fortune, parfois des abris de paille. À travers les régions rurales du Tchad, les « écoles » ne sont souvent que des abris temporaires dressés sur la volonté des communautés locales, laissées seules face à l’inaction de l’État. Lorsqu’une pluie tropicale s’abat ou que les vents du désert soufflent, ces structures cèdent, mettant en péril non seulement la scolarité, mais la vie même des enfants. Et comment ne pas y voir une double peine, quand dans ces mêmes bâtiments délabrés, il n’y a ni latrines, ni eau potable, ni électricité, et encore moins de tables et de chaises dignes de ce nom ?
Une école sans avenir pour des enfants sans droits
L’effondrement du toit le 3 avril est aussi l’effondrement d’un rêve pour des centaines de familles qui, malgré tout, envoient leurs enfants à l’école avec l’espoir de leur offrir un avenir différent. Pourtant, les chiffres sont impitoyables : au Tchad, à peine 37 % des enfants sont inscrits en école primaire, et moins de 10 % atteignent le secondaire. Dans certaines régions, les écoles n’ouvrent qu’à la saison sèche, et encore, lorsque les enseignants ne sont pas absents faute de salaire ou parce qu’ils cumulent plusieurs emplois pour survivre. L’école publique, censée être le socle d’un avenir égalitaire, est devenue un luxe pour les plus pauvres, une loterie où seuls les plus chanceux, ou les plus proches des centres urbains, peuvent entrevoir un chemin vers la réussite.
Une éducation sans moyens, un savoir sans maître
La qualité de l’enseignement, elle aussi, est en chute libre. Les manuels sont rares, souvent partagés à trois ou quatre par élève ; les enseignants, eux, ne sont pas formés ou très peu. Selon l’UNICEF, 94 % des enfants tchadiens ne maîtrisent pas les compétences de base en lecture et en mathématiques. Il ne s’agit donc pas simplement d’un problème d’infrastructures, mais d’un effondrement systémique de la chaîne éducative. À cela s’ajoute la marginalisation croissante des filles, pour qui l’école représente une exception : à peine une sur quatre termine le cycle primaire, et beaucoup sont contraintes de quitter l’école prématurément à cause des mariages précoces, des grossesses non désirées ou de l’absence de conditions sanitaires minimales. L’école est censée émanciper. Ici, elle blesse, elle abandonne, et parfois même elle tue.
Le silence des institutions et le poids de l’abandon
Face à cette situation, la réponse institutionnelle reste timide, dispersée, souvent réduite à des effets d’annonce. Des plans d’urgence sont régulièrement adoptés, mais rarement financés. Les bailleurs internationaux dénoncent un manque de transparence dans la gestion des budgets publics, tandis que l’État invoque, année après année, les crises sécuritaires, les déficits budgétaires, ou les urgences sanitaires comme obstacles à la réforme. Pendant ce temps, ce sont les communautés qui pallient, à bout de souffle, les défaillances d’un système en ruine. Des comités de parents d’élèves construisent eux-mêmes les salles de classe. Des élèves, parfois adolescents, font office d’enseignants improvisés. Ce n’est pas un système éducatif : c’est une survivance.
Réparer l’école, rebâtir l’espoir
Il est pourtant encore temps de redresser la trajectoire. Les solutions existent, connues,
répertoriées, et même expérimentées avec succès dans des contextes comparables. Le Tchad a
besoin d’un plan de reconstruction éducative d’urgence, mobilisant à la fois des moyens
nationaux et une solidarité internationale forte, dépolitisée, inscrite dans la durée. Il faut
construire des écoles solides, équiper les salles de classe, former massivement les
enseignants, instaurer un suivi rigoureux des élèves et soutenir les familles les plus
vulnérables. Il faut que l’école redevienne un lieu de promesse, pas de péril.
L’appel silencieux des enfants ensevelis
Mais surtout, il faut replacer l’éducation au centre du projet national. Car aucun développement durable, aucune paix, aucune stabilité ne saurait naître sur les décombres d’un système éducatif à l’agonie. Le 3 avril 2025, ce ne sont pas que des murs qui sont tombés. Ce sont des vies qui ont été fauchées. Ce sont des espoirs qui se sont effondrés. Ce sont des enfants que nous avons abandonnés. Et tant que l’on considérera ces drames comme des faits divers et non comme des appels à une révolution éducative, d’autres toits tomberont. D’autres classes seront ensevelies. Et l’avenir d’un pays tout entier restera pris sous les gravats.