Un silence aujourd’hui brisé
Depuis les années 1950, les plaintes d’enfants et d’adolescents scolarisés dans l’établissement privé catholique de Bétharram ont été ignorées ou minimisées. La parole des victimes, souvent jeunes, n’avait que peu de poids face à l’autorité religieuse et éducative du personnel. La peur et la pression sociale empêchaient toute forme de contestation. Le personnel accusé se faisait souvent transférer dans d’autres établissements ou à l’étranger sans réels sanctions.
Cette stratégie du silence a perduré pendant des décennies. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que les premiers témoignages commencent à émerger de manière plus visible, portés par un contexte social de plus en plus sensible aux violences sexuelles. Mais il faudra attendre les années 2010 pour que ces paroles soient réellement entendues, relayées par les médias, prises en charge par la justice, et surtout, reconnues comme des récits de victimes légitimes, longtemps invisibles
L’affaire d’un point de vue juridique ?
Le scandale de Bétharram a donné lieu à la réception de 112 plaintes déposées pour des faits s’étalant des années 1950 aux années 2000. Ces témoignages, longtemps tus ou ignorés, dénoncent une série d’abus sexuels, de violences psychologiques et physiques perpétrés au sein de l’établissement par des membres du personnel religieux.
Face à l’ampleur des révélations, le parquet de Pau a ouvert une enquête en janvier 2024, à la suite d’une vingtaine de plaintes récentes émanant d’anciens élèves. Ces derniers affirment avoir subi des agressions, des viols ou des violences entre les années 1970 et 1990. L’objectif de l’enquête est non seulement d’identifier les auteurs encore vivants, mais aussi de faire la lumière sur les mécanismes de dissimulation mis en place pendant des décennies.
Et aujourd’hui ?
Face à l’ampleur des révélations et à l’émotion suscitée par les témoignages, la congrégation des Pères de Bétharram affirme avoir pris conscience de la gravité des faits et des souffrances causées. Dans ses prises de parole publiques, elle dit avoir tiré les leçons de son passé, et reconnaît, avec retard, les manquements graves en matière de protection des mineurs et de responsabilité morale. Cette reconnaissance, bien que tardive, marque un tournant dans l’attitude officielle de l’institution.
Aujourd’hui, la congrégation affirme vouloir collaborer pleinement avec la justice et se dit disposée à accompagner les victimes dans leur processus de réparation. Des mesures ont été annoncées, telles que la mise en place de cellules d’écoute, des démarches de transparence internes, ainsi qu’un engagement à soutenir les enquêtes en cours. Reste à savoir si ces engagements s’inscriront dans une démarche durable et sincère, ou s’ils resteront des réponses symboliques à une crise majeure de confiance.
François Bayrou complice ?
Interpellé sur l’affaire de Bétharram, François Bayrou, actuellement Premier ministre, Maire de Pau et ancien Ministre de l’Éducation nationale, a affirmé ne pas avoir eu connaissance des abus sexuels survenus dans l’établissement. Il a reconnu avoir été informé uniquement de violences physiques, comme des châtiments corporels, mais sans jamais avoir eu accès à la pleine mesure des faits ni aux témoignages relatifs aux agressions sexuelles. Cette position a suscité des critiques, certains l’accusant de minimiser l’ampleur des abus.
La controverse a pris une dimension plus personnelle avec l’annonce de la parution prochaine d’un livre-témoignage de sa fille aînée, Hélène Bayrou. Intitulé Le Silence de Bétharram, cet ouvrage, coécrit avec Alain Esquerre, porte-parole du collectif des victimes, et la journaliste Clémence Badault, est prévu pour le 24 avril. Il promet d’apporter un éclairage personnel sur le climat qui régnait à Bétharram à l’époque, et pourrait confronter publiquement les silences, les non-dits, ou les hésitations des figures locales, y compris celles du monde politique.
Des réactions diverses
La ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, a reconnu que « l’État n’a pas été au rendez-vous » dans cette affaire, regrettant que les autorités n’aient pas agi plus tôt face aux violences commises à l’école Notre-Dame de Bétharram. Elle souhaite également que la parole des victimes soit libérée et que le contrôle des établissements privés sous contrat soit renforcé.
Marc Fesneau, président du groupe MoDem à l’Assemblée nationale, a qualifié de « polémique répugnante » les accusations selon lesquelles François Bayrou aurait couvert les faits lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale. Le député déplore la politisation de l’affaire et souligne le fait que selon lui les victimes ne cherchent que la justice.
Françoise Gullung, ancienne enseignante à Bétharram, a déclaré avoir alerté François Bayrou à plusieurs reprises dans les années 1990 sur des cas de maltraitance. Elle affirme que ni lui ni son épouse, également impliquée dans l’établissement, n’ont pris de mesures pour protéger les élèves. De nombreux députés de gauche, eux, accusent le premier ministre de se contredire sur ses déclarations concernant le scandale. La plupart l’accusent d’avoir eu connaissance de tout ce qui se passait sans n’avoir rien déclaré.
Cette affaire, longtemps passée sous le silence, est un symbole puissant des abus se passant dans certaines institutions éducatives.