Pouvez-vous présenter votre discipline ?
Louise : Le BMX Flat est une discipline du BMX Freestyle qui se pratique sur un sol plat. Le but est de faire des figures autour du vélo et avec le vélo sans toucher le sol avec le pied.
Jeanne : Les critères de notation en compétition incluent la technique, le style, l’originalité et la polyvalence des figures.
Comment avez-vous commencé à pratiquer le BMX Flat ?
Louise : Notre papa faisait du BMX Race. Un jour, il m’a emmené avec lui à une compétition de Race à Caen. À côté, il y avait une démonstration de BMX Flat. Je suis tombée amoureuse de ce sport et j’ai dit : « Papa, je veux faire ça ». Il m’a promis que si j’aimais toujours quand on reviendrait à Caen l’année suivante, il m’achèterait un bon vélo. J’y suis retournée, j’ai adoré et il m’en a acheté un. C’est comme ça que j’ai commencé le BMX Flat il y a 6 ans.
Jeanne: Honnêtement, je ne voulais pas du tout faire du BMX Flat. J’ai commencé par le skate. On me disait tout le temps : « Tu serais plus forte au BMX Flat ». J’ai accompagné Louise à une compétition. J’ai trouvé l’ambiance vraiment cool. Il y avait beaucoup d’aide et de gentillesse. J’ai donc commencé la discipline un an après Louise.
Pouvez-vous nous raconter le déroulement d’une saison, entre les compétitions, les entraînements mais aussi vos études ?
Louise : Il y a davantage de compétitions en été. L’hiver, c’est plus « chill ». On s’entraîne ou plutôt on essaie de s’entraîner, car il pleut tout le temps. Le but de l’hiver est de trouver de nouveaux tricks (NDLR : tricks signifie figure) que l’on puisse montrer l’été en compète. En même temps, on fait une licence STAPS à Rennes (Ille-et-Vilaine, Bretagne) toutes les deux. On est souvent absentes en cours depuis le lycée. En 2022, par exemple, j’étais en terminale. Je suis partie deux semaines au Japon et j’ai du rattraper tous les cours. C’est compliqué, il faut équilibrer le temps entre étudier et progresser sur le bike.
Vous entraînez-vous tout le temps ensemble ?
J et L : On n’a pas d’entraîneur, on s’entraîne en autonomie. Quand on est motivées toutes les deux, on roule ensemble. On a aussi une grande sœur qui fait de la compétition en amateur. Quand elle peut, elle roule avec nous et avec son mari ridé également.

Est-ce que vous arrivez parfois à rouler avec les autres riders français, même avec les hommes de l’équipe de France ?
Jeanne : Ils sont beaucoup basés dans le Sud donc c’est compliqué. On ne voit presque pas d’autres riders dans notre région bretonne.
Souhaitez-vous continuer sur votre modèle d’entraînement actuel à rider en famille sans coachs ou envisagez vous d’avoir un encadrement plus conventionnel dans le futur ?
Jeanne : Aujourd’hui, notre esprit est cool. Mais si on compare aux autres riders qui ont des coachs, ils progressent très vite. Donc je pense que je vais bouger dans le Sud et avoir un coach, ça aide vraiment.
Louise : Je trouve qu’à un certain niveau tu n’as plus forcément besoin de coach. Tu sais les erreurs que tu fais. Par contre, un coach est nécessaire à la motivation et le mental pour qu’il puisse te pousser. Il peut donner des petits conseils aussi, mais tu peux les trouver par toi-même.
Jeanne : Ça prendra quand même plus de temps…
Comment prépare-t-on une compétition ?
Jeanne : Je vais m’entraîner un mois à l’avance sur mon run de compète. On répète les figures pour le run qui dure 2 minutes 30. Mais si on s’entraînait seulement sur nos runs de compétition ça serait chiant (sic) et on perdrait du temps pour progresser en dehors. C’est pour ça qu’on apprend aussi de nouvelles figures.
Louise : Sur un entraînement de 4 heures par exemple, on essaie de faire 2h d’apprentissage de nouveaux tricks et 2h de répétitions de nos runs.
Avez-vous des runs préétablis pour chaque compétition ou essayez vous de varier l’enchaînement de vos figures ?
J et L : En général, on a le même run pendant une saison. Nous, on stress trop (rires) et donc on le modifie très souvent. C’est à dire qu’au début du run, on voit si l’on se sent bien et si l’on arrive à rentrer notre première figure. En fonction, on va modifier ou pas le run qu’on avait établi. On regarde aussi les autres concurrents avant. S’ils se foirent (sic), on va tenter des tricks plus faciles pour éviter de tomber. Mais ce n’est pas bien ce qu’on fait ! La semaine dernière, le coach avec qui on travaillait et ses élèves ne changent jamais leur run. Par contre, entre les saisons, les juges s’attendent à de la nouveauté, à de nouvelles figures.
Vous avez une façon de faire particulière mais ça marche quand même ! Quelle est votre figure favorite, celle que vous maîtrisez le mieux ?
Jeanne : Moi c’est le elbow glide. C’est une figure où le rider est sur le côté du vélo. Il a un pied sur un des piquets avant. Le rider pousse alors le guidon vers l’avant pour soulever l’arrière du BMX et attrape la selle sous le coude. Le but du tricks est de rouler ainsi sur la roue avant.
Louise : Ma figure préférée est le mc circle. On est sur le côté du vélo et les deux mains sur le guidon. On tourne pour se retrouver devant le vélo. Le but est de scuffer, c’est-à-dire frotter le pneu avec notre pied pour que le cadre se lève et qu’on puisse faire une toupie. Cette figure, si tu la maîtrises, tu peux la tenir pendant 10 minutes.
Jeanne : En Flat tu réussis une figure une fois sur cent ! T’es très content quand tu la rentres, mais quand tu la réessaies juste après, tu te foires.

Quelles sont les grandes échéances de 2025 ?
L et J : Il y a le FISE à Montpellier le 28 mai (Coupe du Monde de l’UCI). Pour l’instant, il y en a d’autres programmées à Vigo en Espagne et à Lyon en avril. Sinon on n’est pas encore trop au courant des compètes à venir.
Vous arrivez à trouver beaucoup de compétitions en France ?
Louise : C’est vrai qu’en France, c’est assez compliqué. L’année dernière, on n’en a pas fait énormément. Heureusement, on bouge au Japon. Là-bas, il y a beaucoup de compètes auxquelles on est souvent invitées, ce qui nous permet de ne pas avoir tous les frais a payer.
Quelles sensations ça fait de partager sa passion avec sa sœur, de partager des podiums aussi comme en 2023 sur les championnats d’Europe ? Est-ce que c’est difficile d’être en compétition avec sa sœur ou c’est un plus ?
Jeanne : C’est plutôt un jeu, je m’amuse trop. Pour nous, c’est l’entraide qui compte et on s’encourage vraiment.
Louise : Je ne suis pas en mode compétition contre ma sœur. En fait, je n’ai jamais vraiment été en mode compétition même avec les autres rideuses. Mais personnellement, si l’on parle des championnats d’Europe, c’est vrai que j’ai eu ma place un peu mauvaise (rires). Par contre, j’étais vraiment contente pour ma sœur et j’étais heureuse que l’on soit toutes les deux sur le podium. Je pensais : « Trop stylé, deux sœurs jumelles première et deuxième ». Je l’ai mal digérée, mais ce n’était pas méchant envers elle, elle méritait complètement sa place.

Le BMX Flat est une discipline sous-médiatisée. La comparaison au BMX Race qui a explosé aux yeux du grand public cet été avec le triplé français sur les JO est signifiante. Est ce que vous espérez que le Flat ait la même destinée ?
J et L : Oui, on a très envie que le Flat explose et que le sport se fasse connaître. À chaque fois que l’on croise des gens quand on s’entraîne, ils disent : « C’est quoi votre BMX ? » (rires)
Jeanne : Grâce aux JO, il y a eu beaucoup de shows et de démonstrations de BMX Flat à Paris. J’en ai fait pendant trois jours avec un rider professionnel. Donc on a un peu progressé dans la médiatisation du sport, mais pas pour les femmes par contre….
Louise : Le Flat devait être au JO de Paris, mais ils ont hésité avec le breakdance. Comme on est très peu de femmes à faire du Flat, ils ont choisi le breakdance. Pour Los Angeles ça devrait être au programme, mais on n’est pas encore sûr.
Comment vous organisez vous pour pouvoir financer votre pratique du Flat qui demande du matériel, mais aussi des déplacements ?
Jeanne : Si l’on n’est pas invité sur les compétitions, c’est nous qui payons tout de notre poche. Il y a des marques de BMX Flat avec qui c’est assez facile d’être sponsorisé. Sinon, c’est quasiment impossible.
Louise : C’est simple. Toi (Jeanne) t’es sponsorisée ; pas moi. Quand on est sponsorisée comme Jeanne, les pièces de vélo par exemple sont gratuites. Pour moi, non, j’ai tous les frais à ma charge.
Vous n’avez pas de soutien de la fédération française de cyclisme ?
J et L : (Rires) Non, pas du tout. Rien. L’équipe de France non plus d’ailleurs. Au Japon, le sport est carrément plus connu et structuré. C’est pour ça que les Japonais sont super forts, qu’ils gagnent les compètes et qu’il y a beaucoup plus de filles qui en font. En France, il y a beaucoup de petits qui commencent le BMX mais qui arrêtent rapidement, car ils se rendent compte que c’est trop dur.
Le fait que le sport soit encore « underground » renforce-t-il encore plus le lien entre les athlètes, entre les staffs ?
J et L : Oui. Tous les riders qui évoluent en France, on les connaît. C’est comme une famille, c’est notre deuxième famille. On s’entend trop bien, on rigole tout le temps quand il y a des compétitions. On partage la même passion et comme on est très peu, on devient une petite communauté.
Même au-delà des frontières, il semble y avoir une bonne ambiance entre tous les riders quand on regarde les compétitions…
Louise : Exactement, c’est tellement une galère qu’on se dit tous : « Ah ouais, lui il a trop bien bossé ». À chaque fois qu’un rider rentre une nouvelle figure, on est trop content pour lui.
Jeanne : Puis, chacun a son style. Tu ne vois jamais les mêmes runs en compétition. C’est trop beau.
Louise : Les Européens et même les Japonais, on se connaît bien, c’est vraiment une bonne ambiance. Tout le monde est gentil.
Vous parlez un peu japonais maintenant ?
Jeanne : Moi, oui, c’est un peu compliqué, mais je me débrouille !

Est-ce que vous envisagez de continuer dans le Flat encore longtemps et d’en vivre malgré que ce soit une « galère » ?
Jeanne : C’est vraiment un rêve de pouvoir vivre du BMX. Il faut de gros sponsors et c’est compliqué de les avoir.
Louise : On veut vivre de notre passion, un peu comme Mathias Dandois (rider français 10 fois champion du monde). Si notre futur dans le BMX ne marche pas, on aura quand même fait des études pour pouvoir travailler, c’est très important.
Quels sont vos objectifs pour 2025 ?
Jeanne : Mon objectif au FISE de Montpellier serait d’aller en finale, car il y a beaucoup de niveau cette année ( NDLR : la finale s’est déroulée pour la première fois à 8 rideuses l’année dernière).
Louise : Pareil pour moi et pourquoi pas viser plus haut, le podium par exemple !
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter d’autres pour l’avenir ?
Louise : Continuer de rouler et si l’on pouvait avoir un spot à l’abri de la pluie pour s’entraîner en Bretagne ça serait pas mal !