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ENTRETIEN : Nicolas Thierry, 2 ans de combat pour interdire les polluants éternels

Nicolas Thierry est député de la 2ème circonscription de la Gironde. Membre du Groupe Ecologiste et Social à l'Assemblée Nationale, il était le rapporteur de la loi sur les polluants éternels. Dans cet entretien, il nous explique le parcours de cette loi, de l'idée à la bataille législative. Retour sur le travail derrière la première loi mondiale réduisant l'utilisation des PFAS.

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Nicolas Thierry, lors des débats sur la loi visant à protéger les citoyens des PFAS. © Assemblée Nationale
Nicolas Thierry, lors des débats sur la loi visant à protéger les citoyens des PFAS. © Assemblée Nationale
Pour revenir sur les débuts, quand avez-vous entendu parler pour la première fois du scandale des PFAS. Pourquoi avez-vous décidé d’en faire votre combat ? 

J’ai été élu à l’été 2022 et j’avais l’habitude depuis toujours de travailler avec la communauté scientifique, grâce à mon premier mandat de 2016 à 2021 en tant que Vice-Président de la Région Nouvelle-Aquitaine chargé de l’environnement. Quand je suis devenu député, j’ai gardé cette habitude.

Fin 2022, début 2023, un scientifique, Jérôme Santolini, m’a alerté le premier sur le sujet en disant qu’il y avait un scandale sanitaire aux Etats-Unis depuis 25 ans qui générait des dizaines de milliers de procès et que la France était tout aussi concernée. Donc, avec mon équipe pendant plusieurs mois, on a travaillé sur toute la littérature scientifique disponible. On a constaté le gouffre entre la gravité de la situation et l’impunité dont bénéficient les industriels.

C’est comme ça que j’ai commencé à m’y intéresser, je le fais toujours sur mes sujets. Je ne m’éparpille pas. Quand je prends un sujet, je ne fais plus que ça et j’essaye de le mener jusqu’au bout. Et, j’ai fait ça pendant 2 ans et demi.

Quels ont été vos alliés dans cette bataille ? 

C’est une question importante, parce que c’est une victoire collective. La clé de la réussite, c’est vraiment parce que on a mis en place une coalition qui a objectivement très bien fonctionné, entre les scientifiques, des ONG (Générations Futures, Notre affaire à tous, UFC que Choisir, La ligue contre le cancer), des journalistes d’investigation qui ont centralisé un certain nombre de données sur lesquels on s’est appuyé, et des activistes comme Camille Etienne. Cette coalition a fonctionné parce que on s’est parfaitement réparti les rôles, on a fait tout ce que l’on savait bien faire.

J’aurais aimé qu’on parle aussi du Forever Pollution Project. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce que cette initiative a permis pour la lutte contre les PFAS, et surtout en quoi les journalistes et scientifiques ont été des alliés de taille dans le processus législatif ?

Le Forever Project, c’est Stéphane Horel, la journaliste du Monde, qui a mené un travail dès 2023. Puis, il y a eu une nouvelle publication en 2025. L’idée était de mettre en avant le suivi des PFAS et montrer une cartographie de tous les sites de pollution que l’on trouve en France et en Europe. C’est un consortium d’une cinquantaine de journalistes. Il y a eu un vrai travail entre les journalistes et les scientifiques pour à la fois que les journalistes soient capables d’analyser les résultats de mettre des mots sur la gravité de la pollution et également de mettre des protocoles de test.

Stéphane Horel a fait son job de journaliste de manière très neutre mais elle nous a fait bénéficier de toutes les données qu’elle avait pu recueillir dans le cadre de projet. Cela nous a permis d’avancer et d’être nourri par beaucoup d’informations scientifiques.

En France, il faut parler de Stéphane Horel, d’Emilie Rosso. Elle a eu un rôle très important, elle a travaillé pour France 3 Rhône Alpes. C’est une des premières qui a mené des enquêtes sur toute la Vallée de la Chimie, elle a été nominée pour le prix Albert Londres. Elle a ensuite réalisé le Complément d’enquête sur les PFAS.

Du côté de votre groupe parlementaire, on a vu la détermination à faire voter cette loi. Pourquoi ce combat vous paraissait prioritaire ?

J’ai envie d’ajouter aussi au Sénat ! Le groupe écologiste a fait aussi le choix au Sénat de le mettre en premier dans sa niche. Quand on parle d’une niche parlementaire, c’est une journée par an, où de neuf heures à minuit, vous avez le choix de l’ordre du jour à l’Assemblée Nationale. Chaque député du groupe arrive avec des textes, tous extrêmement important : sur la petite enfance, l’isolation du bâtiment, le climat. Les choix sont très compliqués à faire. Dans le cadre d’une niche parlementaire, il faut avoir conscience que si vous n’êtes pas dans les trois premiers textes, vous n’avez aucune chance, et encore trois c’est périlleux. Vous avez la certitude que votre texte ne sera pas mis au vote.

Je reviens à la stratégie qu’on a mis en place avec mon équipe et la coalition. Dès 2023, on a écrit une proposition de loi avec les scientifiques, qui n’est pas celle qui a été votée parce qu’elle a été affaiblie par le processus parlementaire. La première chose que l’on s’est dit, c’est que si on attaquait directement un processus de travail parlementaire en essayant de travailler en commission : on n’avait quasiment aucune chance. En 2023, le sujet était inconnu, c’était technique…

Donc, la première année, on fait le choix de se concentrer sur : comment porter le sujet dans le débat public et sortir le sujet des murs de l’Assemblée. Les collègues du groupe n’avaient jamais entendu parler des PFAS. On a fait une première opération en ciblant les grandes rédactions nationales, les grands médias parisiens. On a donc commencé par une opération de communication où on a testé les cheveux des députés du groupe. En conférence de presse, on a dévoilé les résultats des tests, on s’était aussi tatoué en montrant tous les symboles toxiques. Donc, c’était en juin 2023, on a fait une quarantaine de médias en 24h. On avait associé les collègues puisqu’ils avaient prêté leur cheveux. Ils ont vu aussi que l’opération à l’Assemblée nationale avait bien fonctionné. Ils ont vu qu’il y avait une attente citoyenne, médiatique.

L’été est passé, et là, on s’est dit maintenant qu’on a réussi à sensibiliser les médias nationaux : il faut aller à la rencontre des territoires, à la rencontre de la presse quotidienne régionale. En même temps, il y avait un enjeu puisque la niche arrivait en avril 2024. Il fallait à la fois porter le sujet dans le débat public et réussir à ce que le texte soit un des deux premiers textes de la niche. On a mis un dispositif qui a été assez efficace. On est parti faire un tour de France pendant plusieurs mois, où on faisait toujours le même format. Je proposais à mes collègues, députés du groupe, de faire un appel à des citoyens volontaires pour qu’ils traitent leurs cheveux. Une quinzaine de citoyens volontaires venaient tester leur cheveux, je venais pour la journée dans la circonscription, on délivrait les résultats à la presse et le soir on faisait un débat cinéma autour du film Dark Water. Quand on est arrivé quelques mois avant le mois d’avril sur le choix de la niche, quasiment tous mes collègues avaient testé les cheveux des citoyens, ils avaient pris la parole dans la presse sur le sujet. Mes collègues ont tous voté pour le texte et il s’est retrouvé numéro 1

Kévin Mayer, champion de décathlon, prête ses cheveux pour connaître sa contamination aux PFAS. © Nicolas Thierry

Le texte a été adopté en étant abîmé notamment en première lecture, les ustensiles de cuisine ont été enlevés, suite à un lobby assez grossier du groupe SEB. On a perdu à une dizaine de voix mais le reste a été adopté. On s’est retrouvé en première lecture au Sénat, il se trouve que le groupe écologiste au Sénat avait sa niche fin mai par hasard. Les sénateurs écologistes ont eux aussi compris l’importance du sujet et ont inscrit dans leur niche le texte en premier. Le texte est passé au Sénat mais modifié. Comme le texte a été modifié, il fallait qu’il revienne à l’Assemblée Nationale, car le texte, pour être adopté, doit être adopté de manière conforme dans les 2 chambres. Il fallait un dernier retour en espérant que les députés ne le modifient pas.

La dissolution est arrivée. Après, j’ai assuré ma réélection. On s’est retrouvé en septembre 2024, on a refait une opération de médiatisation et le groupe a décidé de réinscrire une dernière fois le texte lors de la niche il y a quelques semaines. On a réussi à arracher l’adoption définitive. L’enjeu c’était moins l’adoption, on savait que la pression citoyenne serait tellement forte que les députés ne pourraient pas aller voter contre une sujet de santé publique comme celui là. Par contre, il suffisait qu’un amendement soit adopté pour que le texte soit modifié et qu’il faille repasser par le Sénat. Et là, je n’aurais pas eu les moyens et le poids politique. Donc, le principal risque c’était d’écarter tous les amendements, on a réussi à le faire et le texte a été adopté après 2 ans et demi de travail.

Pour revenir sur les lobbys, le Forever Pollution Project a fait un lourd travail de fact checking avec les arguments avancés par les lobbys. Alors en France, à quels types de lobbies avez-vous été confrontés et par quels moyens ont -ils réussi à imposer leur vision au sein de l’Assemblée nationale ?

Le plus visible, on l’a tous vu, c’était le groupe SEB. Pourquoi ont-ils fait un lobby de cette envergure? En première lecture, ils étaient concernés par les ustensiles de cuisine, ils ont continué en deuxième lecture même s’ils n’étaient plus concernés. Ils se sont dit que si les PFAS étaient interdits dans les cosmétiques et les textiles, ils auraient du mal à justifier qu’il n’y avait pas de problème dans les ustensiles de cuisine en contact avec les aliments. De manière générale, le consortium France Chimie, qui représente l’ensemble de la filière chimie en France, s’est mis en retrait parce que le groupe SEB a fait le boulot pour eux. Le groupe SEB est devenu un peu le porte parole des polluants éternels en France. 

Le film Dark Water raconte l’histoire vraie d’un avocat qui se bat contre les PFAS aux Etats-Unis. Dès le début de mon combat, j’ai contacté cet avocat. Il m’a tout de suite parlé de deux arguments auxquels j’allais devoir faire face. Le premier c’est que vous n’êtes jamais au bon échelon pour agir. Moi dès que j’ai attaqué le sujet, on m’a dit surtout que la France ne devait rien faire, c’était l’Europe qui devait agir. Cela vous permet d’enliser le sujet. Ensuite, le deuxième argument, les PFAS c’est une famille de molécule avec 120 000 substances différentes. Les lobbies vont nous dire : “oui mais il faut tester molécule par molécule, elles ne sont pas toutes dangereuses”; « Il ne faut pas interdire la famille mais il faut aller voir les 12 000 un par un ». En gros, dans 250 ans, on y est encore !

Bingo ! Ça a été précisément les arguments qui ont été sortis par les lobbies, relayés par certains députés dont les députés du RN. Et après, l’éternel chantage à l’emploi. “La santé publique c’est bien, mais là on va perdre des emplois”. Il y a toujours ce chantage qui est souvent exagéré et souvent très peu justifié. Donc pas le bon échelon pour agir, stratégies du doute scientifique, et l’emploi. C’était un lobby assez classique mais intense.

Dans le contexte actuel, de désinformation massive, de coupes budgétaires dans le budget de la recherche aux Etats-Unis mais aussi en France, cette alliance entre le politique, la science et l’information semble de bonne augure, cela vous donne de l’espoir pour les luttes à venir ? Quelle morale peut-on en tirer ?

J’en tire une conclusion assez simple : si on est arrivé à faire passer cette loi et à protéger la santé publique, c’est parce que derrière on a bénéficié de l’expertise de chercheurs notamment dans la recherche publique, une recherche indépendante et avec une possibilité des chercheurs à pouvoir s’exprimer librement. C’est bien grâce aux scientifiques qu’on y est arrivé. En effet, quand on voit aujourd’hui qu’il y a à la fois des coupes budgétaires dans la recherche, que l’on délaisse aussi la recherche fondamentale pour uniquement la recherche appliquée. Par ailleurs, on sent bien qu’il y a une pression sur les scientifiques, sur leurs engagements, sur la manière de s’impliquer quand il commence à prendre la parole sur le climat, sur les pesticides, sur la biodiversité. Ils ne font que relater les choses en termes de résultats scientifiques et ils se font traiter de militants.

Action du groupe Les Ecologistes pour appeler à la protection contre les PFAS, en présence de militants, de Nicolas Thierry, Marine Tondelier, secrétaire générale des Ecologistes, et d’élus municipaux.

La conclusion c’est que le rôle du politique aujourd’hui, c’est de donner un cadre aux scientifiques de notre pays pour qu’ils aient une totale liberté d’expression et qu’ils puissent s’engager autant qu’ils le souhaitent. On est en train de sombrer dans une forme d’obscurantisme parce qu’il y a des médias et des outils informationnels qui font que la manière dont on peut diffuser des fake news est considérable et on a fragilisé la communauté scientifique. Donc, tout ça fait qu’aujourd’hui, l’émotion a pris la place sur la raison. Cela a été très clair dans notre combat qu’on a mené contre les PFAS. Si la situation continue à se dégrader, que l’on continue à glisser dans un monde où la vérité importe peu, et bien j’ai peur que dans quelques années, nous ne soyons plus en capacité de faire ce que nous avons fait aujourd’hui sur les PFAS.

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