Un rapport menaçant ou visionnaire, voici les deux manières d’interpréter le rapport d’Eurasia Group, paru en ce début d’année 2025. Cette entreprise publie chaque année un rapport nommé “Top risks”, où elle présente dix menaces mondiales majeures pour l’année qui s’annonce. Le texte est publié début janvier et s’adresse à un public désireux d’en savoir plus sur le climat international. Nous nous intéressons cette semaine à la seconde partie de ce rapport. En effet la première partie était très américano-centrée. Dans cette seconde partie, nous allons élargir notre vision et prendre en compte des menaces concernant la Russie ou l’IA.
Le risque 5 : “Russie still rogue” – La Russie persiste dans l’opposition
Cette menace présente la Russie comme un acteur qui va persister dans sa recherche de puissance durant l’année 2025. Effectivement, les alliances de ce pays avec les “Rogue States” vont se renforcer autour de l’opposition à la liberté d’expression. L’appellation de “Rogue State” (État voyou) date des années 1980. La première utilisation de ce terme est attribuée au Président Ronald Reagan (1981-1989). A l’époque la Corée du Nord, l’Iran et l’Irak tombaient sous cette définition. Aujourd’hui, ce terme est associé à la Russie, du fait d’un rapprochement considérable de cette puissance avec deux Rogue States majeurs : la Corée du Nord et l’Iran. Une des caractéristiques définissant ces Etats est la “haine des Etats-Unis et ce qu’ils représentent”.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, il est indéniable que l’ex-puissance soviétique s’oppose frontalement aux valeurs qu’incarnent les Etats-Unis et plus largement les Etat Occidentaux : la liberté, la démocratie, le pluralisme… Le rapport insinue grandement que la Russie va rester sur cette lancée. Le think-tank semble avoir prédit l’actualité brûlante des dernières semaines : un rapprochement américano-russe insolite, une fragmentation au sein de l’OTAN, et la perspective d’un cessez-le-feu avantageux pour Vladimir Poutine. Ce dernier aspect est notamment développé, explicitant qu’une véritable paix positive ne serait pas envisageable. Les Russes revendiquent des territoires, qu’un traité pourrait leur attribuer par défaut, en gelant la ligne de front. Mais cela entraînerait immédiatement un profond sentiment d’injustice en Ukraine qui mènerait inévitablement à une volonté de reconquête.
Face à cette possibilité, le rapport place donc la Russie en position d’influence. Elle semble finalement gagner certains intérêts dans cette guerre qui lui coûte énormément. L’affaiblissement progressif du parapluie américain chez les Européens et la remise en question progressive de l’article 5 du Traité Nord-Atlantique (OTAN) sont présentés comme des éléments qui renforcent la Russie et son influence, notamment sur les fameux “Rogues States”. Reste à voir si ces prédictions pessimistes sont exactes.
« Aucun autre pays au monde ne fait plus pour renverser l’ordre mondial que la Russie. »
Risque 6 : “Iran on the ropes” – l’Iran en difficulté
Contrairement à son allié évoqué ci-dessus, l’Iran ne se porte pas si bien. Le désagrègement progressif de son “Axe de la Résistance”, composé de proxys, cause sa perte d’influence considérable dans la région. La capitulation du Hezbollah face à Israël en fin d’année 2024 est l’une des pertes les plus coûteuses pour Téhéran. Le schéma ci-dessous, fourni par le rapport, présente très justement les défaites successives des alliés du régime iranien.
La majorité de ces pertes sont dues à l’ennemi de toujours du pays : Israël. Depuis l’attaque du 7 octobre, le pays a renforcé son alliance avec les Etats-Unis et sa capacité militaire ne cesse d’augmenter. L’ultime but de l’Etat hébreu serait de détruire les installations atomiques iraniennes. Cela fait quelques années que ces structures inspirent le doute quant à la capacité de frappe nucléaire de l’Iran. Cependant, ce n’est pas si simple pour la puissance qui ne dispose pas d’équipements spécifiques pour bombarder et détruire les infrastructures. Sur ce point-là, sa dépendance à Washington est complète. Malgré sa volonté de détruire le système iranien, le rapport statue que Trump ne se lancera pas dans une guerre ouverte. Effectivement les bombardements coûteraient énormément à son pays, à qui il a promis la prospérité économique.
Bien que le risque 6 annonce un affaiblissement de l’Iran, le rapport ne considère pas le pays comme incapable de riposter. Si les Etats-Unis, ont un pouvoir militaire supérieur, l’Iran a un poids commercial important. En effet la puissance iranienne a la capacité de bloquer les échanges. Un blocus de Bab El Mandeb par les Houthis, ou la destruction de sites pétroliers saoudiens mettraient grandement en péril le commerce international et par extension celui des Etats-Unis.
Ainsi la menace plane sur l’Iran, qui doit essayer de se maintenir au sein d’une région soumise à l’instabilité. Il importe aussi aux puissances occidentales de rester sur leur garde et de ne pas provoquer un pays qui pourrait, en cas d’effondrement, entraîner tout le monde dans sa chute.
« Avec autant d’enjeux et de personnes aux commandes, le conflit avec la République islamique est devenu le risque le plus significatif au Moyen-Orient. »
Risque 9 : “Ungoverned spaces” – Etats faillis
Ce risque est à mettre en parallèle avec le risque 1, présenté dans le premier article présentant ce rapport. Ce dernier avertissait sur le retrait des Etats-Unis comme le pays leader du monde, pour laisser une place vacante et un ralentissement des actions internationales. Bien que cette rétractation affecte les Etats développés, elle touche aussi les Etats faillis, soumis à la guerre et laissés de côté par les médias. En effet, un financement amoindri dans ces institutions ne peut que diminuer la marge de manœuvre des associations.
Le rapport présente une douzaine de pays fortement touchés par la pauvreté et les conflits. Ils sont situés majoritairement en Afrique subsaharienne (RDC, Soudan, Ethiopie) ou au Maghreb (Libye), au Moyen Orient (Yémen, Palestine – Bande de Gaza, Syrie, Liban) ou encore en Asie (Birmanie). L’organigramme ci-dessous présente plus spécifiquement l’état désastreux de chacun de ces pays. Ces derniers attendent l’éveil des autres puissances sur leurs situations désastreuses et qui leur semblent insurmontables.
Contrairement aux autres risques, celui-ci est ancré dans le temps. Il concerne des millions de personnes subissant famine et violences. Ces victimes espèrent chaque année que les Etats les plus développés leur apportent du soutien. La principale menace reste donc l’agrandissement de ces zones non gouvernées, terreau fertile pour des menaces directes à la stabilité mondiale, comme le terrorisme ou les trafics.
« Une gouvernance fragile et l’impunité ont des répercussions durables, et leurs conséquences finiront par se faire sentir bien au-delà des pays directement touchés. »
Risque 10 : “Mexican Standoff” – Le Mexique dans une impasse
En juin 2024, le Mexique a élu Claudia Sheinbaum au poste de présidente, pour un mandat de six ans. Pour le pays, et pour sa dirigeante, leur futur dépendait de l’élection présidentielle américaine, survenue plus tard dans l’année. L’arrivée de Trump, en position plus renforcée que lors de son premier mandat, complique les affaires de la nouvelle Présidente. En effet, elle doit faire face aux nombreuses mesures protectionnistes de Trump, comme ses taux de douanes dépassant les 25%. L’isolement économique du pays menace la population, et il est primordial pour Sheinbaum de négocier avec le nouveau Président pour éviter une hausse des prix trop importante pour sa population déjà en difficulté pour la majorité.
La fragilisation de l’accord commercial Nord Américain, le USMCA (Etats-Unis, Mexique, Canada) risque également d’affecter le pays. En effet ce dernier serait laissé pour compte en cas de rapprochement bilatéral entre le Canada et les Etats-Unis. Mais il ne pourra pas se tourner vers la Chine, au risque de froisser ses voisins et d’affaiblir encore leurs échanges commerciaux. A ajouter à tout cela un conflit interne bien trop connu entre les cartels, aggravé par la production de fentanyl. Ainsi la Présidente sait qu’elle va devoir gérer à la perfection ses premières années de mandat si elle veut pouvoir se concentrer sur les mesures qui lui ont permis de gagner : l’investissement dans les dépenses sociales.
Risque 8 “AI unbound” – l’IA débridée
Cette seconde partie se termine sur un risque bien plus global, qui concerne la régulation de l’Intelligence Artificielle et des données qui lui sont soumises. En lien avec d’autres risques, tout d’abord, l’absence d’un leader dans la réglementation empêche une avancée concrète. Bien que l’Union européenne se porte volontaire pour guider le monde sur le chemin de la régulation, la route est encore longue. Face aux géants américains, et plus récemment chinois, il est difficile de s’imposer et de faire fléchir les entreprises, qui ne voient pour la plupart que les profits. Comme le cyberespace il y a une dizaine d’années, l’IA devient à son tour une “New Frontier” où les Etats peuvent projeter leur puissance économique et énergétique.
En effet l’autre risque de laisser l’IA devenir une partie intégrante de nos vies sans réglementation est écologique. En moyenne une recherche par une intelligence artificielle consomme jusqu’à 10 fois plus qu’une recherche sur un moteur classique. Cette augmentation est due à la complexité des demandes et à l’attente d’une réponse plus précise que sur le Web. Mais cet usage va demander à tous propriétaires de data centers utilisant l’IA des investissements remarquables pour que ces derniers restent performants.
Selon le rapport : “Les réseaux électriques mondiaux nécessiteront plus de 20 000 milliards de dollars d’investissements d’ici 2050 pour suivre l’augmentation de la consommation énergétique mondiale, selon certaines estimations.”
Mais comme 2025 semble déjà être une année où les enjeux sécuritaires et économiques ont une place centrale, la régulation de l’Intelligence Artificielle va sûrement devoir attendre encore une année, aux risques de revoir cette menace dans le rapport de l’année prochaine…