Un duo inattendu d’élus, les députés Ludovic Mendes du groupe Ensemble pour la République et Antoine Léaument du groupe La France insoumise, viennent de rouvrir le débat sur la question du cannabis et des drogues en France. Malgré leurs divergences politiques, ils s’accordent sur la nécessité de repenser la politique répressive en matière de stupéfiants. Les deux députés ont, le 17 février, rendu leur rapport d’information sur « la mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants » à la Commission des lois de l’Assemblée Nationale.
Qui pour encadrer le marché du cannabis ?
Au cœur de leur rapport figure la création d’une autorité de régulation du cannabis, chargée de distribuer des licences professionnelles aux producteurs et aux détaillants. Toutefois, les deux députés divergent sur le modèle économique à adopter. Antoine Léaument souhaite que l’État fixe les prix du cannabis pour éviter une course aux prix bas et encadrer le marché, tandis que Ludovic Mendes plaide pour un prix déterminé par le marché, tout en imposant une interdiction de vente aux moins de 21 ans. Le marché étant lui-même structuré par plusieurs secteurs distincts : culture / production, transformation, tests en laboratoire, conditionnement, distribution / vente.
En parallèle, la proposition inclut une mesure de dépénalisation pour la détention de toutes les autres drogues en quantités inférieures à 3 grammes. Si cette détention restait interdite, elle ne donnerait plus lieu à des poursuites pénales, mais uniquement à une confiscation du produit.
Un débat qui ne cesse de revenir
Le sujet du cannabis et des drogues en France n’est pas nouveau, et il revient régulièrement dans le débat public. Depuis plusieurs années, la consommation de cannabis ne cesse d’augmenter malgré son interdiction, faisant de la France l’un des pays européens où son usage est le plus répandu. Plusieurs rapports parlementaires et avis d’experts ont déjà mis en lumière les limites du modèle répressif, notamment son incapacité à enrayer le trafic et à protéger les consommateurs.
Des figures politiques de divers horizons ont par le passé défendu des approches plus souples. Récemment, l’ancien Premier ministre Édouard Philippe s’est dit favorable à une légalisation encadrée, tandis que des pays voisins comme l’Allemagne ont déjà amorcé un tournant en ce sens.
Les arguments en faveur de la proposition
Les partisans de cette régulation avancent plusieurs arguments. D’abord, ils estiment que lutter contre le trafic passe par l’assèchement du marché noir plutôt que par la répression des consommateurs. En légalisant et en encadrant la vente, l’État pourrait retirer aux réseaux criminels un marché extrêmement lucratif.
Ensuite, les défenseurs de cette mesure soulignent que la consommation de cannabis continue d’augmenter malgré l’interdiction, prouvant l’échec de la politique actuelle. Une régulation permettrait de mieux contrôler les produits en circulation, d’assurer une qualité sanitaire et d’accompagner les consommateurs dans une démarche de réduction des risques.
Enfin, la dépénalisation de la détention de petites quantités d’autres drogues vise à désengorger le système judiciaire et à concentrer les efforts des forces de l’ordre sur le trafic, plutôt que sur la simple consommation. “C’est une manière de penser les choses un peu différente, qui vise à faire de la prévention en l’associant à la vente. Un dealer ne vous dira jamais que c’est mauvais de fumer du cannabis avant 25 ans, et il vous proposera parfois un échantillon de cocaïne, d’ecstasy ou de MDMA. Des drogues bien plus addictives qu’il peut vendre plus cher. L’Etat, si la vente de cannabis lui était confiée, ne ferait jamais ça. La réception de notre rapport auprès des addictologues est d’ailleurs plutôt bonne.” déclare Antoine Léaument pour défendre l’idée d’un nouveau modèle.
Un enjeu de santé publique ?
L’objectif de cette dépénalisation serait, en plus de la lutte contre le trafic de stupéfiants, de privilégier la prévention à la pénalisation. Aujourd’hui la plupart des consommateurs de stupéfiants se voient sanctionnés d’une amende forfaitaire délictuelle. Les députés argumentent que selon l’association Addictions France, une politique de répression mène à une stigmatisation des consommateurs, les dissuadant de faire appel à des professionnels de santé pour faire soigner leurs addictions.
C’est pourquoi face aux enjeux sanitaires que représente la consommation de stupéfiants les députés proposent une meilleure prise en compte des problèmes d’addictions en prison, une meilleure prise en compte des facteurs prédictifs à l’addiction, ou encore encourager le développement de compétences psychosociales dès l’enfance.
Une opposition ferme du gouvernement
Cette proposition ne fait cependant pas l’unanimité, notamment au sein du gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est fermement opposé à toute idée de légalisation ou de dépénalisation, rappelant sa volonté de mener une politique de « tolérance zéro » contre la drogue. Même opposition du côté du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui craint un signal négatif envoyé aux consommateurs et une banalisation de l’usage des stupéfiants.
Si cette proposition a peu de chances d’aboutir dans l’immédiat face à l’opposition de l’exécutif, elle témoigne d’une évolution progressive des mentalités sur la question des drogues en France. Alors que plusieurs pays européens révisent leur approche, le débat sur la régulation du cannabis et la dépénalisation de certaines drogues semble appelée à revenir sur la scène politique.